Un drone de l'ONU "abattu" en RDC avec "400 kg d'or, d'armes et de parachutes" à son bord ? Attention à cette vieille vidéo

Après 24 ans de présence et une République démocratique du Congo (RDC) toujours en proie aux violences, la mission de l'ONU (Monusco) - déployée dans ce pays d'Afrique centrale pour y maintenir la paix - est plus impopulaire que jamais. Dans ce contexte de tensions, des publications sur les réseaux sociaux prétendent montrer un "drone de l'ONU" transportant "400 kg d'or pur, d'armes et de parachutes", vidéo à l'appui. Attention : ces images sont anciennes et documentent le crash d'un drone de l'ONU survenu en novembre 2022. Identifié par deux spécialistes des questions de défense, l'appareil est un modèle utilisé à des fins d'observation et de renseignement et sa charge ne peut pas dépasser 100 kg.

"Un drone de l'ONU abattu en RDC transportant de l'or et des armes", prétendent plusieurs publications (liens archivés ici ou encore ici) diffusées sur les réseaux sociaux depuis début novembre 2023, vidéo à l'appui.

Sur ces images d'une durée d'1 minute 30, des hommes - dont l'un est armé et vêtu d'un treilli militaire - et de jeunes garçons poussent un véhicule aérien sur une route de terre battue.

"Voilà pourquoi il y a des guerres en RDC depuis 1960 et POURQUOI cette organisation criminelle et mafieuse appelée ONU ne veut pas quitter la RDC, la réponse est dans ce que contient ce drone", avance encore un tweet (lien archivé ici) publié le 9 novembre.

Certains posts renvoient à une vidéo YouTube mise en ligne avec les mêmes images le 7 novembre. Elle est accompagnée de la légende suivante : "Des images provenant de la République démocratique du Congo montrent un drone des Nations Unies abattu qui, selon les habitants, transportait de l'or, des armes et des parachutes" (lien archivé ici). Elle cumule plus de 450.000 vues.

Des posts similaires circulent aussi en anglais sur X (ex-Twitter), Facebook et TikTok dans plusieurs pays africains anglophones (liens archivés ici, ici, ici et ici).

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Captures d'écran prises sur Twitter (à gauche) et YouTube (à droite) le 15 novembre 2023 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

Un texte en filigrane est apposé en anglais sur la plupart de ces images. Il mentionne une date précise (le 3 novembre 2023) et prétend que cet engin a été "retrouvé dans un village au Congo" transportant "900 pounds [soit 400 kg, Ndlr] d'or pur, d'armes et de parachutes".

"Nous avons maintenant une idée claire des responsables de l'instabilité en Afrique", peut-on encore y lire, dans un contexte où la Monusco - mission de l'ONU en République démocratique du Congo - est très critiquée par les Congolais. Il lui est notamment reproché de ne pas avoir réussi à mettre fin aux violences des groupes armés qui sévissent dans le pays (lien archivé ici).

Ancienne colonie belge, la RDC est par ailleurs dotée d'un sous-sol immensément riche en minerais, souvent exploité par des multinationales étrangères ou des groupes armés soutenus par des pays voisins. En dépit des ressources minières, la majorité de la population vit dans une extrême pauvreté.

Cependant, la vidéo relayée sur les réseaux sociaux est ancienne : elle a été publiée en novembre 2022, date à laquelle un drone d'observation de la Monusco a été retrouvé dans le Parc National des Virunga, après un crash dans l'est de la RDC. Identifié par deux experts auprès de l'AFP, ce modèle est utilisé à des fins de renseignement et peut contenir une charge de 100 kg maximum, bien loin des 400 kg "d'or pur, de pistolets et de parachutes" dénoncés sur les réseaux sociaux.

Une vidéo datant de 2022

Dans la vidéo que nous vérifions, plusieurs personnes s'expriment à voix haute en swahili, l'une des langues nationales de la République démocratique du Congo. Alors qu'un groupe d'hommes et de garçons pousse l'appareil, on entend, pêle-mêle : "Il a des caméras. Tournez-le d'abord. Il a des parachutes. Je vais à l'arrière. Nous l'emmenons au centre ville. Nous essayons de trouver un moyen de le libérer. [Le groupe dit à l'unisson, Ndlr] Allons-y, allons-y".

Pour retrouver l'origine de ces images, l'AFP a effectué une recherche d'image inversée à l'aide du logiciel Invid-WeVerify. Elles ont été publiées sur YouTube il y a un peu plus d'un an, le 8 novembre 2022, par une chaîne dénommée "Afro infos 243" (lien archivé ici).

"Un drone de la Monusco d'envergure, doté d'une caméra ultra sophistiquée de dernière technologie, s'est écrasé dans le Parc National des Virunga près de Lubero ce vendredi 4 novembre 2022", est-il écrit en légende. Ce parc se trouve à l'est de la RDC :

Nous avons retrouvé d'autres traces de cet incident sur les réseaux sociaux, comme ce communiqué de la Monusco, relayé sur X (lien archivé ici) par un journaliste local indépendant le 4 novembre 2022. Traduit du swahili, il indique : "Aujourd'hui dans l'après-midi, un drone appartenant à la Monusco est tombé dans le parc national des Virunga. Les troupes de la Monusco l'ont récupéré pour le réparer. Il n’a pas été attaqué".

Contactée par l'AFP, la porte-parole de la Monusco Ndeye Khady Lo a confirmé l'authenticité de ce communiqué, le 15 novembre.

En effectuant une recherche avancée sur X, nous avons également identifié d'autres images documentant le crash de ce drone, publiées le 5 novembre 2022 par le média rwandais The Chronicles (lien archivé ici) :

Une charge de 100 kg maximum

Pour aller plus loin, nous avons cherché à identifier le modèle du drone. Le même numéro d'identification est visible à la fois sur la vidéo que nous vérifions et sur le communiqué diffusé par la Monusco : UN 897 (encadré en rouge ci-dessous).

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Captures d'écran prises sur Twitter le 15 novembre 2023 / Encadrés rouges ajoutés par la rédaction de l'AFP

En tapant les mots-clés "UN 897" et "drone" sur le moteur de recherche Google, nous avons retrouvé un rapport d'incident (lien archivé ici) publié le 4 novembre 2022 par un utilisateur sur le portail de la Flight safety foundation (lien archivé ici), une ONG basée au Etats-Unis.

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Capture d'écran prise sur la plateforme de la Flight safety foundation le 15 novembre 2023

Il y est précisé qu'un "Leonardo Falco EVO" enregistré sous le numéro "UN 897" a décollé de l'aéroport de Beni, situé non loin du parc des Virunga où le drone a été retrouvé.

Pour certifier l'authentification du modèle, nous avons soumis les images de l'appareil à Gaspard Schnitzler (lien archivé ici), directeur de recherche à l'IRIS spécialisé sur les questions de défense européennes et d'industrie de l'armement.

"Compte tenu de son identification (UN 897), il s’agit du drone de type Falco-EVO produit par l’industriel Leonardo. Sur la vidéo il est équipé d’une boule optronique, utilisée pour des missions d’observation/cartographie. C’est un drone tactique qui sert avant tout à des fins de renseignement", a expliqué l'expert à l'AFP, le 13 novembre.

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Capture d'écran prise sur Twitter le 22 novembre 2022 montrant une boule optronique / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP

"Son utilisation s’inscrit dans le cadre d’un contrat de service signé en 2013 entre l’industriel et l’ONU (exploitation de 5 drones de type Falco-EVO)", ajoute Gaspard Schnitzler, précisant que l'engin est "capable de transporter une charge (payload) pouvant peser jusqu’à 100 kg maximum."

Dans la fiche technique du Falco-EVO (lien archivé ici), disponible sur le site de l'industriel, il est effectivement indiqué que le poids maximal de la "charge utile" [la quantité de marchandises ou de personnes qu'un véhicule peut transporter, Ndlr] du véhicule ne peut pas dépasser 100 kg, bien loin des 400 kg "d'or pur, de pistolets et de parachutes" dénoncés sur les réseaux sociaux.

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Capture d'écran prise sur un document PDF du groupe Leonardo le 15 novembre 2023 / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP

"On voit un drone Falco. Il est en dotation propre pour les missions de maintien de la paix de l'ONU, mais également au Bangladesh ou au Pakistan qui participent à la Monusco. Le parachute est déployé, c'est un parachute de cellule qui sert à récupérer le drone s'il a un problème mécanique en vol", a également constaté le Directeur du Centre des Études de Sécurité de l'Ifri, Elie Tenenbaum (lien archivé ici), contacté par l'AFP le 20 novembre.

Dans ses archives, l'AFP a retrouvé des photographies d'un drone Falco prises lors de la cérémonie officielle de lancement à l'aéroport de la ville de Goma, le 3 décembre 2013.

"La mission MONUSCO en République démocratique du Congo dispose actuellement de deux drones non armés. Tous deux sont exclusivement destinés à des missions de reconnaissance, en appui aux forces terrestres. La mission devrait être équipée de trois autres d'ici le mois de mars de l'année prochaine", explique la légende de ces photos.

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Un drone de surveillance de fabrication italienne appartenant à la Monusco à l'aéroport de Goma, dans l'est de la RDC, le 3 décembre 2013. ( AFP / STRINGER)

Plusieurs accidents impliquant des engins de ce type se sont déjà produits par le passé. En janvier 2014 par exemple, un drone de l'ONU s'était écrasé sans faire de victime dans l'est de la RDC "à l'atterrissage" à l'aéroport de Goma, comme le rapporte cette dépêche de l'AFP (lien archivé ici).

Cette fois-ci, l'appareil avait "été complètement détruit", avait alors indiqué à l'AFP un officier de la force aérienne congolaise.

En RDC, l'ONU poussée vers la sortie

Présente en RDC depuis 1999, la force de l'ONU est très critiquée par les Congolais qui lui reprochent de ne pas avoir mis fin aux violences des groupes armés, notamment du M23 dans l'est. Le gouvernement de Kinshasa a demandé son départ "accéléré" à partir de décembre prochain (lien archivé ici).

Le M23 ("Mouvement du 23 mars"), soutenu par le Rwanda selon de nombreuses sources, a repris les armes il y a bientôt deux ans et s'est emparé de vastes pans de territoire dans le Nord-Kivu.

Après six mois d'une relative accalmie, des affrontements violents ont repris début octobre entre les rebelles d'une part, l'armée congolaise (FARDC) et des groupes armés se présentant comme "patriotes" d'autre part, provoquant de nouveaux déplacements massifs de population.

Dans ce contexte, la mission onusienne a annoncé le 3 novembre le lancement avec l'armée congolaise d'une opération appelée "Springbok", destinée à empêcher les rebelles du M23 de prendre Goma. (lien archivé ici).

L'ONU estime à près d'un million le nombre de déplacés dans le Nord-Kivu du fait du conflit avec le M23.

L'AFP a déjà vérifié plusieurs fausses informations diffusées en RDC, par exemple ici, ici ou encore ici, circulant dans un contexte de campagne pour l'élection présidentielle du 20 décembre.

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