Des "insectes" dans la recette des œufs en chocolat Shoko-bons? C'est faux
- Publié le 19 avril 2024 à 19:20
- Lecture : 8 min
- Par : Eva GABRIEL, AFP France
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"Attention, la marque Kinder a récemment déclaré qu'elle utilisait des insectes comme ingrédient dans ce produit", indique une publication en français sur le réseau social X. Elle légende une vidéo montrant un paquet d'oeufs en chocolat Schoko-bons de la marque Kinder. Diffusée le 11 avril 2024, elle a été partagée plus de 1.600 fois en quelques jours.
Dans la vidéo, une personne au supermarché montre la liste d'ingrédients de ces confiseries, écrite en allemand. La mention "schellack" y est entourée en rouge. Sur l'écran, du texte en arabe et en turc indique "il y a des insectes dans la nourriture". On voit ensuite la capture d'écran d'une recherche sur internet du terme allemand "schellack" sur un téléphone configuré en turc. Et les résultats sur Google image défilent montrant une série de photos et d'illustrations d'un petit insecte marron. Tout au long de la vidéo, des images d'insectes qui grouillent ont également été ajoutées par-dessus la capture d'écran.
Cette vidéo laisse entendre que l'ingrédient "schellack" (orthographe allemande de "shellac") serait un insecte.
Des publications reprenant le message ou la vidéo ont été diffusées sur Facebook comme celle-ci ou celle-là avec plusieurs centaines de partages, sur Tiktok ici et là ou encore ici sur LinkedIn.
Une autre vidéo, assez similaire mais en français cette fois-ci, a également été publiée dès le 11 avril sur X ici avec plus de 1.000 partages, puis reprise sur Facebook. "Donc vous mangez des Schoko-bons aux insectes", peut-on entendre après que la personne qui voulait en "vérifier" la composition a trouvé du "shellac" dans la liste des ingrédients.
Mais ces vidéos sont doublement trompeuses. Le shellac n'est pas à proprement parler un insecte, mais bien une résine issue d'un insecte, et l'entreprise Ferrero a assuré auprès de l'AFP ne plus utiliser, en 2024, cet additif dans sa recette.
Qu'est-ce que le shellac ?
Dans la liste des ingrédients, le shellac est un "agent d'enrobage". C'est un additif qui permet de donner un aspect brillant à l'oeuf en chocolat (lien archivé). On le retrouve aussi sous le nom "gomme-laque" ou "E904".
Le shellac ne désigne pas un insecte en lui-même, mais la "sécrétion résineuse" produite par un insecte, la cochenille asiatique. Cette sécrétion est "blanchie et purifiée" pour donner une laque, utilisée notamment dans le domaine alimentaire explique l'EFSA, l'Autorité européenne de sécurité des aliments, contactée par l'AFP le 18 avril (archive).
Ainsi, le shellac est n'est qu'un "sous-produit" de l'insecte, comme la bave d'escargot ou le lait de vache par exemple, complète David Giron, directeur de recherche au CNRS en biologie de l'insecte (archives des liens 1, 2 et 3) interrogé par l'AFP le 18 avril.
Ce produit est ainsi utilisé "depuis l'Antiquité", assure le chercheur, et on le retrouve aujourd'hui dans les confiseries, les chewing-gum, les compléments alimentaires, mais aussi sur les fruits et légumes frais comme les pommes, pour rendre leur peau brillante. Cette résine est aussi utilisée dans la cosmétique et notamment le vernis à ongle, ou encore dans la lutherie pour les finitions des instruments de musique.
Ce n'est donc pas l'insecte qui est consommé, et "quand bien même il resterait des traces" à l'issu du procédé de traitement, "c'est insignifiant par rapport aux insectes que l'on consomme chaque jour sans le savoir", assure David Giron, "car on considère que chaque être humain consomme entre 500 grammes et un kilo d'insectes par an complètement à son insu" ; microscopiques larves de guêpes dans les figues, résidus possible dans les pots de sauce tomate ou les plats préparés, et bien sûr, dans les fruits et légumes.
Un additif contrôlé dans l'Union européenne
Le shellac figure sur la liste des additifs autorisés dans l'Union européenne (lien archivé).
Son autorisation est donnée dans ce règlement communautaire de 2008 (archive) et ses critères de pureté ont été spécifiés en 2012 (archive). L'additif ne peut en revanche pas être utilisé sur un produit étiqueté Bio.
Or dans les commentaires des vidéos qui prétendent que des insectes figurent dans la recette des chocolats, des internautes appellent au "boycott" du produit par crainte de risques sanitaires.
Utilisé de longue date, le shellac avait déjà fait l'objet en 1993 d'une observation par le Comité d'experts FAO/OMS sur les additifs alimentaires (JECFA, archivé ici) qui avait conclu qu'il ne comportait "pas de problème toxicologique". Depuis, il est suivi de près par les autorités de l'Union européenne et régulièrement réévalué. Les prochaines conclusions scientifiques seront rendues par l'EFSA en "juillet 2024", a indiqué l'agence sanitaire à l'AFP.
En mars, une étude de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, sur le shellac dans la nourriture pour chiens et chats indiquait qu'"aucun effet indésirable n'a été observé, ce qui conforte l'innocuité de la gomme-laque chez les espèces cibles".
L'association de consommateurs UFC-Que Choisir (archive) classe néanmoins cet additif sous "allergie possible". En effet, il "existe une possibilité, loin d'être systématique" d'être allergique à une substance proche des insectes, précise David Giron.
Des vidéos obsolètes car la recette a changé
En outre, ces vidéos sont anciennes et montrent des paquets de Schoko-bons qui ne sont plus ceux vendus en supermarchés.
Une recherche d'image inversée permet de voir que les deux vidéos virales repartagées en avril 2024 datent en fait de début 2023.
Selon les vérifications effectuées par l'AFP dans plusieurs enseignes de Paris, la mention "shellac" n'y apparaît plus, le seul agent d'enrobage à être désormais mentionné étant la "gomme arabique" un additif issu de la sève d'arbre (lien archivé).
"Actuellement, nous n'utilisons pas de shellac dans les produits Ferrero du monde entier, à la seule exception de quelques anciennes marques de Nestlé qui ont été acquises aux Etats-Unis", a fait savoir à l'AFP le 19 avril l'entreprise italienne Ferrero (archive), qui possède notamment les marques Kinder, mais aussi Nutella ou Delacre (archive).
Elle a indiqué avoir changé ses recettes en "supprimant l'ingrédient shellac", un changement mis en oeuvre "progressivement au cours de l'année dernière", soit l'année 2023, sans préciser si cela avait un lien avec les craintes d'internautes.
"Danger, aversion, dégoût"
Pourquoi cette "peur" des insectes - et de leurs sous-produits comme le shellac - persiste-t-elle ? "Dans les pays occidentaux, les insectes font culturellement partie de la catégorie du non-comestible", répond le 18 avril Céline Gallen, enseignante-chercheuse à l'Université de Nantes, à l'AFP (archive).
Au cours de recherches sur les comportements alimentaires, elle a pu observer que "ce sont les représentations véhiculées par l'insecte qui empêchent d'en consommer. Les insectes sont associés à la maladie, la pauvreté et la saleté". Ces représentations sont "culturelles", "d'ordre moral" et "irrationnelles", au regard des propriétés nutritionnelles des insectes (archive), poursuit Céline Gallen.
Selon l'enseignant-chercheur en psychologie à l'Université de Pennsylvanie, Paul Rozin (archive), qu'elle cite dans ce travail de recherche (archive), il existe trois motifs de rejet d'une nourriture nouvelle : le danger, l'aversion et le dégoût, soit "la peur d'être malade", "le présupposé que ça n'est pas bon" et "la peur de se souiller en mangeant un produit". Or, "les insectes cumulent les trois", estime Céline Gallen.
C'est entre autres ce que montre cet article de l'AFP qui passe en revue des fausses allégations sur des insectes qui seraient impropres à la consommation humaine.
Dans le cas de ces oeufs en chocolat Kinder suspectés à tort de contenir de l'insecte, l'enseignante-chercheuse estime que la crainte s'exprime d'autant plus sur les réseaux sociaux qu'il y a "la culpabilité des parents de faire prendre le risque à leur enfant ".
Les insectes, thématique prisée des complotistes
La théorie selon laquelle les "élites mondiales" chercheraient à empoisonner la population en la nourrissant d'insectes s'est popularisée ces dernières années. "Elle accréditerait l'idée selon laquelle les élites veulent nous rendre serviles, rééduquer les masses", ainsi "une minorité de gens œuvreraient pour changer nos traditions, cela passe aussi logiquement par le remplacement alimentaire", expliquait le docteur en sciences politique à l'Université de Tours, Julien Giry (lien archivé), au média Slate en février (archive ici).
Début 2023, l'AFP avait traité une rumeur qui prétendait que l'on risquait de "manger des insectes dans le savoir", à lire ici. L'infox circulait en marge de l'autorisation de deux nouvelles espèces d'insectes sur le marché alimentaire européen.
Les insectes font cependant partie du régime alimentaire de deux milliards de personnes dans le monde.