Non, l'État n'a pas exigé le retrait d'un drapeau français d'un jardin

Le témoignage en vidéo d'une femme, priée de retirer un drapeau français de son jardin, est largement partagé sur les réseaux sociaux. Selon les publications virales, cette demande lui est faite dans un courrier émanant de "l'État", avec pour motif invoqué la nécessité d'"éviter tout débordement". Cette vidéo provient d'un véritable reportage publié par Nice-Matin en 2016. Mais s'il y est effectivement question d'une demande de retrait d'un drapeau tricolore, cette requête est liée à un différend de voisinage. Et elle est formulée par un syndic de copropriété, pas par une autorité publique.

Une femme lit à voix haute un courrier qu'elle tient entre ses mains: "Madame, Monsieur, suite à notre dernière visite d'immeuble, nous avons pu constater l'installation d'un drapeau français dans votre jardin. Nous tenions à vous remercier de votre patriotisme, mais sachant que les activités sportives estivales sont terminées, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir le déposer afin d'éviter tout débordement. Comptant sur votre collaboration et votre compréhension".

Ce témoignage est relayé dans une courte vidéo TikTok, publiée le 1er juin 2025 - déjà visionnée près de 600.000 fois et cumulant plus de 30.000 "j'aime". Une phrase en lettres majuscules est inscrite sur ces images : "L'ÉTAT LUI DEMANDE D'ENLEVER SON DRAPEAU FRANÇAIS POUR ÉVITER TOUT DÉBORDEMENT".

Des messages similaires circulent également sur TikTok, Facebook (1, 2, 3), X et YouTube.

Sous la publication, de nombreux internautes s'offusquent de cette demande : "C'est dingue on est en France !!! L’état interdit le drapeau national ?", écrit l'un. "par contre le drapeau palestinien ça dérange pas!", ajoute un autre. Plusieurs internautes affirment que la France serait "le seul pays au monde où on te demande de retirer ton drapeau".

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et TikTok (à droite) le 05/06/2025. Croix rouges ajoutées par l'AFP.

Mais l'affirmation selon laquelle l'État aurait demandé à cette femme de retirer le drapeau français installé dans son jardin, et ce afin d'éviter "tout débordement", est fausse.

Un courriel envoyé par un syndic en 2016

Une recherche d'image inversée a permis à l'AFP de retrouver la vidéo originale dont est tirée la séquence devenue virale sur les réseaux sociaux. Intitulé "Nice : Son syndic lui demande d'enlever le drapeau français de son balcon", ce reportage de Nice-Matin avait été publié sur Dailymotion le 18 septembre 2016.

On y voit une retraitée niçoise expliquer les raisons pour lesquelles elle a installé un drapeau tricolore dans son jardin. Elle y lit ensuite une lettre, dans laquelle il lui est demandé de le retirer (liens archivés ici et ici).

À aucun moment du reportage il n'est dit que cette demande de retrait viendrait de l'État ou d'une autre autorité publique.

Dans la description accompagnant la vidéo sur Dailymotion, on peut lire: "suite à un différend avec son voisin, Madame Panicali, retraitée habitant à Nice, se voit dans l'obligation d'enlever le drapeau français qu'elle a mis dans son jardin en hommage aux victimes de l'attentant de Nice" du 14 juillet 2016.

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Captures d'écran du reportage de Nice-Matin prises sur Dailymotion le 06/06/2025.

La retraitée explique avoir installé son étendard tricolore dans son jardin quelques jours avant la finale de l'Euro de football, le 10 juillet 2016. "Et puis, il y a eu le 14 juillet, donc là, c'était pour noter la fête nationale", ajoute-t-elle.

Après l'attentat terroriste du 14 juillet à Nice - qui a fait 86 morts et quelque 400 blessés -, elle et son mari décident de laisser le drapeau en place, dit-elle. "On a dit 'Bon, on fait comme à Paris : on laisse le drapeau en mémoire des victimes'" (lien archivé ici).

Selon son témoignage, c'est à la suite de plaintes d'un voisin que la situation s'est envenimée : "Une personne de l'immeuble (...) m'a téléphoné assez violemment (...) pour me dire que c'était franchouillard, qu'il fallait que je l'enlève, que ça ne se faisait pas, qu'ils en avaient assez déjà de la vue de celui qu'ils avaient à côté. Et j'ai dit 'Non, je n'enlèverai pas'. Et donc c'est par la voie du syndic qu'on a reçu la lettre", explique-t-elle dans le reportage.

Par ailleurs, le logotype de Foncia, un gestionnaire de copropriété, est reconnaissable sur la lettre montrée dans le reportage.

Le 18 septembre 2016, soit le jour de la publication du reportage par Nice-Matin, Foncia avait d'ailleurs communiqué au sujet de cette histoire et de ce courrier envoyé par l'une de ses agences locales, en présentant ses excuses sur Facebook pour le ton employé dans cette lettre (lien archivé ici).

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Captures d'écran prises sur Dailymotion (à gauche) et Facebook (à droite) le 05/06/2025. Encadrés verts ajoutés par l'AFP.

Contacté par l'AFP le 6 juin 2025, le syndic a précisé que "le règlement de copropriété en vigueur sur cette copropriété interdisait expressément l'accrochage de tout objet sur les façades et balcons de l'immeuble, quelle que soit leur nature".

"Ainsi, à la suite d'une demande d'une copropriétaire, le sujet avait été inscrit à l'ordre du jour de la prochaine assemblée générale. La gestionnaire de la résidence avait alors, dans le cadre de l'application du règlement, adressé un courrier au copropriétaire concerné", explique le groupe Foncia.

"La formulation du courrier, reflet d'une initiative isolée non représentative des méthodes et valeurs du groupe, avait conduit la direction de Foncia à l'époque à exprimer publiquement ses regrets quant à la maladresse du ton employé. Aujourd'hui, nous réaffirmons notre attachement aux principes de dialogue, de respect des libertés individuelles et aux valeurs républicaines, tout en veillant à faire appliquer les règlements de copropriété dans un esprit de mesure et de responsabilité", conclut le syndic.

L'affaire avait été "amplifiée localement puis nationalement" dès 2016, relève le syndic, notamment sur les réseaux sociaux et par certains acteurs politiques.

À l'époque, Libération rapportait que cette affaire avait été relayée par des personnalités politiques de droite et d'extrême droite. Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) ou encore Florian Philippot, alors vice-président du Front national (devenu depuis Rassemblement national), s'étaient notamment indignés d'un "délire anti-patriotique" et avaient encouragé les Français à accrocher le drapeau tricolore à leurs fenêtres par "fierté" pour leur pays (liens archivés ici, ici et ici).

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