Marine Le Pen, présidente du groupe parlementaire du Rassemblement national (RN), arrive au tribunal de Paris, le 31 mars 2025. (AFP / Alain JOCARD)

Marine Le Pen a-t-elle été visée par un jugement "politique" ? Ce que dit le droit

Depuis sa condamnation à une inéligibilité immédiate le 31 mars 2025 dans l'affaire des assistants parlementaires européens de son parti, Marine Le Pen et son camp martèlent qu'il s'agit d'une décision "politique" et que "l'Etat de droit a été totalement violé". La décision de justice en question a cependant été motivée par le tribunal dans son jugement de 152 pages qui met l'accent sur "la gravité" des infractions commises et explique la base légale de la condamnation.

Le tribunal de Paris a condamné le 31 mars 2025 Marine Le Pen à une inéligibilité immédiate pour cinq ans dans l'affaire des assistants parlementaires européen du RN - une peine qui compromet sa candidature à la présidentielle de 2027 (archive).

La cheffe de file de l'extrême droite française a également écopé d'une peine d'emprisonnement de quatre ans dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique et d'une amende de 100.000 euros.

Outre Marine Le Pen, 23 personnes -  cadres historiques du RN, garde du corps, secrétaire ou encore comptables - ainsi que le parti ont été condamnés. Le RN a été condamné à une peine de 2 millions d'euros, dont un million ferme, et une confiscation d'1 million d'euros saisis pendant l'instruction. 

"L'Etat de droit a été totalement violé" par "une décision politique", a réagi Marine Le Pen dans la soirée sur TF1, évoquant un "jour funeste pour notre démocratie" et des pratiques "réservées aux régimes autoritaires" (archive).

"La justice n'est pas politique, cette décision n'est pas une décision politique mais judiciaire, rendue par trois juges indépendants, impartiaux", a répondu le 1er avril l'un des deux plus hauts magistrats de France, le procureur général près la Cour de Cassation Rémy Heitz, sur RTL (archives 1, 2). Il s'agit d'"une décision rendue à l'issue d'un débat contradictoire et conformément aux règles qui sont le socle de notre démocratie", a-t-il ajouté. "Les juges ont appliqué la loi et des peines qui étaient encourues par les prévenus".

La condamnation de Marine Le Pen reflète une stricte application du droit, "sans déni de démocratie", "ni gouvernement des juges", car ceux-ci ne sont que "la bouche de la loi", a analysé la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, dans un entretien à l'AFP le 31 mars (archives 1, 2).

Une décision de justice qui n'est pas inédite

Marine Le Pen n'est pas la première élue à être condamnée à une peine d'inéligibilité immédiate. 

L'ex-secrétaire d'Etat PS Thierry Mandon (escroquerie) et l'ex-député LR Philippe Cochet (affaire d'emploi fictif de son épouse) l'ont été en 2024, comme Hubert Falco, qui a perdu la mairie de Toulon après une condamnation pour manquements à sa probité d'élu en 2023 (archives 1, 2, 3).

Du côté des parlementaires, les sénateurs Gaston Flosse (DVD) ou Jean-Noël Guerini (PS) ont aussi été condamnés à des peines d'inéligibilité immédiate -respectivement pour détournements de fonds publics et marchés truqués- mais ont conservé leurs mandats, le Conseil constitutionnel refusant de déchoir les parlementaires nationaux d'un mandat en cours (archives 1, 2).

Ainsi Marine Le Pen ne perdra pas son mandat de députée du Pas-de-Calais.

Inéligibilité facultative mais "nécessaire" dans ce dossier

La peine d'inéligibilité n'était pas obligatoire dans le dossier concernant le Rassemblement national (RN) car le tribunal a raccourci finalement, par rapport au parquet, la période retenue des faits (de 2004 à février 2016).

Comme on ne peut pas user d'une loi postérieure aux faits, la loi Sapin II de décembre 2016 ne s'applique pas : or, c'est ce texte qui a rendu l'inéligibilité obligatoire pour le détournement de fonds publics (archive). 

Le tribunal estime cependant dans son jugement, consulté par l'AFP et dont le journal Le Monde a publié de larges extraits, que l'interdiction d'être candidat à une élection, à défaut d'être légalement obligatoire, était "nécessaire" dans ce dossier (archive).

"En l'espèce, les infractions commises dont la gravité a été relevée, sont liées à l’exercice d’un mandat électif public et ont précisément constitué, au-delà des manquements à l’exigence de probité, une atteinte aux règles du jeu démocratique au préjudice du corps électoral dans son ensemble", souligne le tribunal.

Il relève aussi qu'"une telle peine complémentaire répond de façon particulièrement adaptée à la double fonction punitive et dissuasive prévue par la loi".

Dans les affaires de probité, il est habituel que les élus - soumis à un "devoir d'exemplarité" - y soient condamnés, même pour des faits remontant à une époque où elle n'était pas obligatoire.

Ainsi, dans le dossier des assistants d'eurodéputés du MoDem, le tribunal avait aussi estimé "nécessaire" de prononcer une inéligibilité pour certains prévenus alors qu'elle était facultative (archive). Tout en jugeant que les peines devaient être "mitigées" car les détournements n'avaient pas été "systématiques" (dix contrats pour 250.000 euros retenus).

Dans l'affaire du RN (une quarantaine de contrats et 4,4 millions d'euros détournés), la "gravité" des faits justifie selon le tribunal de prononcer l'inéligibilité pour tous ceux qui étaient élus, le sont "devenus" après les faits ou sont "susceptibles de le devenir".

Exécution immédiate "proportionnée"

Quant à l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité, prévue par la loi depuis 1994, elle est prononcée quand les juges veulent empêcher un risque de récidive qu'ils estiment immédiat (archive).

Pour autant, elle doit être "proportionnée", rappelle le tribunal, qui fait des distinctions parmi les condamnés - contrairement au parquet qui l'avait requise pour tous les prévenus.

Ainsi, seuls huit des 12 ex-assistants parlementaires écopent d'une peine d'inéligibilité, et une seule d'entre eux avec un effet immédiat. L'actuel député RN de l'Yonne, Julien Odoul, y échappe par exemple.

Les neuf ex-eurodéputés jugés ont tous été condamnés à une peine d'inéligibilité. Mais avec effet immédiat pour seulement trois d'entre eux, dont Marine Le Pen. Pour le vice-président du RN Louis Aliot par exemple, le tribunal considère que cette application instantanée n'est pas "proportionnée" vu les montants des détournements le concernant et les conséquences (il aurait perdu la mairie de Perpignan).

Marine Le Pen "au cœur" d'un "système frauduleux"

Concernant Marine Le Pen, le tribunal estime "nécessaire" de prononcer cinq ans d'inéligibilité immédiate, en plus de deux ans de prison ferme (directement aménagés sous bracelet).

Cette nécessité découle selon lui de la "gravité des faits" et du fait qu'elle était "au cœur" d'un "système frauduleux élaboré dans le seul but de percevoir illégitimement des fonds publics du Parlement européen, et de violer la loi". Il a été mis en place au "mépris" des règles du Parlement européen, du financement des partis et de la loi pénale, insiste le tribunal.

La peine est néanmoins loin du maximum encouru : 10 ans de prison et 10 d'inéligibilité.

Ni pendant l'enquête, ni pendant le procès, elle n'a exprimé une "conscience" de "l'exigence particulière de probité" attachée à la fonction d'élue ni "des responsabilités qui en découlent", souligne aussi le tribunal, craignant ainsi un "risque de récidive".

Deux versions d'un trouble "irréparable"

Marine Le Pen a dénoncé une "décision politique" pour l'"empêcher d'être élue présidente de la République". Pour elle, l'inéligibilité immédiate - pourtant prévue par la loi - est contraire "à l'État de droit" car elle la prive d'une possibilité de faire appel sur ce point.

Dans une longue argumentation, le tribunal explique avoir mis "en balance deux risques". D'un côté, celui que l'inéligibilité soit annulée en appel et que donc Marine Le Pen ait été empêchée à tort de se présenter en 2027. Et de l'autre, le risque qu'elle soit élue et que l'immunité présidentielle réduise "à néant" une inéligibilité qui serait confirmée en appel.

En l'occurrence, le tribunal juge que le "trouble irréparable" à "l'ordre public démocratique" réside dans ce second risque - "outre le risque de récidive". En particulier parce que, vu la "lenteur de la justice", il est possible que le procès en appel n'ait pas lieu avant la campagne présidentielle.

"L'effectivité de l'exécution des peines poursuit un but d'intérêt général", souligne le tribunal, qui rappelle en outre la nécessité de "veiller à ce que les élus, comme tous justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique"

Marine Le Pen a fait appel de ce jugement. Après des appels à organiser rapidement un nouveau procès, et notamment du Garde des Sceaux Gérald Darmanin, la Cour d'appel de Paris a annoncé le 1er avril qu'elle examinerait le dossier "dans des délais qui devraient permettre de rendre une décision à l'été 2026", soit de longs mois avant l'élection présidentielle de 2027 (archive).

Ajoute extraits du jugement du tribunal, liens vidéos et articles de presse
2 avril 2025 Ajoute extraits du jugement du tribunal, liens vidéos et articles de presse

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