Cette vidéo n’a rien à voir avec Tchiroma et l’élection camerounaise, elle a été tournée au Nigeria

Lundi 27 octobre, le président sortant Paul Biya a officiellement été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle camerounaise par le Conseil constitutionnel. Ce résultat est contesté par son principal opposant, Issa Tchiroma Bakary, qui dénonce des irrégularités et affirme craindre pour sa sécurité, alors que des émeutes meurtrières ont secoué le Cameroun pendant plusieurs jours. C’est dans ce contexte qu’une vidéo "aimée" des dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux prétend montrer Issa Tchiroma protégé par l’armée tchadienne. Mais c’est faux : cette séquence montre en réalité des policiers au Nigeria rendant hommage à une haute autorité locale. Elle n’a aucun lien avec le contexte électoral camerounais.

Deux jours après le scrutin du 12 octobre, le candidat Issa Tchiroma Bakary s’est autoproclamé vainqueur de la présidentielle, affirmant avoir obtenu la grande majorité des suffrages parmi les huit millions d’électeurs camerounais. 

Mais c’est finalement le président sortant Paul Biya, 92 ans, qui a remporté l'élection avec 53,66 % des suffrages, a indiqué le 27 octobre le Conseil constitutionnel. L’homme politique, au pouvoir depuis 43 ans, entame ainsi son huitième mandat (dépêche AFP archivée ici). 

Un résultat que conteste toujours Issa Tchiroma, arrivé deuxième avec 35,19% des voix. L’ex-ministre, que ses partisans désignent sous le terme de "président élu", dénonce de nombreuses irrégularités dans le scrutin. Retranché depuis la fin de la campagne électorale dans son domicile de Garoua, Issa Tchiroma avait indiqué à plusieurs reprises craindre pour sa sécurité, avant de déclarer ce 31 octobre être en lieu sûr (lien archivé ici).

Il avait notamment affirmé dans une vidéo face caméra diffusée le 26 octobre avoir échappé à une "conspiration" visant à l’enlever (vidéo archivée ici). Dans d’autres publications, il assurait que les forces gouvernementales "tir[ai]ent sur des civils" réunis autour de son domicile (lien archivé ici). 

C’est dans ce contexte que des publications cumulant des dizaines de milliers de "likes" affirment depuis le 19 octobre qu’Issa Tchiroma serait protégé par l’armée tchadienne, vidéo à l'appui (archivé ici et ici). 

"Le président élu", comme l’appellent ses partisans, "est gardé par l'armée tchadienne", expose ainsi une publication Facebook ayant récolté plus de 30.000 mentions "j'aime" (archivée ici). Une chaîne YouTube intitulée "Issa Bakary Tchiroma" relaie aussi cette assertion, indiquant de façon encore plus explicite que "Issac Bakary Tchiroma" [sic] est "gardé par l’armée tchadienne" (archivée ici). 

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Captures d’écran montrant une publication sur YouTube (à gauche) et une publication Facebook (à droite), prises le 30 octobre 2025 /
Croix rouges ajoutées par la rédaction de l'AFP.

Toutes ces publications avancent comme preuve une vidéo où l’on voit quatre hommes en uniforme saluer un groupe d’hommes en boubous, dans un salon richement décoré. Trois d’entre eux sont assis à même le tapis, tandis que le quatrième, visiblement l’invité d’honneur, est installé sur un canapé, les pieds posés sur un pouf.

Mais aucun des hommes sur la vidéo n’est Issa Tchiroma et celle-ci n’a rien à voir avec le contexte électoral camerounais. Elle a en réalité été tournée au Nigeria et montre des hommes de la police nigériane en train de saluer une haute autorité locale. 

Vidéo tournée au Nigeria

Afin d’avoir plus d’informations sur les prétendus soldats visibles sur la vidéo, on s’intéresse à leur uniforme. On se rend rapidement compte qu’il ne correspond pas à celui porté dans l’armée tchadienne, visible par exemple dans une publication sur la page Facebook du président tchadien, Idriss Déby Itno (lien archivé ici).

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Comparatif entre les tenues de forces armées visibles dans une publication virale sur Facebook (à gauche) et celles de l'armée tchadienne,
visibles sur la page officielle du président du Tchad (à droite) / Captures d'écran réalisées le 30 octobre 2025.

Plusieurs internautes indiquent en commentaire que la vidéo aurait en réalité été tournée au Nigeria. Interrogé par AFP Factuel, un journaliste de l’AFP basé à Lagos, l'une des principales villes du Nigeria, confirme cette intuition et assure que les écussons visibles sur l’uniforme sont ceux de la police nigériane. 

Une fois cela en tête, on cherche sur internet des images de ladite police. Des banques d’images en ligne nous confirment que cet écusson bleu-jaune-vert est en effet porté par certains membres de la police nigériane (lien archivé ici). 

D’autres recherches nous permettent de trouver l’unité spécifique à laquelle appartiennent les hommes visibles sur la vidéo. Il s’agit de la SPU, Special Protection Unit, une division de la police nigériane spécialisée dans la protection des personnalités et des sites sensibles. On reconnaît leurs casques bleus caractéristiques dans des photos officielles publiées sur X par le gouvernement nigérian (lien archivé ici). 

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Comparaison entre les tenues de forces armées visibles dans la vidéo virale au Cameroun (à gauche) et celles des policiers nigérians membres du SPU,
telles que montrées dans une publication sur X du gouvernement nigérian (à droite) / Captures d'écran réalisées le 31 octobre 2025.

Reste à savoir qui figure sur la vidéo et où elle a été précisément tournée au Nigeria. Un internaute suggère en commentaire qu’elle montrerait entre autres un gouverneur du nord du Nigeria. 

Nous avons ensuite dressé la liste de la vingtaine de gouverneurs en fonction dans le nord du Nigeria. Une recherche sur l’un d’entre eux, Ahmadu Umaru Fintiri, fait apparaître un post sur X où il pose aux côtés d’un homme portant des lunettes noires qui ressemble beaucoup à la personnalité centrale visible dans la vidéo virale (lien archivé ici).

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Capture d’écran montrant les résultats d’une recherche sur Google, réalisée le 28 octobre 2025 / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP.

Il y est identifié comme Muhammadu Barkindo Aliyu Mustapha, le lamido d’Adamawa, l’une des plus hautes autorités traditionnelles et musulmanes du nord du Nigeria.

Une autorité traditionnelle nigériane 

Une recherche Google ciblée sur Muhammadu Barkindo Aliyu Mustapha mène à une page Facebook dédiée à son actualité. On y trouve deux séries de photos publiées ici et ici le 9 octobre 2025, soit une dizaine de jours avant que la vidéo montrant la même scène ne soit largement diffusée au Cameroun de façon décontextualisée (liens archivés ici et ici).

On y reconnaît distinctement les trois hommes vêtus de boubous blanc, bleu et rose clair, les canapés beiges à rebords marron foncé, les décorations au mur, ainsi que le tapis et les poufs aux motifs spécifiques verts, blancs et or.

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Comparaison entre une publication Facebook affirmant montrer Issa Tchiroma (à gauche) et une publication Facebook antérieure montrant une réception au Nigeria (à droite) / Encadré en rouge par l'AFP: le lamido d’Adamawa, Muhammadu Barkindo Aliyu / Encadré jaune: l’homme d’affaires Musa Halilu Ahmad

La publication indique que ces photos ont été prises lorsque le lamido d’Adamawa Muhammadu Barkindo Aliyu, en lunettes noires, a rendu visite à l’homme d’affaires Musa Halilu Ahmad à son domicile situé à Yola, capitale de l’État d’Adamawa, dans le nord-est du pays. Quelques recherches en ligne nous confirment l’identité des deux hommes, reconnaissables notamment dans ce post X pour le premier, et sur son compte Instagram pour le second. 

Contacté par l’AFP, l’administrateur de la page qui relaie les activités du lamido d'Adamawa, Khalifa Muhammad Bello, confirme que l’homme en boubou blanc présent dans la vidéo actuellement virale au Cameroun "est bien Muhammadu Barkindo Aliyu, et non Issa Tchiroma Bakary"

Celui est qui est plus globalement son chargé des relations publiques a indiqué à l’AFP que la séquence montre le moment où, selon la tradition, tout le personnel de la maisonnée - dont les policiers chargés d’assurer la sécurité de l’hôte - rendait hommage à la haute autorité qu’est le lamido, lors de sa visite du 9 octobre 2025 à Yola.

On retrouve sur internet une autre vidéo qui montre presque la même scène, mais filmée sous un angle différent et avec d’autres membres du personnel (vidéo archivée ici). On y reconnaît les mêmes quatre hommes et le même décor. Diffusée elle aussi le 9 octobre par un internaute dont le profil indique qu’il réside à Yola, elle accrédite tous les éléments avancés par le chargé de relations publiques du lamido d’Adamawa.

La vidéo qui est actuellement virale au Cameroun montre donc une entrevue entre deux hommes importants du Nigeria, survenue le 9 octobre 2025 dans la ville de Yola. Elle n’a rien à voir avec l’opposant camerounais Issa Tchiroma ni le contexte de tensions post-électorales dans le pays.

Violences post-électorales

Après la fin de la campagne présidentielle au Cameroun, Issa Tchiroma est retourné à Garoua, son fief et ville natale. C’est de là qu’il a pendant plusieurs jours continué de dénoncer ce qu’il considère comme une "mascarade" électorale, avant d'être selon ses dernières déclarations "conduit dans un lieu sûr" (lien archivé ici).

"Nous avons gagné de manière indubitable", maintenait-il lorsqu’il que l’AFP l’a joint lundi 27 octobre par téléphone pour recueillir sa réaction à l’annonce officielle des résultats donnant Paul Biya vainqueur (dépêche AFP archivée ici).

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Issa Tchiroma Bakary, candidat FNSC à la présidentielle, filmé dans sa résidence de Yaoundé, le 25 août 2025. (AFP / DANIEL BELOUMOU OLOMO)

L’ex-ministre, qui a occupé plusieurs postes sous les précédents mandats de Paul Biya, dont ceux des Transports et de la Communication, a affirmé à cette occasion à l'AFP qu’il y aurait eu "deux morts" parmi les manifestants regroupés autour de son domicile à Garoua et qu’"une dizaine de snipers" serait postée sur les toits autour de sa résidence.

Le gouvernement camerounais a reconnu le 28 octobre des morts lors de manifestations, sans toutefois dater les violences, ni fournir de bilan précis. Dans une déclaration officielle publiée le 26 octobre, le gouverneur de la région du Littoral a lui fait état de quatre morts à la suite de l’attaque d’une brigade de gendarmerie et d’un commissariat de police à Douala (lien archivé ici).

L'Union africaine a appelé au dialogue, se disant "vivement préoccupée par les violences, la répression et les arrestations signalées de manifestants et d'acteurs politiques suite aux résultats des élections". 

La situation reste scrutée par la communauté internationale. L’Union européenne a notamment déploré le "recours excessif à la violence" des forces de sécurité camerounaises, quand l’'ONU a appelé "à l'ouverture d'enquêtes et à la fin des violences".

Au matin du mercredi 29 octobre, les boutiques et marchés rouvraient progressivement, accueillant une petite affluence dans les villes de Douala et Yaoundé, où la présence des forces de sécurité restait importante.

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