Non, le président gabonais n'a pas renoncé à se présenter à la prochaine présidentielle

Depuis le coup d'État qui a renversé en 2023 l’ex-dirigeant Ali Bongo, le Gabon est dirigé par un régime militaire de transition, qui a promis de rendre le pouvoir au peuple lors d'une élection présidentielle démocratique. Ce scrutin devrait se tenir en août 2025. Plusieurs publications largement partagées sur les réseaux sociaux affirment que le président du régime de transition, le général Brice Oligui Nguema, aurait renoncé à se présenter. Il aurait fait selon elles cette annonce lors de la cérémonie de promulgation de la nouvelle Constitution du pays, le 19 décembre. Mais c’est faux: comme le montre la vidéo dudit évènement, le chef de l’Etat gabonais n’a fait aucune déclaration à ce sujet. Et la constitution fraîchement promulguée ne l'empêche pas de se présenter.

"Urgent Gabon: Cérémonie de promulgation de la nouvelle constitution, le président de la transition Brice Clotaire Oligui Nguema affirme qu'il ne sera pas candidat", peut-on lire dans une publication du 19 décembre, photos de la cérémonie à l’appui (archivé ici). 

"Il jure de rendre le pouvoir au civile (sic) avec une élection crédible et transparente", mentionne le message partagé plus de 150 fois et repris par bon nombre de publications sur Facebook, TikTok et X (ex-Twitter). 

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Capture d’écran d’une publication sur Facebook, réalisée le 8 janvier 2024

Depuis le coup d’Etat du 30 août 2023 qui a mis fin à 55 ans de pouvoir de la famille Bongo, le Gabon est un régime militaire dirigé par un président de transition, le général Brice Oligui Nguema. La junte a en effet promis de rendre le pouvoir aux civils via une élection présidentielle en bonne et due forme.

Ce scrutin devrait se tenir en août 2025 selon le chronogramme de la transition, calendrier prévisionnel publié en novembre 2023 par les autorités militaires regroupées au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CRTI) (lien archivé ici).

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Capture d’écran du chronogramme du régime de transition, réalisée sur ctrigabon.com, le 6 janvier 2024

Brice Oligui Nguema a réaffirmé lors d’un discours le 31 décembre (lien archivé ici) que ce calendrier serait respecté, même s’il a pour l’instant pris de l’avance puisque la révision des listes électorales a commencé le 2 janvier, soit trois mois plus tôt que prévu. Cette décision a suscité des rumeurs, reprises par les médias Jeune Afrique et Gabon25, sur une potentielle avancée de la date du scrutin au 22 mars, une information que la présidence gabonaise n'a pas confirmé à l'AFP.

Quant à la candidature du président en exercice, le concerné ne s’est pas encore officiellement prononcé à ce sujet, que ce soit dans ce discours de fin d'année ou dans un précédent. 

Aucune déclaration officielle sur sa candidature

Contrairement à ce qu'affirment certaines publications sur les réseaux sociaux, le général Brice Oligui Nguema n’a pas fait de déclaration sur sa candidature dans le discours qu'il a prononcé le 19 décembre lors de la cérémonie de signature et de promulgation de la nouvelle Loi constitutionnelle du pays.

Une vidéo de la retransmission en direct de cette cérémonie est disponible sur la page Youtube officielle du CRTI. L'AFP a visionné l'intégralité de la cérémonie et le président Oligui n’y affirme à aucun moment qu’il renonce à se présenter à l’élection présidentielle.

Le dirigeant déclare uniquement à la 31ème minute (lien archivé ici) que la nouvelle constitution, “qui entrera en vigueur après la prochaine élection présidentielle et sur laquelle le président élu prêtera serment”, permettra d’entrer dans une “cinquième république (qui) doit se placer aux antipodes de l’ordre ancien par sa gouvernance, avec de nouveaux visages et de nouvelles méthodes”.

L’idée d’un renouvellement des "visages" et des "méthodes" a pu laisser croire à certains que Brice Oligui Nguema se disqualifiait d’office de la course à la présidence, lui qui incarne le régime de transition, mais a aussi joué un rôle central dans le système déchu de la dynastie Bongo (dépêche AFP archivée ici). Il y avait en effet occupé plusieurs postes stratégiques, comme celui d’aide de camp du président Omar Bongo (jusqu’au décès de ce dernier en 2009) ou encore de commandant de la Garde républicaine, fonction qu'il a occupée jusqu’à son accession au pouvoir suprême fin août 2023.

Contactée par l'AFP, la présidence s'est refusée à tout commentaire sur une future candidature de Brice Oligui Nguema. 

Le média d’État Gabon 24 a lui affirmé dès le 23 décembre dans une publication sur Facebook que le prétendu renoncement à l’élection du président par intérim était une "fake news" (lien archivé ici).

Ambitions affichées

De nombreux médias estiment au contraire que le général Oligui ne fait pas "mystère de ses ambitions présidentielles" et que sa "candidature à la future présidentielle ne fait guère de doutes" (Courrier internationalJeune Afrique, Le Monde).

A la source des spéculations, un discours qu'il a tenu le 12 juillet 2024 à Tchibanga, lors de sa tournée républicaine. "Soyez patients. Si en dix mois on a pu faire ça, c’est qu’en sept ans on fera plus", avait alors garanti Brice Oligui Nguema. 

Rien n'empêche en effet concrètement le dirigeant intérimaire de se présenter au scrutin présidentiel. 

L'Union Africaine (UA) a adopté dans sa Charte concernant la démocratie, les élections et la gouvernance un article censé interdire à toute autorité issue d’un coup d’État de "participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique" et "d'occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur État" (Article 25). Cependant, la principale sanction encourrue est la suspension de l'adhésion du pays à l'UA, ce qui est déjà le cas pour le Gabon depuis le coup d'Etat de 2023. 

De son côté, la nouvelle constitution gabonaise (archivée ici) rédigée par le régime militaire et largement approuvée via référendum le 16 novembre n'empêche pas légalement le président par intérim de se présenter aux élections. 

Le texte instaure seulement pour le futur président une limite de deux mandats de sept ans. "Nul ne peut exercer plus de deux mandats successifs, quelles que soient les éventuelles révisions de la Constitution", indique ainsi l'article 42.  Brice Oligui Nguema, qui n'a pour le moment jamais été élu mais simplement porté au pouvoir par la junte, est donc encore éligible à deux mandats. 

"Si la nouvelle constitution ne l'interdit pas et si la constitution ou la charte de transition - comme il y en avait en Guinée ou en République démocratique du Congo - non plus, alors il n'y a aucun problème pour qu'il soit candidat", affirme Babacar Gueye, professeur de droit constitutionnel à l'université Cheikh-Anta-Diop au Sénégal, et président du Collectif sénégalais des organisations de la société civile pour les élections.

Mais est-ce pour autant légitime ? "On peut en discuter", estime Babacar Gueye, expliquant qu’en général, on demande à celui qui assure la transition, de ne pas se présenter à l’élection pour ne pas la fausser, car le candidat sortant a une position privilégiée par rapport aux autres potentiels candidats. C’est ce qu’on appelle "la prime du sortant", souligne M. Gueye. 

Plusieurs figures d'opposition de différents bords politiques, parfois d'anciens adversaires, ont donné le 8 janvier à Libreville une conférence de presse commune dans laquelle ils ont notamment appelé à ce que les militaires ne participent pas aux élections de fin de transition.

Ces leaders d'opposition - parmi lesquelles se trouvent l'ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nzé, l'ancien vice-président de la République Pierre-Claver Maganga Moussavou ou encore Albert Ondo Ossa, qui fut candidat pour l'opposition à la  présidentielle de 2023 - ont aussi accusé les militaires de confisquer en leur faveur le calendrier des élections.

A ce stade, seul Daniel Mengara, farouche opposant au régime des Bongo revenu au Gabon après 26 ans d'exil, a annoncé officiellement se présenter à l'élection présidentielle (lien archivé ici). 

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