Non, les traitements contre le VIH ne deviennent pas payants au Cameroun

La décision du président Donald Trump de supprimer la majeure partie des aides américaines à l’étranger, dont le programme Pepfar de lutte contre le VIH/sida, a suscité de vives inquiétudes au sein des organismes humanitaires et une déferlante de désinformation. Au Cameroun, des messages annoncent la fin de la gratuité des antirétroviraux (ARV), qui coûteraient “désormais 10.000 ou 15.000 dollars la dose”. C’est faux : ces médicaments resteront gratuits, ont démenti le ministère de la Santé camerounais et le Comité national de lutte contre le VIH, même si la réflexion autour des financements est encore en cours. Pour autant, l'arrêt des aides américaines entraîne d'autres dérèglements et certains pays d'Afrique risquent une "catastrophe humanitaire", selon Médecins sans frontières. 

C’est officiel : 83% des programmes de l'Agence américaine pour le développement international (USAID) seront supprimés (lien archivé ici). Le secrétaire d’État Marco Rubio l’a annoncé le 11 mars sur X, dénonçant une gestion inefficace des fonds alloués à plus de 5.000 contrats d’aide internationale (lien archivé ici).

L’activité de cette agence était déjà suspendue depuis que le président Donald Trump avait signé le 20 janvier un décret ordonnant un gel de l'aide étrangère américaine pour 90 jours. 

Cette décision a suscité choc et émoi dans les milieux humanitaires, car l’USAID représentait jusque-là 42% de l'aide humanitaire mondiale. Son quasi-démantèlement affecte directement les programmes de lutte contre le VIH/sida, en particulier dans les pays en développement comme le Cameroun, où l’OMS dénombrait en 2022 plus de 480.000 personnes vivant avec le virus (lien archivé ici).

C’est dans ce contexte troublé qu’un message alarmant se propage sur les réseaux sociaux : "Les médicaments contre le VIH au Cameroun coûteront désormais 10.000 ou 15.000 dollars la dose", affirme par exemple une page Facebook portant le nom d’une personnalité connue sur les réseaux sociaux du pays (lien archivé ici). "Ce traitement doit en moyenne être pris deux fois par mois", ajoute ce message relayé par d’autres publications (archivées ici et ici). 

Image
Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 18 mars 2025

Les antirétroviraux (ARV) permettent de réduire la charge du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) en bloquant sa reproduction dans l’organisme, afin d’éviter que le virus n’évolue vers le syndrome d'immunodéficience acquise, ou sida (lien archivé ici). Ces médicaments ne constituent pas en soi un remède au VIH, car il n’en existe pas à ce jour, mais ils permettent aux porteurs du virus de vivre longtemps et en bonne santé, à condition d’être pris avec régularité. 

Devoir débourser "10.000 ou 15.000 dollars" par dose rendrait impossible pour l’immense majorité des habitants de ce pays, où le salaire minimum est compris entre 40.000 et 60.000 francs CFA (66 et 100 dollars), de poursuivre leur traitement (lien archivé ici).

C’est pourquoi cette affirmation a généré beaucoup d’inquiétudes auprès des internautes. "Mort subite", commente ainsi une femme sur Facebook (lien archivé ici). "Hummm, c’est grave là", ajoute un autre.  

Image
Capture d'écran de commentaires sous une publication Facebook, réalisée le 18 mars 2025

Mais ces affirmations sur le prix de vente des ARV au Cameroun sont fausses. 

"Fake news"

Interrogé par l’AFP, le porte-parole du ministère camerounais de la Santé a démenti qu'il allait falloir débourser de telles sommes pour se procurer des ARV. "C’est une fake news", tranche ainsi Clavère Nken. 

Plus tard, le 14 mars, le ministère a publié un démenti officiel pour dénoncer "fermement" ces "rumeurs trompeuses" et rassurer "tous les citoyens". "Les médicaments et services liés au VIH, à la tuberculose et au paludisme demeurent entièrement gratuits dans toutes les formations sanitaires publiques et les organisations à base communautaire affiliées à travers le pays", assure le ministère (lien archivé ici). 

Le docteur Joseph Fokam, responsable du Comité national de lutte contre le sida (CNLS) au Cameroun, a confirmé à l’AFP cette information : "Le traitement ARV demeure gratuit, le test est gratuit, le suivi de l’efficacité du traitement par le test de charge virale est aussi gratuit". 

Le cofinancement du gouvernement camerounais et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont les États-Unis sont le principal contributeur via l’USAID, a permis d’assurer la gratuité du traitement par trithérapie au Cameroun depuis le 1er mai 2007( déclaration ministérielle archivée ici).

"Malgré la suspension temporaire du financement américain, le gouvernement du Cameroun (...) a entrepris des mesures de mitigation avec des actions immédiates, à moyen et long terme pour garantir la continuité ininterrompue des services liés au VIH/sida", affirme le ministère de la Santé publique dans son communiqué, sans donner plus de détails sur l’origine des fonds qu’il devra trouver pour remplacer l’aide américaine.

Des réunions sont encore en cours afin de déterminer comment mettre en place exactement "une riposte soutenable au Cameroun" à l’arrêt de ces aides, a précisé le CNLS sur sa page Facebook (lien archivé ici). 

Conscient cependant que des arnaques peuvent émerger dans ce climat d’incertitude, le ministère appelle à "signaler" aux autorités compétentes toutes les "demandes de paiement illégal pour les services de VIH/Sida". 

La rumeur sur une possible facturation a "semé l’inquiétude parmi de nombreux malades", témoigne auprès de l’AFP Jodelle Kayo, porte-parole de Positive Generation, une association camerounaise engagée dans la promotion de la santé et des droits des personnes "séro-concernées et affectées par le VIH/sida et la tuberculose". 

"Nos équipes ont effectué des observations sur le terrain pour recueillir des informations" sur de potentiels médicaments payants ou des pénuries de médicaments "et cela s’avère faux", a-t-elle confirmé mi-mars à l’AFP dans email.

Ce n’est pas la première fois que AFP Factuel vérifie une fausse rumeur sur le paiement des ARV au Cameroun (lien archivé ici). Mais cette fois, cette fausse information s’inscrit dans un contexte global de crainte réelle sur le financement de la lutte contre le sida.

Conséquences "dévastatrices" en Afrique

La suspension de l’aide américaine plonge les organisations internationales et les ONG dans une grande inquiétude. Médecins sans frontières (MSF) redoute ainsi une "catastrophe humanitaire", soulignant dans une note le 2 février que des patients sous traitement contre la tuberculose ou le VIH pourraient voir leurs soins brutalement interrompus (lien archivé ici).

Sur la trentaine d'associations soutenues par les aides américaines, notamment en Afrique de l'ouest et du centre, "certaines voient leurs budgets amputés de 30 à 50%", a indiqué à l'AFP Florence Thune, directrice générale de Sidaction (dépêche AFP archivée ici). 

Le Ghana, par exemple, devra combler un déficit de financement de 78,2 millions de dollars dans le secteur de la santé, faisant craindre des pénuries de médicaments (dépêche de l’AFP archivée ici). 

Image
Des manifestants se rassemblent le 5 février 2025 à Washington DC pour protester contre la décision de l'administration américaine de suspendre les activités de l'USAID (AFP / DREW ANGERER)

La plupart des gouvernements locaux ont donné "la priorité à la poursuite de la thérapie antirétrovirale" et donc orienté tous leurs financements vers l’achat de médicaments afin d’assurer une continuité des soins, explique mi-mars l’ONU dans une note (archivée ici). Mais en contrepartie, "les services de prévention du VIH, de dépistage et de soutien aux populations à haut risque (...) ont été durement touchés par les réductions de financement".

Concrètement, cela se traduit par "des arrêts de distribution de préservatifs, de dépistages, de prescriptions de PrEP" (la pilule préventive pour les personnes très exposées au VIH), indique la dirigeante de Sidaction. 

Au Kenya par exemple, où les Etats-Unis ont investi au moins huit milliards de dollars dans le pays en 20 ans, le gel de l’aide américaine est déjà dévastateur pour les personnes séropositives (dépêche de l’AFP archivée ici) . De nombreuses cliniques ont été mises à l’arrêt, de même que plusieurs programmes de soutien, de recherche et de prévention. 

Au Cameroun, Cyrille Rolande Bechon, responsable de la section Cameroun de l’ONG Nouveaux droits de l’Homme, constate une agitation inhabituelle et un dérèglement dans les centres de prise en charge des malades.

La suspension de l’aide américaine a pris de court les organisations de la société civile, reconnaît Jodelle Kayo, porte-parole de Positive Generation. Elle appelle le gouvernement camerounais à mettre en place des "mesures urgentes" ainsi que des "solutions alternatives et durables" qui permettraient au pays de devenir "moins dépendant de l’aide extérieure" en matière de santé.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les coupes américaines pourraient "entraîner plus de 10 millions de cas supplémentaires de VIH et 3 millions de décès liés au VIH" dans le monde, "annulant 20 années de progrès" dans la lutte contre ce virus (lien archivé ici). Rien qu’en Afrique du Sud, plus de 500.000 personnes supplémentaires pourraient mourir du sida si les fonds américains étaient coupés durant 10 ans, estimait fin février la Fondation Desmond Tutu (lien archivé ici).

Correction d'une coquille dans le chapô, bien lire "risquent" en lieu et place de "risque"
25 mars 2025 Correction d'une coquille dans le chapô, bien lire "risquent" en lieu et place de "risque"

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter