
Fatigue, anxiété, prise de poids: sur les réseaux sociaux, le cortisol, responsable de tous les maux
- Publié le 17 octobre 2025 à 13:16
- Lecture : 8 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
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Sur les réseaux sociaux, de nombreux influenceurs et pseudo-coachs ont dans leurs viseurs le cortisol, l'hormone du stress, affirmant que son dérèglement serait responsable d'un tas de maux allant de la fatigue à l'anxiété, en passant par la prise de poids, résumés sous le terme de "fatigue surrénalienne". Ces internautes cherchent souvent à vendre des programmes alimentaires personnalisés, des compléments alimentaires ou poussent même à réaliser des tests en dehors du circuit médical classique. Mais la "fatigue surrénalienne" n'existe pas, assurent des experts, dénonçant des discours mercantiles.
Fatigue, anxiété, prise de poids, acné, visage "bouffi" : "Et si ton cortisol était en cause ?" Sur Instagram ou TikTok, des influenceurs et pseudo-coachs affirment qu'un "débalancement" du cortisol est responsable d'un série de maux assez communs.
A les écouter, avoir mal au dos, mal dormir, être stressé, ou avoir des envies de sucre, pourrait être des "signes alarmants" d'un problème lié au cortisol - connu comme l'hormone du stress. Ce dérèglement aurait même un nom : la "fatigue surrénalienne".
"Les gens ne savent pas pourquoi ils sont fatigués", "tu peux avoir les cheveux qui tombent, tu peux avoir de la frilosité, tu peux avoir des troubles digestifs, être très irritable, avoir sensation de trop plein", décrit une "formatrice en micronutrition" dans une vidéo sur les réseaux sociaux.
Mais ce concept de "fatigue surrénalienne" n'existe pas, expliquent des experts à l'AFP. Ils dénoncent cette tendance de diabolisation du cortisol sur les réseaux sociaux qui s'est transformée en véritable business.

Qu'est-ce que le cortisol ?
Le cortisol est une hormone produite par les glandes surrénales, qui joue "un rôle clé dans la régulation du stress, du métabolisme, du système immunitaire et de la pression artérielle", explique sur son site l'Institut du Cerveau. Sa production est régulée par l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, donc le cerveau, via l’hypothalamus et l’hypophyse.
Sa libération suit un rythme circadien, avec un pic le matin, "favorisant l'éveil et l'activité", puis une diminution progressive au cours de la journée. Ce cycle journalier peut être perturbé "par des événements stressants ou par des habitudes de vie".
En cas de stress, le taux de cortisol peut en effet augmenter pour atteindre un pic, "mais cette augmentation est généralement temporaire et n'indique pas nécessairement un problème de santé plus grave", précisent des médecins du centre médical Cedars-Sinai, basé à Los Angeles.
Avoir un taux beaucoup trop faible ou beaucoup trop élevé de cortisol est en réalité très rare. Deux maladies traduisent un dérèglement du niveau de cortisol : le syndrome de Cushing (excès) ou la maladie d'Addison (déficit).
Le syndrome de Cushing, qui résulte généralement de la prise de corticoïdes pour traiter une affection médicale ou d'une tumeur dans l'hypophyse ou les surrénales, touche une à trois personnes sur un million par an. Tandis que la maladie d'Addison, due à un trouble lié aux glandes surrénales, est d'environ quatre cas pour 100.000 personnes.
D'autre situations, qui ne sont pas liées au départ à un excès de cortisol, peuvent tout de même engendrer des perturbations avec un excès de l'hormone, "mais fonctionnel cette-fois ci et modéré", décrit à l'AFP le Pr Guillaume Assié, endocrinologue à l'hôpital Cochin - AP-HP. "On va voir ça dans des situations comme la dépression, l'alcoolisme, l'anorexie mentale", énumère le membre de la société française d'Endocrinologie.
La fatigue surrénalienne, un "mythe"
En dehors de ces pathologies, "inutile" de s'inquiéter de son taux de cortisol, insiste auprès de l'AFP le docteur en santé publique Thibault Fiolet, dénonçant "le charlatanisme" de ceux qui parlent de "fatigue surrénalienne".
Reconnaissant qu'il ne s'agit pas d'un "terme officiel en médecine", la formatrice en micronutrition citée plus haut affirmait tout de même qu'il s'agit d'une "réalité physiologique".
"Les partisans de cette supposée maladie affirment que des millions de personnes souffrent d'une hypoactivité des glandes surrénales due à des facteurs de stress répétés, ce qui entraîne de nombreux symptômes non spécifiques tels que fatigue, insomnie, douleurs articulaires et prise de poids, entre autres", détaille M. Fiolet.
Mais, ce sont surtout des symptômes "très génériques" et dans lesquels "tout le monde peut se retrouver", appuie-t-il.
Actuellement, "il n'y a pas de données cliniques qui corroborent l'existence de cette fatigue surrénalienne, ça n'existe pas", insiste l'expert, comme il l'avait d'ailleurs expliqué ici avec son collectif de professionnels de santé @balance.ton.bonimenteur.
"Il n'existe aucune preuve scientifique permettant de confirmer que la fatigue surrénale est une véritable affection médicale", énonce également la Société d'Endocrinologie.
En 2016, une revue systématique de 58 études concluait ainsi que la fatigue surrénalienne n'est qu'un "mythe" (lien archivé ici).
Dans la réalité, "on est loin des messages [sur les réseaux sociaux] relatifs aux considérations du cortisol comme un levier de manipulation du bien-être", explique le Pr Assié.
"Le problème, c'est que si vous réfléchissez à la fatigue comme porte d'entrée dans une maladie, il n'y a à peu près aucune maladie qui n'en donne pas - c'est-à-dire que la fatigue n'est pas très spécifique. Ca peut être effectivement une façon de découvrir une insuffisance surrénalienne, mais c'est difficile sur la base de la fatigue uniquement de conclure qu'il y a un problème surrénalien", développe-t-il.
Sur les réseaux, certains "coachs en nutrition" avancent également que le cortisol pourrait empêcher de maigrir et serait responsable de l'apparition d'un ventre gonflé - "Cortisol Belly" - ou d'un visage bouffi - "Cortisol Face".
"T'es pas moche, t'as sûrement juste la Cortisol Face", explique ainsi cette utilisatrice sur TikTok.
Cependant, même si une production excessive de cortisol peut influencer l'apparence du visage - comme c'est le cas pour les personnes souffrant du syndrome de Cushing -, le stress quotidien ne suffit pas à provoquer des changements physiques de ce type.
"Le prise de poids peut être le mode d'entrée diagnostic de la maladie. On a quelquefois des patients qui, dans une forme franche d'excès de cortisol, vont se retrouver avec comme signe le fait qu'ils ont une prise de poids et qu'ils n'arrivent pas à perdre. Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que ces formes franches sont des maladies rares, c'est-à-dire qui ne concernent pas la grande majorité des personnes", précise le Pr Assié.
Compléments alimentaires, cortisol cocktails
Dans leurs vidéos sur le cortisol, les influenceurs et pseudo-coachs recommandent de réaliser un dosage de l'hormone dans un laboratoire particulier ou proposent plus simplement des programmes ou des compléments alimentaires censés "rééquilibrer" ou "soutenir" le cortisol.
"Si tu te reconnais dans au moins un des symptômes, j'ai créé un programme fait pour toi", suggère cette influenceuse aux 500.000 abonnées pour une somme allant de 97 à 174 euros par mois.
"Réduisez votre cortisol rapidement pour diminuer votre stress, votre anxiété, et améliorer votre sommeil", promet de son côté cette marque de compléments alimentaires au prix de 42 euros pour un mois de cure. "-75% de taux de cortisol", met-elle encore en avant.
"On voit bien que l'intérêt de parler du cortisol est purement lucratif, la finalité c'est de vendre, que ce soit des régimes spécifiques ou des compléments alimentaires", constate Thibault Fiolet.
Certains conseillent aussi des "boissons detox", appelées "cortisol cocktails", censées aider là-encore à réguler les niveaux de cortisol et composées le plus souvent d'eau de noix de coco, de jus d'agrumes, et de magnésium ou collagène.
Mais, "il n’y a aucune donnée clinique démontrant des effets bénéfiques de tous ces produits", assure M. Fiolet.
Le Pr Assié conseille ainsi aux personnes qui s'interrogent sur leur taux de cortisol "d'aller voir leur médecin", et assure que la prise en charge ne passe pas par "des compléments alimentaires ou des stratégies en dehors d'un circuit médical".
"1.500 euros pour le package complet"
Pauline Guillouche, hépato-gastro-entérologue, aussi membre du collectif @balance.ton.bonimenteur, dénonce de son côté l'existence d'un "marché", surtout concernant les dosages de cortisol "prescrits par des professionnels autoproclamés".
"Ils vont prescrire des analyses biologiques qui ne sont pas remboursées - donc payées par les patients - et qui vont être envoyées à des laboratoires indépendants en santé, qui ne sont pas du tout ceux que l'on trouve au bout de la rue", explique-t-elle.
"Ces laboratoires vont délivrer un maximum d'analyses qui vont être extrêmement chères et qui vont donner des résultats qui permettraient de mettre en évidence des déficits qui, aujourd'hui dans la médecine dite conventionnelle, ne seraient pas visibles. On parle de dosage salivaire de cortisol mais aussi du microbiote et d'intolérance alimentaire", qui selon les témoignages qu'elle a recueilli coûterait de "300 à 1.000 voire 1.500 euros pour le package complet".
"Mais ce sont des tests qui ne sont absolument pas fiables, pas reconnus, et sur lesquels on ne peut pas se baser pour diagnostiquer ou prescrire quoi que ce soit", alerte-t-elle.
Les professionnels autoproclamés se servent en effet de ces résultats pour vendre "des compléments vitaminiques en promettant qu'ils permettront de resynthétiser du cortisol, mais c'est totalement faux", soutient-elle.
Certains vendent même eux-mêmes des tests "à faire à la maison", que l'on retrouve facilement sur internet (1, 2), mais là aussi, sans aucune garantie de fiabilité.
"Si vous passez par un circuit alternatif, vous perdez toute garantie de qualité. S'il y a derrière un service commercial non certifié qui vous propose de vous faire parvenir du matériel pour réaliser un prélèvement biologique, que ce soit de la salive, des urines ou du sang, et qui ne passe pas par un laboratoire d'analyses médicales classique en ville ou à l'hôpital, il y a une prise de risque", prévient le Pr Assié.
Il y aussi "une perte d'argent" et "un risque d'errance encore plus important" pour "ces personnes souvent assez désespérées à qui on promet de trouver une réponse à tous leurs problèmes" et qui peuvent être donc incitées "à se détourner de la médecine", regrette Pauline Guillouche.