Non, cette photo ne montre pas les nouveaux billets de banque de l'Alliance des Etats du Sahel
- Publié le 14 février 2024 à 15:57
- Lecture : 7 min
- Par : Emilie BERAUD, AFP Afrique
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Sur la photographie diffusée en ligne, deux hommes prennent la pause et tiennent à quatre mains un billet de banque de taille imposante, affichant la valeur "5 000".
A droite, en tenue militaire, on reconnaît le chef de la junte malienne Assimi Goïta, arrivé à la tête du pays à l'issue d'un coup d'Etat en août 2020.
"BRAVO, C'EST FAIT, ICI LE SPÉCIMEN DE LA NOUVELLE MONNAIE DE L'ALLIANCE DES ÉTATS DU SAHEL (AES) COMPOSÉE DU MALI, BURKINA, ET NIGER. C'EST L'AFRIQUE QUI GAGNE! (sic)", s'enthousiasment depuis le début du mois de février 2024 plusieurs pages Facebook pro-junte, en légende de cette photo (liens archivés ici, ici et ici).
Depuis le Mali, la France ou encore les Etats-Unis, elles prétendent dévoiler un exemplaire de la nouvelle devise qui aurait été mise en circulation au Mali, au Niger et au Burkina Faso, pays d'Afrique de l'ouest qui utilisent le franc CFA depuis des décennies.
En septembre 2023, ces trois Etats ont créé l'Alliance des Etats du Sahel, une union diplomatique, économique et sécuritaire.
En parallèle, leurs régimes ont aussi annoncé à la fin du mois de janvier leur volonté de se retirer de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), organisation économique régionale composée de 15 pays qui s’est opposée aux coups d’Etat ayant successivement porté au pouvoir les militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger (lien archivé ici).
Les posts diffusés sur Facebook et X cumulent parfois des centaines de commentaires adressant des félicitations aux trois pays sahéliens, sans remettre en cause la crédibilité de la scène, ni la fiabilité des pages qui la partagent :
Dès la fin du mois de novembre 2023, l’ambition de créer une monnaie commune a bel et bien été évoquée par les pays membres de l'AES. Depuis, les rumeurs sur la mise en circulation d'une devise "sahelienne" inondent les réseaux sociaux, bien que les conditions de la création d'une union monétaire soient loin d’être réunies.
La photo qui montrerait un billet de cette nouvelle monnaie, quant à elle, est un grossier montage : l'originale a été prise lors de l'inauguration du nouveau code minier malien en août 2023.
Un montage réalisé à partir d'une ancienne photo
Pour retrouver la photographie d'origine, nous avons réalisé une recherche d'image inversée sur le moteur de recherche Google, qui nous a conduit au compte X de la présidence malienne.
On y lit un tweet, posté le 29 août 2023, indiquant : "Son Excellence le Col @GoitaAssimi, Président de la Transition, Chef de l’Etat a promulgué, ce lundi 28 août 2023, le nouveau code minier, renforçant ainsi les intérêts de l’Etat" (lien archivé ici).
Ce texte est accompagné de trois photos dont l'une, située en haut à droite, ressemble en tout point à celle qui est diffusée sur les réseaux sociaux.
Son Excellence le Col @GoitaAssimi , Président de la Transition, Chef de l’Etat a promulgué, ce lundi 28 août 2023, le nouveau code minier, renforçant ainsi les intérêts de l’Etat. pic.twitter.com/KWBXYZHf17
— Presidence Mali (@PresidenceMali) August 29, 2023
En effet, la composition des deux images est identique : deux hommes occupent le premier plan, dont le colonel Assimi Goïta, en treillis militaire, tandis que deux autres se tiennent au second plan (encadrés en rouge ci-dessous).
Par la même, les principaux protagonistes portent les mêmes accessoires que sur la photo que nous vérifions, à savoir une cravate de couleur bleue claire (encadrée en jaune) et une montre noire (encadrée en bleu) :
"Le Mali a adopté (...) un nouveau code minier permettant à l'État de prendre jusqu'à 30% de participation dans les nouveaux projets et d'augmenter les revenus tirés d'un secteur capital pour l'économie nationale. Le chef de l'État, le colonel Assimi Goïta, a promulgué le code lundi, a indiqué la présidence sur les réseaux sociaux", peut-on ainsi lire dans une dépêche de l'AFP datant du 29 août 2023 (lien archivé ici).
Sur la photographie originale, les hommes installés au premier plan tiennent entre leurs mains un livret portant l'inscription "Audit des mines du Mali. Restitution - Cadre institutionnel" (encadré en bleu ci-dessous), et non pas un billet de banque aux dimensions disproportionnées comme le laissent croire les publications relayées sur les réseaux sociaux (encadré en jaune ci-dessous).
Le colonel Assimi Goïta et le ministre malien de l'Economie et des Finances
Afin d'identifier l'homme situé à gauche de la photo, nous avons utilisé l'outil de reconnaissance faciale PimEyes, qui nous a permis de retrouver des photographies, disponibles en ligne, montrant un visage similaire (lien archivé ici).
Sur l'une d'entre elles en particulier, située en bas à gauche ci-dessous, l'homme présente les mêmes expressions faciales que sur la photo que nous vérifions.
Nous l'avons retrouvée sur plusieurs sites d'information locale (liens archivés ici et ici) où cet individu est présenté comme Alousséni Sanou, le ministre malien de l’Économie et des Finances.
Par ailleurs, la photo située en haut à droite des résultats PimEyes a été utilisée pour illustrer un portrait publié par le média français Jeune Afrique et consacré à Alousséni Sanou, "le ministre sur lequel Goïta s’appuie pour contourner les sanctions" (lien archivé ici).
Pas de monnaie sahélienne
Les rumeurs autour d'une prétendue nouvelle monnaie commune entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux fin novembre, soit moins de trois mois après la création de l'AES.
Depuis 2020, ces trois pays ont vu accéder par la force à leur tête des officiers jurant de reprendre en main un destin national abandonné selon eux aux étrangers, au premier rang desquels les Français.
Ils ont chassé les soldats et les ambassadeurs français, se sont tournés vers de nouveaux partenaires, dont les Russes, et ont remis en cause un ordre défendu par la Communauté des Etats ouest-africains (Cedeao) (lien archivé ici).
Le 11 février, le chef du régime militaire issu d'un coup d'Etat au Niger a évoqué la possible création d'une monnaie commune avec le Burkina Faso et le Mali, comme une "étape de sortie" de la "colonisation" (lien archivé ici).
Le dirigeant nigérien n'a cependant pas donné de précisions sur la possible mise en circulation d'une future monnaie. Celle-ci pourrait, au sein de l'AES, remplacer le franc CFA, aujourd'hui commun aux huit pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), dont le Niger, le Burkina Faso et le Mali font toujours partie.
Les vives critiques formulées par ces trois pays sahéliens et leurs partisans à l’encontre du franc CFA pourraient également les conduire à quitter l'UEMOA. En novembre, les ministres de l’Économie et des Finances de l'AES avaient notamment recommandé la création d'un fonds de stabilisation et d'une banque d'investissement.
Ces recommandations avaient relancé le débat sur le franc CFA utilisé dans les trois pays, mais aucune nouvelle monnaie n'a été instituée officiellement ou dévoilée depuis.
AFP Factuel a déjà vérifié plusieurs publications prétendant dévoiler la nouvelle monnaie de l'AES, en utilisant soit des montages (comme ici) ou des vidéos décontextualisées (comme ici).