Les définitions de certaines pratiques sexuelles au programme de l'école primaire ? C'est faux

  • Publié le 10 février 2025 à 16:13
  • Lecture : 7 min
  • Par : AFP France
Le nouveau programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), qui a fait l'objet de vifs débats ces derniers mois, a été publié début février 2025. Peu avant son adoption, des internautes ont affirmé que les enfants de primaire se voyaient enseigner les définitions de certaines pratiques sexuelles, comme la fellation, s'appuyant sur des propos de Pascal Praud sur CNews. Mais c'est faux : les définitions citées par l'animateur sont tirées d'un site pédagogique à destination des adolescents et non pas du programme encadrant les enseignements donnés en classe. Par ailleurs, les séances relatives à la sexualité du nouveau programme ne sont prévues qu'à partir du collège.

"L'éducation sexuelle en primaire c'est ça... [On apprend aux enfants les mots] Fellation, pipe, sucer... ! Ils sont où là [...] les influenceurs, les médias, les politiques... les parents, bordel, réagissez !", s'alarment des internautes dans des messages publiés sur X et sur Facebook (1, 2, 3), début février 2025.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 10 février 2025.

Ils relaient, en guise de source, un extrait de débat sur le plateau de CNews intitulé "Education sexuelle/Ecole : le programme fait débat", au cours duquel l'animateur Pascal Praud affirme : "Les contenus inappropriés constatés par huissier dans ces programmes : voilà ce qu'on peut lire pour des jeunes enfants de primaire. 'La fellation est aussi appelée pipe. On parle aussi de 'sucer', c'est le fait d'embrasser ou de lécher le pénis. [...] L'anulingus, c'est embrasser ou lécher l'anus de son partenaire avec sa langue ou les lèvres.'"

"Voilà ce qu'on apprend aux enfants ! Ce qu'ils pourraient lire, en tout cas", poursuit Pascal Praud dans cette séquence relative au programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars).

Mais les affirmations faites dans ce passage tiré d'une émission du 27 novembre 2024 (déjà reprise sur les réseaux sociaux à l'époque) sont fausses : les définitions citées à l'antenne ne sont pas tirées de l'Evars destiné à des enfants de primaire. Il s'agit de définitions données (lien archivé) sur le site "Onsexprime.fr", une plateforme "d'éducation à la sexualité" (lien archivé) qui s'adresse à un public adolescent. 

Quant à la version définitive du nouveau programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, qui était en concertation depuis mars 2024 et a été publiée début février 2025 (lien archivé), elle ne comporte aucune référence à de telles pratiques dans ses enseignements destinés aux élèves de primaire.

Des extraits d'un site d'information dédié à un public adolescent

La mention de "contenus inappropriés constatés par huissier", auxquels Pascal Praud fait référence dans la vidéo, semble issue d'une publication de mi-octobre 2024 sur le site du Syndicat de la famille (ex-Manif pour tous), dans un article de blog entendant prouver que les contenus "mis à disposition des élèves sont inadaptés et nocifs" car ils feraient l'"apologie de la transidentité" et contribueraient à la "banalisation des nudes, du chemsex, des partouzes, de la prostitution, de la pornographie".

Dans ce cadre, le Syndicat de la famille avait listé, dans un document PDF consultable en ligne, plusieurs exemples de "supports officiels d'éducation sexuelle proposés aux élèves".

On y trouve notamment, dans la catégorie "Extraits des sites Internet officiels", des captures d'écran du site "Onsexprime.fr", incluant les définitions de sexe oral lues à l'antenne de CNews et présentées à tort comme des ressources destinées aux élèves de primaire, alors que la compilation du Syndicat de la famille précise que ce contenu est destiné aux "pré-adolescents". 

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Capture d'écran du site "Onsexprime.fr", réalisée le 10 février 2025.

Ainsi que le détaille le site de Santé publique France (lien archivé), les contenus de la plateforme Onsexprime "sont construits à partir des questions réellement posées par les adolescents". 

"Tout au long du processus de création, une attention particulière a été portée aux attentes des bénéficiaires finaux et à l'adaptation de l'information en fonction de leur expérience. Certains articles sont ainsi plutôt destinés à des jeunes en début de questionnement, en amont de leur premier rapport sexuel, alors que d’autres sont destinés à des adolescents préparant leur premier rapport ou l'ayant déjà eu", précise encore ce descriptif. 

Sur une autre page de son site (lien archivé), Santé publique France indique que la page de questions-réponses d'Onsexprime "recense les questions que se posent les 12-18 ans."

L'éducation à la sexualité, prévue à partir du collège 

Dans le programme qui entrera en application en septembre 2025, les thématiques à caractère sexuel ne sont abordées progressivement qu'à partir de l'enseignement secondaire, soit au collège : "L’éducation à la sexualité nécessite un ajustement à l’âge et à la maturité des élèves. Elle se construit en deux étapes successives : une 'éducation à la vie affective et relationnelle' pour l’école maternelle et l’école élémentaire, une 'éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité' pour le collège et le lycée."

Ainsi, en école maternelle et élémentaire, l'éducation à la vie affective et relationnelle est axée sur le "développement de l’enfant et des relations sociales". Dans le détail, à partir du CM1-CM2, en raison des "changements induits par la puberté et le passage progressif de l’enfance à l’adolescence", et dans un objectif de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, cette éducation vise à permettre aux élèves "d’appréhender de manière éclairée les changements qu’ils constatent et éprouvent, tant pour ce qui concerne leur propre corps que celui des autres.

Au collège et au lycée, l'éducation à la sexualité, "qui vient en complément de la vie affective et relationnelle", doit fournir des "informations adaptées à l’âge des élèves sur leur santé, leurs droits, et les comportements ou relations responsables", tout en proposant un "parcours progressif visant l’épanouissement personnel et relationnel".

"La sexualité requiert un degré de maturité et de responsabilité auquel il s’agit de préparer les élèves, progressivement, en respectant leur rythme de développement et en tenant compte des expériences auxquelles ils sont confrontés", précise encore le programme. 

La sexualité à proprement parler n'est abordée qu'à partir de la classe de quatrième, comme on peut le voir sur le tableau de droite ci-dessous, ces deux captures étant tirées de la version détaillée du programme.

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(Alexis ORSINI)
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(Alexis ORSINI)

Des séances obligatoires, en théorie

A l'automne 2024, ce programme, qui prévoit au moins trois séances annuelles spécifiques obligatoires dans l'ensemble des écoles, collèges et lycées, publics comme privés sous contrat, avait fait l'objet d'une fronde de la part d'associations conservatrices, puis de responsables politiques, dénonçant notamment ses références à une "théorie du genre".

Le terme d'"identité du genre", qui avait fait polémique - parfois autour d'affirmations infondées, comme l'AFP l'avait expliqué dans un article de vérification - , figure dans la dernière version, mais avec moins d'occurrences que dans des versions précédentes, et n'apparaît qu'à partir de la classe de troisième.

"Il n'y a aucune éducation aux pratiques sexuelles, on n'apprend pas les pratiques sexuelles dans ce programme. Ce sont des fausses informations", avait en outre affirmé la ministre de l'Education Anne Genetet sur Sud Radio le 11 décembre (lien archivé).

Ces séances d'Evars étaient jusque là théoriquement imposées par la loi depuis 2001, mais étaient de fait peu réalisées.  

Convaincu de leur nécessité, l'ex-ministre de l’Education Pap Ndiaye avait annoncé la relance de ce chantier en septembre 2022 puis saisi en juin 2023 l'instance chargée des programmes.

Publiée plus d'un an et demi après, la version finale a été élaborée avec "l'idée d'avoir un programme équilibré, qui s'appuie sur une expertise scientifique au sens large du terme et qui a fait l'objet d'une concertation qui a duré dans le temps", a souligné le ministère de l'Éducation. 

Il a fait part de son "soutien inconditionnel contre toute forme de pression et de contestation dont pourrait faire l'objet cet enseignement". 

Le programme ne précise pas, pour les collèges et lycées, quels professeurs doivent assurer ces séances. Il évoque la "co-responsabilité" entre les personnels enseignants et de santé, la "collégialité" dans l'organisation et la possibilité d'intervenants extérieurs.  

Alors que des craintes avaient été exprimées, notamment par l'enseignement catholique, que ce programme veuille "se substituer à la responsabilité éducative des parents", la version définitive du programme prévoit qu'ils seront "informés des objectifs d'apprentissage annuels de cette éducation", qui se fera "en complément du rôle des parents et des familles".

Mais il n'indique plus, comme une précédente version, que les parents seront "informés de la tenue et du contenu" de chacune des "séances obligatoires".

Pour accompagner la mise en œuvre de ce programme, des formations seront dispensées, a précisé le ministère de l'Education. Des ateliers auront lieu pour deux ou trois référents par circonscription et une personne par collège et par lycée.

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