
Non, le Sénégal n'a pas récemment durci sa politique migratoire contre les Mauritaniens
- Publié le 07 août 2025 à 12:11
- Mis à jour le 08 août 2025 à 10:16
- Lecture : 6 min
- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Sénégal
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La Mauritanie, frontalière au Sénégal, est devenue l’un des principaux points de transit pour les migrants d’Afrique de l’Ouest en route vers l’Europe. Le pays touché par des flux migratoires intenses a mené de fin février à mi-mars une campagne musclée d'expulsions de migrants sénégalais, maliens, ivoiriens, guinéens, qui a suscité de vives critiques dans la région.
Le gouvernement sénégalais avait exprimé son indignation face aux traitements infligés à ses ressortissants durant ces opérations d'expulsion (lien archivé ici).
Certaines publications affirment qu'en représailles, Dakar viendrait de durcir les conditions d'accès à son territoire pour les ressortissants mauritaniens désirant s'installer durablement au Sénégal.
"Un nouvel accord signé entre la Mauritanie et le Sénégal rebat les cartes de la mobilité entre les deux pays. Désormais, les ressortissants mauritaniens souhaitant s’installer au Sénégal pour une durée supérieure à trois mois devront obtenir une carte de séjour", assure ainsi le 26 juillet une publication "aimée" près de 3.000 fois (lien archivé ici).

"Jusqu’ici tolérée avec une certaine souplesse, leur présence sera désormais soumise à une procédure simplifiée, mais encadrée", poursuit le post.
Cette affirmation est partagée dans de nombreuses publications sur Facebook (comme ici), mais aussi dans certains journaux en ligne, comme chez le média sénégalais "E-media" (archivé ici) ou sur des plateformes mauritaniennes (comme archivé ici).
Bon nombre d’internautes ont salué cette prétendue nouvelle décision, y voyant des représailles justifiées après les mauvais traitements subis par les immigrés sénégalais en Mauritanie. "Le Sénégal doit être beaucoup plus ferme avec la Mauritanie", commente ainsi un internaute sénégalais.
Mais cette affirmation est trompeuse, car les citoyens mauritaniens - comme tous les autres ressortissants étrangers - ont besoin depuis 1971 d’une carte de séjour s’ils restent plus de trois mois au Sénégal, a rappelé le gouvernement sénégalais.
Ancienne législation
Devant l’ampleur qu’a pris la rumeur, le ministère sénégalais des Affaires étrangères a en effet publié le 28 juillet un démenti (archivé ici).
"Contrairement à certaines allégations relayées ces derniers jours, l’État du Sénégal n’a pris aucune mesure de représailles ou de discrimination à l’encontre des citoyens mauritaniens résidant sur son territoire", indique le texte publié sur Facebook.
"L’exigence de la carte de séjour pour tout étranger souhaitant résider au Sénégal au-delà d’une période de trois mois relève d’une disposition légale en vigueur depuis 1971, et applicable à l’ensemble des ressortissants étrangers, quelle que soit leur nationalité", explique le gouvernement sénégalais.
Les conditions d’admission, de séjour et d’établissement des étrangers au Sénégal sont en effet régies par une loi et un décret datant respectivement du 25 janvier et du 28 juillet 1971, comme indiqué sur les sites de diverses ambassades du Sénégal à travers le monde. Ces textes stipulent qu'"aucun étranger n'est admis au Sénégal" s'il n'a pas obtenu au préalable "soit une autorisation de séjour soit une autorisation d'établissement" (loi archivée ici).
Depuis 2015 cependant, les ressortissants d’une vingtaine de pays - dont la Mauritanie - sont exemptés de visa pour entrer au Sénégal s'ils y restent moins de trois mois, précise le site du ministère des Affaires étrangères (archivé ici). Mais la carte de séjour est bien obligatoire passé ce délai pour les citoyens mauritaniens qui désirent s'installer sur le territoire sénégalais, et ce depuis longtemps.
AFP Factuel a cherché en ligne les traces d'une plus récente législation qui durcirait les conditions d'accès au Sénégal pour les citoyens mauritaniens, en vain.
Accord de réciprocité
En revanche, le démenti du ministère sénégalais des Affaires étrangères rappelle que la Mauritanie et le Sénégal ont signé un accord le 2 juin 2025 afin d’harmoniser les conditions de circulation entre les deux pays (article de RFI archivé ici). L’idée de cet accord bilatéral trouvé après les tensions de mars est "d’appliquer le même régime juridique à leurs ressortissants en matière d’entrée, de séjour et d’établissement".
Contrairement à ce qu'affirment certaines publications, cet accord bilatéral récent ne durcit pas les conditions d'accès au territoire sénégalais : le but est plutôt d'alléger les procédures, et surtout, de les harmoniser de part et d'autre de la frontière.
Désormais, Mauritaniens et Sénégalais bénéficieront d'une procédure simplifiée pour obtenir une première carte de séjour chez leur voisin, n'étant plus par exemple dans l'obligation de présenter un contrat de travail lors de leur première demande (lien archivé ici). Ils devront en revanche "justifier de revenus pour la renouveler". Mauritaniens comme Sénégalais devront désormais débourser la même somme pour obtenir ce titre : 300 ouguiyas mauritaniennes ou 5.000 francs CFA, soit dix fois moins qu'auparavant selon la télévision nationale sénégalaise RTS (lien archivé ici).
Le communiqué du ministère publié fin juillet assure que les discussions se poursuivent entre Dakar et Nouakchott pour garantir une application harmonisée de cet accord sur le terrain.
Situation migratoire critique
Le contrôle de l'identité des étrangers représente un véritable défi pour la Mauritanie. Avec la Gambie et le Sénégal, ces trois pays ouest-africains de la côte Atlantique sont le point de départ de milliers d'Africains qui tentent de gagner l'Europe par la mer, principalement via l'archipel espagnol des Canaries.
Selon des données du gouvernement espagnol, relayées par le média public officiel RTVE, 25.081 personnes en situation irrégulière ont quitté la Mauritanie en 2024 pour rejoindre les Canaries, dans des traversées s'avérant souvent dangereuses (lien en espagnol archivé ici).

La vaste campagne d'expulsion orchestrée par la Mauritanie en mars a donné lieu à des évictions et "rafles sélectives" à l'encontre des Sénégalais, dénonçait en mars un représentant de l'ONG Otra Africa (dès la 4ème minute, lien archivé ici). Les expulsions sont "faites dans le respect des conventions internationales", s'est lui défendu le gouvernement mauritanien.
L'AFP était allée fin mars à la rencontre de certains de ces migrants violentés, recueillant notamment le témoignage d'Ismaila, 25 ans, "expulsé avec ses camarades au Sénégal voisin après trois jours de détention sans pouvoir manger ni avoir accès à des toilettes", ou bien celui de Ramatoulaye Camara, qui affirme avoir subi des violences de la part de gardes mauritaniens, en dépit de sa grossesse avancée (dépêche AFP archivée ici).
Malgré la signature début juin de l'accord bilatéral entre Dakar et Nouakchott, "plusieurs Sénégalais continuent de subir des arrestations arbitraires", "y compris lorsqu’ils étaient en possession de documents légaux", affirme la Fédération des Associations et Groupements des Sénégalais en Mauritanie (FAGSEM).
Dans un communiqué très médiatisé datant du 15 juillet, la Fédération a appelé les Sénégalais à observer un arrêt de travail de deux jours et réclamé que les autorités mauritaniennes mettent "fin aux arrestations jugées abusives et à respecter les documents légaux détenus par les ressortissants sénégalais" (lien archivé ici).
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