Ces vidéos ne montrent pas le départ des troupes françaises du Sénégal

Le gouvernement sénégalais a annoncé en novembre 2024 que la France devra fermer ses bases militaires au Sénégal d'ici fin 2025. Surfant sur cette décision, des messages vastement partagés fin avril sur les réseaux sociaux ouest-africains prétendent montrer, vidéos à l’appui, le départ des troupes françaises de Dakar. Mais c’est faux : plusieurs indices visuels indiquent que ces images montrent en réalité des troupes néerlandaises, ce qu'ont confirmé à l'AFP les porte-parole des armées française et néerlandaise. Ces unités des Pays-Bas se trouvent au Sénégal dans le cadre de l'opération "African Lion", vaste exercice militaire international organisé en Afrique par l'armée américaine depuis 21 ans. 

"Le lundi 28 avril 2025, un convoi de véhicules militaires français a quitté la capitale du Sénégal", affirme un message largement diffusé dans le pays et chez ses voisins ouest-africains (archivés ici ou encore ici). "La France commence à retirer ses troupes du Sénégal, suivant la décision du président Bassirou Diomaye Faye de mettre fin à toute présence militaire étrangère", rajoute cette publication, qui cumule plus de 50.000 mentions “j’aime”.  

Deux vidéos censées montrer le convoi de militaires français quittant le Sénégal sont à l'origine de cette allégation et parfois brandies comme preuves dans certaines publications. 

Dans la première (archivée ici), on voit des camions, pick-up et blindés militaires traverser ce qui semble être un quartier urbain. Quelques personnes observent la scène, debout sur des trottoirs en terre ou bien depuis les traditionnelles charrettes qui circulent dans les rues du Sénégal.

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 14 mai 2025

Une deuxième vidéo (archivée ici) de 38 secondes montre une quinzaine de véhicules militaires circuler sur une voie rapide bitumée, croisant plusieurs voitures civiles.

Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye avait annoncé en novembre 2024 que la France allait devoir fermer ses bases militaires au Sénégal, jugeant la présence de forces militaires étrangères incompatibles avec la souveraineté du pays (dépêche AFP archivée ici). 

Pour autant, le retrait des troupes françaises n’a pas encore commencé à Dakar, a affirmé l’armée française. Et les images brandies comme preuves dans les publications virales montrent en réalité des troupes néerlandaises en mission au Sénégal. 

Démenti officiel et indices visuels

Contacté par l’AFP, le porte-parole de l'Etat-major des armées françaises a indiqué le 3 mai 2025 que l’allégation selon laquelle ses troupes auraient quitté Dakar le 28 avril est "fausse". 

Il n’y a pas encore de calendrier officiel pour le départ effectif des troupes françaises du Sénégal. En revanche, dans son allocution de fin d’année, le président sénégalais a annoncé "la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025" (lien archivé ici). 

"Le convoi dont il est question" dans les publications virales, qui a bien "circulé à Dakar le 28 avril", "n’est pas constitué de véhicules français mais de véhicules néerlandais", a ajouté le représentant de l'état-major des armées françaises. 

Un militaire, au volant de l’un des véhicules visibles dans la première vidéo virale, porte en effet un écusson tricolore à trois bandes horizontales rouge, blanche et bleue, correspondant au drapeau des Pays-Bas.

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Capture d'écran d'une publication Facebook réalisée le 13 mai 2025, mettant en évidence l'écusson rouge-blanc-bleu du drapeau des Pays-bas
Encadrement et croix en rouge rajoutés par la rédaction de l'AFP

Nous avons en effet retrouvé sur le site officiel du ministère néerlandais de la Défense le même modèle de véhicule Fennek que celui de la vidéo virale (lien archivé ici).

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Comparaison entre le véhicule Fennek présent dans la vidéo virale (à gauche) et un Fennek présenté sur le site du ministère néerlandais de la Défense (à droite)
Captures d'écran réalisées le 6 mai 2025 / Encadrement rouge rajouté par la rédaction de l'AFP

Confirmation néerlandaise

L’armée néerlandaise a confirmé le 9 mai 2025 à l’AFP que les vidéos virales montrent bel et bien un convoi leur appartenant, identifiant formellement 13 des 15 véhicules militaires qui défilent dans la seconde vidéo.

"Les deux vidéos montrent nos unités de forces terrestres néerlandaises, actuellement en exercice au Sénégal", et plus précisément la "42BVE" (42e escadron de brigade de reconnaissance), précise Christel Swiers, cheffe de la communication de la 13e Brigade légère, l'une des trois unités constituant l’armée de terre néerlandaise.  

Selon elle, les deux séquences montrent le départ des troupes de Dakar et sont d’autant plus identifiables qu’un véhicule "est tombé en panne" lors de ce mouvement. Il est en effet visible dans la première vidéo (dès la 45ème seconde), remorqué à l’arrière d’un camion. 

Ces forces armées des Pays-Bas sont présentes au Sénégal dans le cadre de l’opération "African Lion", a précisé Mme Swiers. Il s’agit d’un exercice militaire annuel organisé depuis 21 ans par l’armée américaine, que le Commandements des Etats-Unis pour l'Afrique (AFRICOM) décrit comme "le plus grand exercice annuel multinational" qu'il organise (lien archivé ici).

Opération "African Lion"

L’édition 2025 se déroule du 14 avril au 23 mai "au Ghana, au Maroc, au Sénégal et en Tunisie", selon un communiqué de presse des forces armées américaines, et mobilise "plus de 10.000 soldats de plus de 50 pays, dont sept alliés de l'OTAN" (lien archivé ici). 

L’étape du Sénégal, à laquelle participent exclusivement la Côte d'Ivoire, la Mauritanie, les Pays-Bas et les États-Unis, se déroule du 3 au 15 mai "dans les centres de formation tactique des villes de Dodji et Thiès", situées respectivement dans le nord-est et l'ouest du pays, détaille la Direction de l’information des armées sénégalaises (Dirpa) dans un communiqué diffusé sur X (archivé ici). 

Ces mouvements de troupes étaient donc connus à l’avance, et une partie des militaires est passée par Dakar en amont de ces exercices.

C’est le cas notamment de l’armée néerlandaise, qui avait ainsi précisé le 1er mai sur une page Facebook officielle que la 42BVE était arrivé à Dakar "pour participer" à cet "exercice international d’envergure" (publication en néerlandais archivée ici). Une information aussi diffusée sur le compte Instagram de la 42BVE, dans une publication agrémentée de photos où l'on reconnait plusieurs véhicules semblables à ceux des vidéos virales (lien archivé ici).

Selon une liste diffusée sur le site de l’armée américaine, la France ne fait pas partie des pays engagés dans l’exercice en cours au Sénégal (lien archivé ici). Des troupes françaises sont cependant bien présentes dans le pays, où la France est militairement installée depuis 1960. 

Souveraineté 

Le Sénégal est en effet resté après son indépendance en 1960 l'un des alliés africains les plus sûrs de la France. Mais le président sénégalais élu en 2024, Bassirou Diomaye Faye, a promis de traiter désormais l'ancienne puissance coloniale à l'égal des autres partenaires étrangers et a demandé en novembre à la France de fermer ses bases militaires dans le pays, jugeant la présence de forces militaires étrangères incompatibles avec la souveraineté (dépêche AFP archivée ici). 

Le processus de départ a été amorcé. Une commission conjointe avec Dakar a été mise en place mi-février pour organiser les modalités de départ des Eléments français au Sénégal (EFS) et la restitution de leurs emprises d'ici fin 2025. Ce mouvement a officiellement débuté le 7 mars, avec notamment la restitution d'infrastructures et de logements dans les quartiers Maréchal et Saint-Exupéry, à Dakar (lien archivé ici).

Dans un entretien avec l’AFP, Bassirou Diomaye a assuré que la France restera cependant "un partenaire important pour le Sénégal au regard du niveau d’investissement, de la présence de sociétés françaises et même de citoyens français qui sont au Sénégal" (dépêche archivée ici).

Globalement, la présence militaire française diminue en Afrique. Quatre autres anciennes colonies françaises - le Niger, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso - ont enjoint à Paris de retirer son armée de leurs territoires après des années de présence militaire, et se sont rapprochées de Moscou.

Les personnels français diminuent parallèlement en Côte d'Ivoire et au Gabon, conformément à un plan de restructuration de la présence militaire française en Afrique de l'Ouest et centrale. La France a ainsi rétrocédé le 20 février à la Côte d'Ivoire la grande base militaire historique qu'elle occupait depuis près de 50 ans près de la capitale économique Abidjan.

Ajoute précision au deuxième paragraphe
14 mai 2025 Ajoute précision au deuxième paragraphe

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