Non, Toyota ne développe pas de moteur à eau

La course mondiale vers le développement de véhicules zéro émission donne régulièrement lieu à des affirmations trompeuses, voire totalement erronées, sur les réseaux sociaux. L'une des plus récentes prétend que Toyota, le plus grand constructeur automobile mondial, aurait mis au point un moteur révolutionnaire fonctionnant à l'eau, supprimant ainsi le besoin de batteries au lithium ou de bornes de recharge. Mais cette affirmation est fausse, a indiqué Toyota à l'AFP. Et des experts soulignent que le concept évoqué dans ces publications est non seulement extrêmement inefficace, mais aussi techniquement irréalisable.

"Dans un geste qui va bouleverser l'industrie automobile mondiale, Toyota vient tout juste de dévoiler un moteur alimenté à l'eau, fonctionnant grâce à de l'hydrogène produit par électrolyse — ne rejetant que de la vapeur d'eau ! Aucun lithium. Aucune borne de recharge. Juste une véritable révolution. Avec ce mouvement audacieux, Toyota ne se contente pas de rivaliser avec les véhicules électriques — ils annoncent la fin de l'ère des batteries", peut-on lire dans la description d'une image publiée sur Facebook le 12 juin 2025, aimée par plus de 10.000 internautes et partagée plus de 2.300 fois.

L'image accompagnant cette publication est un photomontage composé de deux clichés. On y voit deux hommes en costume semblant présenter la prétendue innovation : un moteur à eau du constructeur japonais Toyota, numéro un mondial de l'automobile (lien archivé ici).

Des publications similaires circulent également sur Facebook (1, 2, 3), XInstagram, TikTok (1, 2), YouTube, et dans plusieurs langues, notamment en anglais, françaisespagnolroumain et allemand.

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Captures d'écran prises sur TikTok (à gauche) et Facebook (à droite). Croix rouges ajoutées par l'AFP.

Dans la course aux véhicules zéro émission - opposant notamment les voitures électriques à celles fonctionnant à l'hydrogène - l'idée que l'eau pourrait un jour remplacer le carburant refait régulièrement surface depuis plusieurs décennies. Pourtant, cette hypothèse n'a jamais été confirmée par des preuves scientifiques solides, comme l'a déjà vérifié l'AFP ici.

Ce type d'affirmation alimente souvent des théories selon lesquelles les grandes industries, notamment les secteurs automobile et pétrolier - à l'image du groupe pétro-gazier TotalEnergies - chercheraient à dissimuler des technologies révolutionnaires pour protéger leurs intérêts économiques. Certains prétendent qu'elles achèteraient des brevets pour les enterrer, ou iraient jusqu'à faire disparaître leurs inventeurs. 

Mais l'affirmation selon laquelle Toyota aurait dévoilé un moteur à eau, ne rejetant que de la vapeur, est infondée.

Toyota ne développe pas de "moteur à eau"

"Nous ne développons effectivement rien qui pourrait être décrit comme un 'moteur à eau'", a déclaré Jean-Yves Jault, représentant de la Toyota Motor Corporation, dans un e-mail envoyé à l'AFP le 23 juillet. M. Jault a qualifié ces affirmations circulant en ligne de "fausses informations" et a renvoyé vers un article du magazine Forbes qui réfute cette rumeur (lien archivé ici).

En réalité, Toyota produit des véhicules à hydrogène, qui utilisent ce gaz comme carburant. Ces voitures, comme le modèle Mirai, sont alimentées dans des stations spécialisées et équipées de batteries au lithium-ion pour stocker et gérer l'énergie (lien archivé ici).

Dans cet article, son auteur et ingénieur chimiste Robert Rapier, explique que "l'idée selon laquelle l'eau pourrait alimenter une voiture est absurde". Il précise : "Bien que l'eau puisse servir de source d'énergie, ce n'est pas un carburant. En réalité, l'eau est le produit final de la combustion de l'hydrogène, qui est un carburant. L'eau est produite lorsque l'hydrogène est brûlé. L'eau peut fonctionner comme une source d'énergie dans certaines situations", peut-on lire dans son article écrit en anglais.

Le procédé d'électrolyse de l'eau

L'électrolyse est un procédé chimique qui consiste à utiliser un courant électrique pour déclencher une réaction chimique, notamment pour séparer les molécules d'eau (H₂O) en hydrogène (H₂) et en oxygène (O₂). Le processus nécessite une quantité importante d'électricité et n'est efficace que lorsqu'il y a une source d'énergie stable. Contrairement à certaines affirmations trompeuses, l'électrolyse ne produit pas d'énergie : elle en consomme. 

Le gaz hydrogène obtenu peut ensuite être utilisé comme carburant, notamment dans des véhicules à pile à combustible. Cependant, pour que l'électrolyse se produise à l'intérieur d'un moteur de voiture, il faut une source d'électricité embarquée, comme une batterie, pour alimenter l'électrolyseur.

"Mais un tel système serait extrêmement inefficace, car chaque étape de conversion énergétique entraîne des pertes. C'est un principe fondamental de thermodynamique. Plutôt que d'utiliser une batterie pour produire de l'hydrogène par électrolyse, puis d'utiliser cet hydrogène pour alimenter une voiture, il serait bien plus efficace d'utiliser directement l'électricité pour la propulsion", analyse M. Rapier dans son article.

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Schéma des étapes de la production d'hydrogène "vert", une source d'énergie vue comme une piste pour décarboner certains secteurs industriels polluants. 17/08/2023. (AFP / Tatiana MAGARIÑOS, Gustavo IZUS)

Ces conclusions ont également été confirmées par plusieurs experts, dont le professeur Plamen Punov, de l'Université Technique de Sofia, qui supervise des projets étudiants sur les piles à combustible à hydrogène. Il souligne que l'hydrogène utilisé comme carburant n'est pas produit à bord des véhicules (lien archivé ici).

"Tous ces véhicules génèrent de l'électricité via des piles à combustible alimentées par de l'hydrogène pur, préalablement stocké dans des réservoirs", a-t-il expliqué dans un e-mail du 7 juillet adressé à l'AFP. "Je ne connais aucun véhicule de ce type [capable de produire son propre hydrogène à bord, NDLR], et même théoriquement, il serait extrêmement inefficace et impraticable", a-t-il ajouté.

De son côté, la professeure Boriana Tsaneva, docteure en chimie à la même université, a également confirmé à l'AFP dans un courriel envoyé le 7 juillet qu'"il est techniquement possible d'utiliser l'électrolyse pour exploiter l'énergie résiduelle d'un véhicule en mouvement", mais que cette option est "économiquement injustifiée".

Elle précise que cela s'explique non seulement par le coût élevé et le poids supplémentaire liés à l'installation d'une cellule d'électrolyse et de ses composants électroniques de contrôle, mais aussi par le danger posé par le mélange gazeux explosif produit. Ce mélange, selon elle, ne peut pas être stocké en toute sécurité et doit être introduit immédiatement après sa production. À cela s'ajoute une quantité négligeable d'énergie utilisable générée lorsque le mélange gazeux est brûlé.

L'eau : un moyen de refroidissement, pas un carburant

La confusion à l'origine de certaines affirmations trompeuses pourrait provenir d'un brevet déposé par Toyota en 2023. Celui-ci concerne un moteur à hydrogène doté d'un système de refroidissement à eau. Dans cette conception, l'eau n'est en aucun cas utilisée comme carburant, mais uniquement comme fluide de refroidissement, remplaçant l'air traditionnellement utilisé (lien archivé ici).

Ce système permet de mieux maîtriser les températures élevées générées par la combustion de l'hydrogène. En réduisant ces températures, l'eau permet l'utilisation de matériaux plus légers dans les chambres de combustion et les cylindres, ce qui améliore l'efficacité du moteur tout en réduisant son poids.

Quant à la Toyota Mirai, elle illustre clairement la technologie actuelle du constructeur : ce véhicule de série fonctionne avec une pile à hydrogène qui génère de l'électricité pour alimenter un moteur électrique. L'hydrogène est stocké dans des réservoirs sous haute pression et ravitaillé dans des stations spécialisées. Lors du fonctionnement, la seule émission du véhicule est de la vapeur d'eau – un produit dérivé de la réaction chimique entre l'hydrogène et l'oxygène. Le véhicule ne dispose pas de système d'électrolyse et ne produit pas d'hydrogène à bord. Il est également équipé d'une batterie au lithium-ion (lien archivé ici).

Dans le cadre de sa stratégie à long terme vers une mobilité neutre en carbone, Toyota adopte une approche à choix multiples. Celle-ci comprend le développement de piles à hydrogène, de moteurs à combustion alimentés à l'hydrogène, ainsi que de batteries à l'état solide, qui pourraient offrir des performances supérieures en matière de sécurité, d'autonomie et de puissance (lien archivé ici).

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Captures d'écran du modèle de voiture "Mirai", prises sur le site de Toyota le 01/08/2025.

Toyota utilise également l'électrolyse pour produire de l'hydrogène dans certaines de ses installations, mais ce procédé se déroule exclusivement en dehors des véhicules (lien archivé ici).

Aujourd'hui, les véhicules électriques à batterie dominent le marché des transports à émissions nulles, en raison de leur coût plus abordable, de leur meilleure efficacité énergétique, et d'infrastructures de recharge de plus en plus développées (lien archivé ici).

Cependant, les voitures à hydrogène sont considérées par certains constructeurs automobiles, dont Toyota, comme une solution complémentaire pour le transport lourd et les voyages longue distance. Leur développement à grande échelle reste néanmoins limité par des coûts de production élevés et un réseau de ravitaillement encore peu développé.

La plupart des analystes s'accordent à dire que l'avenir de la mobilité à émissions nulles reposera sur un mélange de technologies : les batteries resteront l'option privilégiée pour les voitures particulières, tandis que l'hydrogène pourrait jouer un rôle stratégique dans des secteurs spécifiques, tels que les camions de transport longue distance, les véhicules utilitaires lourds, ou certains usages industriels (lien archivé ici).

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