
Attention, cette vidéo montre une manifestation au Kenya, et non au Togo
- Publié le 10 juillet 2025 à 18:49
- Lecture : 8 min
- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Sénégal
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
Au cours du mois de juin 2025, plusieurs vagues de manifestations violemment réprimées par les forces de l’ordre ont secoué les rues de Lomé, la capitale du Togo, faisant au moins cinq morts (dépêche AFP archivée ici).
Les citoyens de cet Etat d’Afrique de l’Ouest ont protesté contre les arrestations visant des voix critiques du régime, la hausse du prix de l’électricité et une récente réforme constitutionnelle, qui permet depuis l’an dernier au président Faure Gnassingbé de consolider son pouvoir via le passage à un régime parlementaire dont il occupe la plus haute fonction (lien archivé ici). Selon l’opposition, ce changement devrait permettre à celui qui dirige le pays depuis 2005 de se maintenir indéfiniment au pouvoir.
Les importantes manifestations pour protester contre cette modification ont été largement documentées sur les réseaux sociaux, afin notamment de dénoncer la violence des forces de l’ordre.
C'est dans ce contexte qu'une vidéo de 22 secondes, montrant des centaines de personnes dispersées sur une autoroute à quatre voies, est largement repartagée et commentée sur les réseaux sociaux (liens archivés ici et ici). Elle cumule des dizaines de milliers de vues dans des publications partagées notamment depuis le Bénin, le Mali et le Burkina Faso.

Elle montrerait un “troisième jour de manifestations à Lomé, dans un climat de tension et de deuil”, affirme ainsi un internaute qui la partage sur Instagram. “Résistance au Togo”, assure aussi cet autre utilisateur sur Facebook, en légende de la même vidéo (archivée ici).
La séquence, accompagnée d'une légende similaire en anglais, est également vastement partagée en Afrique anglophone, comme dans cette publication d'une page basée au Nigeria, qui a fait réagir plus de 2.600 personnes.
Mais attention, cette vidéo montre en réalité une manifestation qui a eu lieu au Kenya, près de Nairobi, la capitale.
Des paroles en swahili
Plusieurs personnes avancent dans les commentaires de ces publications que la scène n'a pas été filmée au Togo mais au Kenya, car certains affirment avoir reconnu des mots en swahili, l’une de deux langues nationales de ce pays.
Une information confirmée par une fact-checkeuse de l’AFP basée à Nairobi. "On entend effectivement un mélange de swahili et d’anglais dans cette phrase prononcée à la 16ème seconde de la vidéo : 'wana retaliate'. Le premier mot 'wana' est du swahili" et signifie en français "ils sont en train de", précise-t-elle, "tandis que le second, 'retaliate', est un mot anglais", qui signifie "riposter par la force".
Le swahili est parlé dans de nombreux pays de l’Afrique de l’Est et une partie de l’Afrique centrale : au Kenya donc, mais aussi en Tanzanie, en République Démocratique du Congo, en Ouganda, au Rwanda ou encore au Burundi. Il n’est cependant - comme l’anglais - quasiment pas parlé au Togo, pays d’Afrique de l’ouest.
La langue officielle du Togo est le français, parlé par 40% de la population. Le pays compte aussi deux langues nationales : l’éwé et le kabiyè.
Vidéo tournée sur un grand axe routier de Nairobi
Par ailleurs, on remarque sur la vidéo virale le filigrane d’un nom de compte TikTok, @makofonyo3. On retrouve effectivement sur ce compte la vidéo en question, publiée le 25 juin 2025 sans plus de détails en légende (lien archivé ici).
Cependant, plusieurs autres vidéos de cet utilisateur sont présentées comme montrant Nairobi (ici via les hashtags ou encore là dans la vidéo elle-même).
Une publication attire particulièrement notre attention : le compte a diffusé le même jour que la vidéo que nous analysons une autre séquence de 25 secondes aux images très similaires (lien archivé ici). On y reconnaît la même autoroute à quatre voies et quelques éléments de décor, mais à un endroit légèrement différent, qui nous donne de nouveaux indices visuels.
On distingue en particulier, dès la 16ème seconde, un panneau d'autoroute indiquant plusieurs directions, dont “Nairobi”, la capitale du Kenya, “Kamiti Road", une route urbaine à Nairobi, ou encore "Garden City", un centre commercial situé le long de Thika Road, axe majeur de la capitale aussi appelé A2. On remarque d’ailleurs que le panneau mentionne qu’on se trouve sur cet axe A2, et précise qu’on se trouve à proximité de la sortie 8.

Encadré rouge rajouté par la rédaction de l'AFP.
A partir de ces indices, AFP Factuel a pu localiser le lieu précis où les deux vidéos ont été tournées, en recourant à une géolocalisation sur Google Maps (lien archivé ici). Les deux scènes ont en réalité été tournées à quelques mètres d'écart. On reconnaît sur les images de Google Maps, qui datent de juillet 2024, le même pont et les mêmes bâtiments que sur les deux vidéos publiées par @makofonyo3, ainsi que la structure métallique au milieu de la quatre voies.

Encadrés rajoutés par la rédaction de l'AFP.

Encadré rouge rajouté par la rédaction de l'AFP.

Encadrés rajoutés par la rédaction de l'AFP.

Encadré rouge rajouté par la rédaction de l'AFP.
La vidéo qui circule n’a donc aucun lien avec le Togo, où de nouvelles manifestations sont prévues les 16 et 17 juillet, pour les municipales dont l’opposition réclame le report.
Elle a été filmée sur une voie rapide au Kenya, pays lui aussi en proie depuis fin juin à des manifestations durement réprimées.
Manifestations contre le président kényan
Le 25 juin, des milliers de manifestants kényans sont descendus dans les rues de Nairobi, de la grande ville côtière de Mobasa et d’autres comtés du pays pour commémorer la mort un an auparavant de 60 personnes, tuées lors de la prise de l’hémicycle par des milliers de jeunes réclamant la démission du président William Ruto.
Ces marches ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre et ont ravivé la contestation antigouvernementale (vidéo AFP archivée ici).

Plusieurs médias kényans mentionnent Thika Road dans leurs articles sur le sujet. Le média Citizen TV Kenya explique ainsi que "la police affronte les manifestants le long de Thika Road" (lien archivé ici). Le Daily Nation publie lui une série de photos sur lesquelles on reconnaît à plusieurs reprises l’autoroute à quatre voies (lien archivé ici).
Après cette répression violente, le gouvernement kényan avait affirmé avoir "déjoué un coup d’État" et dénoncé "du terrorisme déguisé en contestation". Depuis, le président William Ruto ne cesse de mettre en garde ceux qui voudraient "renverser" le gouvernement. Élu en 2022 après avoir mené campagne en faveur des plus démunis, il fait face depuis 2024 à un vaste mouvement de protestation contre sa politique économique.
Lundi 7 juillet, de nouvelles manifestations, qui devaient marquer un hommage au mouvement pro-démocratie des années 1990 au Kenya, ont fait au moins 31 morts, 107 blessés, 2 disparitions forcées et engendré 532 arrestations, selon la Commission nationale des droits humains (KNCHR), institution publique indépendante.
Les organisations de défense des droits humains et l'ONU ont critiqué les violences des forces de l'ordre durant les manifestations (lien archivé ici).