Non, les promeneurs n'auront pas l'obligation de porter des gilets fluos en période de chasse en 2025
- Publié le 08 novembre 2024 à 13:47
- Lecture : 8 min
- Par : Gaëlle GEOFFROY, AFP France
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Une "bonne nouvelle" pour un membre d'un groupe Facebook de chasseurs, tandis que d'autres internautes s'offusquent : un soi-disant "décret officiel" censé entré en vigueur au 1er janvier 2025 et prévoyant que traileurs et promeneurs devront "porter des tenues fluorescentes pendant la période de chasse" est très largement partagé - et commenté - sur Facebook début novembre 2024.
Des dizaines de posts comme ceux-ci sur Facebook, et quelques-uns sur X, relaient une photo du logo du ministère de l'Agriculture. En cliquant dessus, le lien mène vers U-trail.com, un site internet sur lequel on trouve des articles sur la pratique du trail, course à pied sur terrains escarpés.
Une fois sur la page de U-trail.com évoquant ce supposé décret à venir concernant "traileurs" et "promeneurs", on peut lire qu'"en raison du principe de sécurité collective et d'une cohabitation plus sereine en milieu naturel, les traileurs seront désormais tenus de porter des tenues fluorescentes pendant la période de chasse, tout comme les chasseurs doivent déjà se conformer à des règles strictes". "Cette mesure, voulue par le ministère de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, en collaboration avec le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, impose des équipements spécifiques garantissant une visibilité optimale". Il précise que "le décret entrera en vigueur dès le 1er janvier 2025" et critique le fait que cela laissera "peu de temps aux traileurs pour s'y préparer et se mettre en conformité".
Mais c'est faux, comme l'a souligné le ministère de la Transition écologique dans une "mise au point" transmise à l'AFP le 7 novembre 2024. Face à la viralité du contenu, il a démenti "avec la plus grande vigueur" cette "rumeur [...] sans aucun fondement".
Dans la foulée, des sites internet qui avaient dans un premier temps relayé l'article, comme chassons.com et chassepassion.net, ont fait part du démenti du ministère.
Mention peu visible et pas explicite
Il s'avère que cet "article" était une parodie, devenue virale après avoir été reprise au premier degré par de nombreux internautes.
Certains indices laissaient entrevoir que le contenu n'était pas sérieux. D'abord, la nature du site, qui se définit en bas de page comme un "média qui revendique sa liberté d'expression, indépendant", et qui propose à tout un chacun d'écrire des contenus "comme le ferait un journaliste".
Ensuite, la mise en page de l'article était douteuse : comme on peut le voir ci-dessus, le logo du ministère de l'Agriculture est coupé. Puis le texte ne cite aucune source. Enfin, les quelques mots-clés surplombant le titre font apparaître la mention "goratrail", une référence au site parodique Gorafi, connu pour ses détournements humoristiques de l'actualité.
Interrogé par l'AFP, le site U-trail.com a souligné ce dernier élément : "Notre article a été publié dans la rubrique GORATRAIL", a-t-il fait valoir. Une rubrique où l'on peut retrouver par exemple un article titré "Carcassonne : un traileur souffre de tendinites, il décide de courir sur les mains".
Reste que comme on peut le voir dans la capture d'écran ci-dessous, cette mention "goratrail", dont la signification n'est pas évidente pour certains lecteurs, était en outre inscrite en très petit sur la page.
Le site a finalement actualisé sa page le 7 novembre dans l'après-midi, en mentionnant alors explicitement qu'il s'agissait d'un "article publié dans la rubrique parodique" :
Si la page est devenue virale, c'est aussi parce que la cohabitation entre chasseurs et promeneurs est un sujet inflammable, qui a d'ailleurs déjà ces dernières années donné lieu à la propagation rapide de fausses informations. A l'automne 2022, après la mort accidentelle d'une randonneuse tuée par une balle perdue lors d'une battue, l'AFP avait repéré une publication très virale assimilant les panneaux de signalisation "chasse en cours" à une obligation de changer d'itinéraire pour les promeneurs. Le ministère de la Transition écologique et des représentants des chasseurs avaient alors rappelé que cette signalétique n'a qu'une simple valeur informative, incitant seulement les promeneurs à renforcer leur vigilance.
"Consignes de bonne cohabitation"
L'Etat n'impose pas aux promeneurs de porter un gilet fluorescent en période de chasse ; seuls les chasseurs le doivent.
"La règle de sécurité existante prévue par le code de l'environnement concernant le port d'un gilet fluorescent ne s'applique qu'aux chasseurs en action collective de chasse à tir au grand gibier, et peut être étendue à d'autres actions de chasse selon les dispositions locales du schéma départemental de gestion cynégétique", a rappelé le ministère de la Transition écologique dans son démenti.
Mais le port du gilet fluo par les promeneurs, réclamée par certaines fédérations de chasse, est parfois imposé localement, certains maires ayant pris ces dernières années des arrêtés municipaux en ce sens (archives 1, 2).
Le ministère préfère, lui, compter sur le respect par chacun des "consignes de bonne cohabitation entre les différents usagers des milieux naturels en période de chasse : information obligatoire des chasses collectives à l'aide de panneaux sur les voies, se renseigner sur le site de l'ONF pour connaître les dates de chasse en forêt domaniale et de manière générale privilégier l'échange pour profiter de la nature".
Baisse tendancielle des accidents mortels et non mortels
Les promeneurs ne sont toutefois pas sereins. Selon un sondage réalisé par l'Ifop en décembre 2022 auprès de 1.000 personnes âgées de plus de 18 ans, "moins d'un Français sur trois se sent en sécurité lorsqu'il se promène dans la nature en période de chasse (30%), un résultat très stable depuis 2017 mais un net recul de 16 points depuis 2009 (46%). Et la proportion de Français ne se sentant 'pas du tout' en sécurité dans la nature durant la période de chasse atteint un record (32%, +4 points depuis 2021)", expliquait alors l'Ifop, qui avait réalisé cette étude pour des associations de défense de l'environnement.
Pourtant, le nombre d'accidents mortels et non mortels connaît une baisse tendancielle.
Durant la saison 2023-2024, les accidents de chasse ont causé la mort de six personnes, dont aucun non-chasseur, un "niveau historiquement bas" selon un bilan de l'Office français de la biodiversité publié en juillet 2024 (OFB - archive). Ce chiffre "confirme la tendance à la baisse des accidents mortels, qui diminuent de 77% sur 20 ans", soulignait alors l'OFB.
"Trajectoire à la baisse" également pour les accidents non mortels (-42% sur 20 ans), même si la saison 2023-2024 avait été marquée par une hausse par rapport aux trois saisons précédentes (97 accidents dont 58 graves) - en parallèle, les "auto-accidents" de chasseurs augmentent, à 40% du nombre total d'accidents non mortels.
Quant à la part des non-chasseurs parmi les victimes d'accidents, elle "diminue également", avec 12 accidents en 2023-2024 contre 23 la saison précédente, selon l'OFB.
Contravention pour chasse en état d'ivresse
Pour prévenir les accidents, le gouvernement avait dévoilé en janvier 2023 un plan visant à mieux sécuriser la chasse, via le renforcement de la formation des chasseurs et des règles en période d'ouverture, et une meilleure information des promeneurs (archive). Parmi les 14 mesures annoncées, l'instauration d'une formation obligatoire de tous les organisateurs de battues, l'interdiction de la pratique de la chasse sous l'emprise de l'alcool et de stupéfiants, ou encore la création d'une application numérique nationale répertoriant les lieux précis et dates de chasse (seules quelques initiatives locales existent pour l'heure (archive).
Le plan gouvernemental a pour l'heure principalement débouché sur la création en septembre 2023 d'une contravention de 5e classe de 1.500 euros réprimant la chasse en "état d'ivresse manifeste" - 3.000 euros en cas de récidive (archive). Une mesure jugée très insuffisante par les associations anti-chasse et défendant le droit de se promener sans inquiétude dans la nature.
Parmi elles, deux associations ont engagé une action réclamant réparation à l'Etat pour son "inaction" contre les accidents (archive).