
Ces billets de francs CFA ne sont pas liés à des “terroristes” voulant attaquer le Mali
- Publié le 30 juillet 2025 à 11:48
- Mis à jour le 30 juillet 2025 à 12:23
- Lecture : 7 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
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"Les terros [terroristes, NDLR] foudroyés et calcinés avec des billets de FCFA dans leur poche, par les vecteurs aériens des FAMa à KIDAL", affirme une publication partagée le 16 juillet sur Facebook.
L’image qui accompagne ce message montre plusieurs billets de banque étalés par terre et à moitié calcinés. Grâce à une rapide recherche en ligne, on constate qu’il s’agit de billets de 10.000 francs CFA utilisés par les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
De nombreuses publications au texte similaire et utilisant la même photo sont partagées depuis le 16 juillet sur Facebook (1, 2) et X (1, 2). Toutes vantent la démonstration de force de l'armée malienne qui serait à la reconquête du pays, confronté à des violences jihadistes depuis une dizaine d'années.
Les publications de ces comptes localisés au Mali et au Burkina Faso suscitent un grand intérêt : ce post Facebook qui affirme montrer, photo à l’appui, “les terro tués avec les billets de CFA à Kidal”, a ainsi reçu plus de 1.500 mentions “j’aime”.

Le franc CFA, monnaie héritée de la colonisation française, est régulièrement présenté par ses détracteurs comme un symbole de servitude et un obstacle à la souveraineté nationale en Afrique.
Depuis que le Niger, le Mali et le Burkina Faso se sont regroupés en 2023 au sein de l’Alliance des Etats du Sahel, le franc CFA est de plus en plus présenté par des comptes pro-régime comme une monnaie qui serait utilisée par des puissances étrangères - notamment la France et ses alliés en Afrique de l’Ouest, dont la Côte d’Ivoire - pour financer le terrorisme dans les trois pays.
“Si l'AES quitte le franc CFA, on verra comment les terroristes vont faire leurs achats dans ces 3 pays et avec quelle monnaie”, commente dans cette logique un internaute résidant à Bamako. “C'est plus que urgent de sortir la nouvelle monnaie AES ", affirme-t-il dans sa publication Facebook, en légende de la photo de billets calcinés.
Mais cette photo n’a en réalité rien à voir avec des “terroristes” prétendument tués au Mali mi-juillet. Elle montre les dégâts engendrés par l’incendie d’un commerce dans le centre de la Côte d’Ivoire.
Incendie d’une boutique en Côte d’ivoire
Afin de retrouver l’origine exacte de cette photo, nous avons effectué une recherche d’image inversée sur divers moteurs de recherche.
Grâce à Google Images, nous retrouvons cette même photo publiée dans de nombreux articles de médias ivoiriens dès le 13 juillet 2025, soit trois jours avant que les pages et comptes pro-AES ne commencent à la reprendre en boucle.
Tous renvoient à l’incendie d’un commerce dans la localité de Mama, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Que ce soit dans cet article du site d’information ivoirien L’Infodrome datant du 13 juillet, ou dans ceux relayés sur les sites Educarriere et Oxygène Bénin (articles archivés ici, ici et là).

Selon ces différents articles, un "violent incendie a ravagé, hier samedi 12 juillet 2025, une boutique de marchandises diverses dans le village de Mama". Une équipe de pompiers venue de la ville voisine de Gagnoa est intervenue pour maîtriser les flammes.
"Malgré leurs efforts, le feu a causé d’importants dégâts", précise dans une dépêche l’Agence de Presse Régionale le 14 juillet 2025. Adou Gérard, le commerçant béninois dont la boutique a pris feu, a perdu "environ sept millions de francs CFA de marchandises et près d’un million de francs CFA en espèces", souligne L’Infodrome, qui précise que “sa caisse contenant sa recette a brûlé” (lien archivé ici).
AFP Factuel a contacté le journaliste Adolphe Angoua, auteur de l’article de L'Infodrome sur l’incendie. Il a indiqué que tous les médias avaient repris ces images "publiées par la page Facebook Fromager 24", un média local qui partage des informations sur la ville de Gagnoa (dont le nom est étymologiquement lié au fromager) et son département. "L’image des billets brûlés fait partie d’un portfolio partagé par cette page le 13 juillet 2025", explique M. Angoua.
L'AFP a effectivement retrouvé le portefolio - qui comporte bien la photo des billets brûlés - publié à cette date sur la page Facebook de Fromager 24 (lien archivé ici). Les clichés sont accompagnés d'un résumé de l'intervention des pompiers, repris d'un rapport du Centre de Protection Civile de Gagnoa. L’administrateur de la page n'a pas pris les photos lui-même, il a indiqué à l'AFP “les avoir reçues d'habitants sur place".

Les billets de banque à moitié calcinés visibles sur les réseaux sociaux montrent donc les conséquences de l’incendie d’une boutique en Côte d’Ivoire et n’ont aucun lien avec l’arrestation de prétendus "terroristes" à Kidal, au Mali.
Rififi au sein de l’UEMOA
Cette fausse information relative au financement du terrorisme au Mali grâce au franc CFA nait alors que la France et la Côte d’Ivoire sont accusés par les pays de l’AES d’être à la manœuvre pour empêcher le Burkina Faso d'assurer la présidence du Conseil des ministres de l’UEMOA, organisation qui chapeaute les huit Etats utilisateurs du franc CFA en Afrique de l'Ouest.
Sous l’une des publications affirmant que les billets brûlés ont été trouvés sur des terroristes, un internaute glisse, en référence à ce contexte, un commentaire hostile aux présidents français et ivoirien.

La présidence tournante du Conseil des ministres, actuellement assurée par la Côte d’Ivoire, est assumée par l’un des ministres des Finances des États membres, choisi par ses homologues pour un mandat de deux ans.
Selon Ouagadougou, soutenu par Niamey et Bamako, la présidence devait revenir au Burkina Faso à l'issue de la 2e session ordinaire annuelle du Conseil, qui se tenait le 11 juillet à Lomé, au Togo. Mais un consensus n'a pu être trouvé et les trois pays de l'AES ont quitté la réunion en signe de protestation.
#Conseil des #Ministres Statutaire de l’#UEMOA, ce 11 juillet 2025 à #Lomé.
— UEMOA_Officiel (@UEMOA_Officiel) July 11, 2025
Des Ministres #Statutaires des 8 Etats membres ainsi que des Chefs des #Organes et #Institutions de l’#Union participent aux travaux. https://t.co/pGguKGNoyrpic.twitter.com/qTQDR5LXIE
Face à cette impasse, l’actuel président statutaire, l’Ivoirien Adama Coulibaly, continue entre-temps d’assurer la direction de l’instance.
La France est encore garante du franc CFA : Paris assure la convertibilité illimitée du franc CFA en euros et l’amène à être l’interlocuteur direct des instances qui gèrent la monnaie commune aux huit pays. D’où les critiques récurrentes de pays en quête de plus de souveraineté nationale, notamment au Sahel.
Ceux-ci ont fait du franc CFA un cheval de bataille. Le chef de la junte militaire du Niger, le général Abdourahamane Tiani, avait annoncé en février 2024 vouloir abandonner cette monnaie et créer à la place “au moment opportun” une monnaie commune au sein de l'AES, afin que les états reprennent le contrôle de leur souveraineté monétaire. Mais aucune avancée concrète n’a eu lieu depuis.
Les attaques contre le franc CFA et la propagande autour d’une monnaie commune aux Etats de l’AES sont fréquentes sur les réseaux sociaux. AFP Factuel a déjà déconstruit plusieurs fausses informations sur ce projet monétaire, comme ici ou là.
Article mis à jour le 30/07 à 12H22 avec la bonne typographie pour le chapeau30 juillet 2025 Article mis à jour le 30/07 à 12H22 avec la bonne typographie pour le chapeau