Une photo de Casques bleus de la Monusco soignant des blessés du M23 et de l'armée rwandaise ? C'est faux

La province du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo, connaît un regain de violences depuis le début du mois d'octobre. Avec la reprise des combats, près de 200.000 civils ont dû fuir, pour échapper aux affrontements entre l'armée congolaise et les rebelles du M23. Dans ce contexte, des messages diffusés sur les réseaux sociaux prétendent montrer des Casques bleus de la mission de l'ONU en RDC (la Monusco) soigner des soldats du M23 et de l'armée rwandaise, image à l'appui. C'est faux : la photo date de février 2023 et illustre un exercice militaire multinational auquel des soldats américains et rwandais ont notamment participé. Par ailleurs, la porte-parole de la Monusco a assuré à l'AFP qu'aucun élément "ne renvoie à la Monusco" sur cette image, rappelant que la mission onusienne opère en soutien de l'armée congolaise.

"VOILÀ COMMENT LA NONUSCO [sic] SOIGNE LES M23 ET RDF À L'EST DE LA RDC", affirme une publication diffusée sur Facebook le 24 octobre 2023, (lien archivé ici) en légende d'une photo. Sur cette image, on observe huit personnes en treillis dont deux hommes blancs, pointés par une flèche verte.

"Incroyable mais vrai ! Les casques bleus de la Monusco aperçus entrain [sic] de soigner les blessés de guerre des mouvements rebelles M23 et RDF juste après la défaite leur infligée [sic] par les FARDC hier alors qu'ils voulaient prendre le contrôle de la ville de Goma", avance un autre message publié sur Facebook le 27 octobre (lien archivé ici), accompagné du même visuel.

L'internaute fait référence à la mission de l'ONU déployée en République démocratique du Congo (Monusco), au "Mouvement du 23 mars" (M23) - rébellion majoritairement tutsie, soutenue par le Rwanda selon de nombreuses sources, qui a repris les armes fin 2021 après plusieurs années de sommeil et s'est emparée de vastes pans de territoire du Nord-Kivu - et aux Rwanda Defence Force (RDF), les forces de l'armée rwandaise.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 3 novembre 2023 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

Ces assertions sont partagées sur les réseaux sociaux dans un contexte d'affrontements violents et de panique des populations civiles du Nord-Kivu - province de l'Est de la république démocratique du Congo -, forcées à fuir leurs maisons (lien archivé ici).

Les combats se sont intensifiés, depuis début octobre, au nord de la capitale provinciale Goma entre la rébellion du M23 d'une part, l'armée de la République démocratique du Congo (FARDC) et des groupes armés dits "patriotes" d'autre part.

La Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo (Monusco) (lien archivé ici), quant à elle, assure opérer en RDC "en vue d’assurer la protection des civils, du personnel humanitaire et du personnel chargé de défendre les droits de l’homme se trouvant sous la menace imminente de violences physiques et pour appuyer le gouvernement de la RDC dans ses efforts de stabilisation et de consolidation de la paix", peut-on lire sur son site (lien archivé ici).

La Monusco a notamment "des bases dans la ville de Goma", a indiqué à l'AFP Ndeye Khady Lo, sa porte-parole.

Cependant, l'image diffusée en ligne ne montre pas des membres de la Monusco, mais des soldats américains et rwandais : elle date de février 2023, date à laquelle un exercice militaire était organisé simultanément dans plusieurs pays, au Kenya, au Rwanda, à Djibouti, en Somalie et en Ouganda, du 13 au 20 février. Par ailleurs, la porte-parole de la Monusco a assuré à l'AFP qu'aucun élément "ne renvoie à la Monusco" sur cette photo, rappelant la mission onusienne opère en soutien de l'armée congolaise.

Une image ancienne

Pour retrouver l'origine de la photo que nous vérifions, nous avons effectué une recherche d'image inversée avec Google Lens. Résultat : elle apparaît dans un article du média rwandais The New Time (lien archivé ici) publié le 16 février 2023.

L'article est titré : "Les FRD [Forces de Défense rwandaises, NDLR] participent à un exercice multinational".

Sur la photo originale, de meilleure qualité, on distingue ainsi le drapeau américain sur l'écusson porté par l'un des soldats (encadré en rouge ci-dessous) et le drapeau rwandais sur un autre (encadré en jaune ci-dessous) :

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Capture d'écran prise sur le site The New Time le 3 novembre 2020 / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

La recherche d'image inversée nous conduit aussi à un post Instagram de l'armée rwandaise, mis en ligne le 16 février 2023 (lien archivé ici).

"Les forces de défense ont envoyé du personnel militaire dans l'exercice multinational portant le nom de code Justified Accord 23 (JA23) du 13 au 24 février 2023", est-il écrit en légende.

En effectuant une recherche à partir des mots-clés "Justified Accord 23" et "Rwanda", on tombe sur une page du site du ministère de la Défense rwandais (lien archivé ici). "Les forces de défense du Rwanda ont envoyé du personnel militaire dans l'exercice multinational portant le nom de code Justified Accord 23 (JA23) du 13 au 24 février 2023. L'exercice est principalement basé à l'école d'infanterie d'Isiolo, au Kenya, et d'autres exercices d'entraînement sur le terrain se déroulent simultanément à Djibouti, au Rwanda, en Somalie et en Ouganda", peut-on y lire.

Cette photographie illustre donc un exercice militaire organisé en février dernier ; il n'est pas lié avec les récents affrontements dans le Nord-Kivu en RDC, ni avec le M23 ou les membres de la Monusco.

Contactée par l'AFP le 2 novembre, la porte-parole de la mission onusienne Ndeye Khady Lo a d'ailleurs déclaré à propos de l'image diffusée en ligne qu'"il s'agit d'un exercice militaire entre l'armée rwandaise et des militaires américains. Sur cette photo, il n'y a rien qui renvoie à la Monusco. Pas de Casques bleus, pas de logos. Rien."

Les membres de la Monusco sont, en général, facilement identifiables par le port d'un casque ou d'un béret bleu ainsi que d'un écusson aux couleurs des Nations unies.

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Des soldats de la paix de la Mission de stabilisation de l'Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (Monusco) assistent à une cérémonie en l'honneur des soldats de la paix tués dans l'exercice de leurs fonctions depuis le début de la mission, à Goma, le 11 mars 2023. ( AFP / GUERCHOM NDEBO)

"La Monusco a pour mandat de protéger les civils, de combattre les groupes armés en soutien aux FARDC", ajoute-t-elle, faisant référence aux Forces armées de la République démocratique du Congo, l'armée officielle du pays.

Dans l'est de la RDC, fuir sous les bombes du M23

Cette image est diffusée en ligne à l'heure où les affrontements s'intensifient dans la province du Nord-Kivu.

Tout en continuant les combats à une vingtaine de kilomètres de Goma, les rebelles du M23 ont lancé le 26 octobre une nouvelle offensive plus au nord contre une bourgade dont la population a fui en masse, a constaté une équipe de l'AFP (lien archivé ici).

Selon la coordination humanitaire des Nations unies, près de 200.000 personnes auraient fui leurs maisons depuis la reprise des combats début octobre, après six mois de calme relatif, entre la rébellion du M23 d'une part, l'armée congolaise (FARDC) et des groupes armés dits "patriotes" ("wazalendo") d'autre part.

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Les habitants de Bambo, dans le territoire de Rutshuru, à 60 kilomètres au nord de Goma, capitale du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo, fuient lors de l'attaque de la ville par le M23, le 26 octobre 2023. ( AFP / ALEXIS HUGUET)

Ils s'ajoutent aux centaines de milliers d'autres déplacés chassés de chez eux depuis que le M23, soutenu par le Rwanda selon de nombreuses sources, a repris les armes en novembre 2021.

Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), la RDC compte actuellement le nombre record de 6,9 millions de déplacés, dont près d'un million dû au conflit avec le M23. La province du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda et de l'Ouganda, est au cœur des violences armées en cours depuis près de 30 ans dans l'est congolais, avec des rébellions répétées et des drames humanitaires constants.

Opération de la force de l'ONU et de l'armée contre le M23

Dans ce contexte, la mission onusienne a annoncé le 3 novembre le lancement avec l'armée congolaise d'une opération appelée "Springbok", destinée à empêcher les rebelles du M23 de prendre Goma dans l'est de la RDC (lien archivé ici).

"Notre objectif principal est d'arrêter toute velléité du M23 d'envahir Sake (à une trentaine de kilomètres de la capitale provinciale du Nord-Kivu) ou Goma", a déclaré à la presse à Goma le général Otavio Rodrigues de Miranda Filho, commandant de la force de la Monusco.

"La Monusco a toujours été à côté de nous comme partenaire privilégié", a également commenté le lieutenant-colonel Guillaume Ndjike, porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu.

Présente en RDC depuis 1999, la force de l'ONU est très critiquée par les Congolais qui lui reprochent de ne pas avoir mis fin aux violences des groupes armés, notamment du M23. Le gouvernement de Kinshasa a demandé son départ "accéléré" à partir de décembre prochain.

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