Non, cette photo ne montre pas des ministres congolais à l'ambassade des Etats-Unis en RDC

Alors que des combats meurtriers ont repris début octobre dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) entre les rebelles du M23 et l'armée, des membres du gouvernement congolais ont reçu le 25 octobre au ministère des Affaires étrangères à Kinshasa l'ambassadrice américaine. Mais des publications, partagées des centaines de fois sur les réseaux sociaux, utilisent une photo officielle de cette rencontre en affirmant qu'elle s'est tenue au sein de l'ambassade américaine. Dans les commentaires, des dizaines d'internautes s'indignent et dénoncent à tort des ministres convoqués par une puissance étrangère dans leur propre pays.
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Capture d'écran d'une publication sur X, réalisée le 8 novembre 2023

La photo montre quatre hommes en costume, assis sur des fauteuils rouges et dorés, le regard tourné vers une femme, assise elle aussi. Ils sont tous regroupés dans une salle aux murs blancs et au sol tapissé d'une moquette rouge.

Ce cliché a été rendu viral par des internautes congolais ayant des comptes certifiés sur X (ex-Twitter) et Facebook, persuadés d’y voir "3 ministres d’état [sic] de la RDC reçu [sic] chez l’ambassadeur américain en RDC".

L’un d’eux affirme montrer "une image descriptive de l’état d’esprit de nos dirigeants vassaux comme si nous étions encore à l’époque coloniale". "Vous nous faites HONTE !", écrit-il dans son post du 26 octobre 2023.

Un autre a soutenu que cette photo présente "deux vice-Premiers ministres et un ministre chez une ambassadrice des USA à Kinshasa". Il a ensuite corrigé son post.

L'allégation est également reprise par un journaliste basé à Paris, auteur d’un site spécialisé sur la RDC et dont le compte X est suivi par plus de 200.000 abonnés (post archivé ici).

Ces affirmations suscitent de nombreux commentaires hostiles au gouvernement du président Félix Tshisekedi, au pouvoir depuis janvier 2019, et candidat à un second mandat aux élections du 20 décembre prochain.

"C'est regrettable, on dirait des petits-enfants", lit-on. "Comme des chiens chez leur maître", "Comme des écoliers", "Un pays sous tutelle", "la honte", écrivent d’autres.

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Capture d'écran des commentaires sous une publication sur X, réalisée le 10 novembre 2023

La question de la souveraineté est particulièrement sensible en RDC, ancienne colonie belge, où la majorité de la population vit dans la misère malgré un sous-sol immensément riche en minerais, souvent exploité par des multinationales étrangères ou des groupes armés soutenus par des pays voisins.

Au ministère des Affaires étrangères de RDC et non à l'ambassade des Etats-Unis

"Elle a été prise le 25 octobre dans l’un des salons du ministère congolais des Affaires étrangères à Kinshasa", déclare à l’AFP Alain Stéphane Bwembia, membre de la cellule de communication du ministère congolais de la Défense. Il précise que la photographie a été prise en marge d’une rencontre initiée par le gouvernement congolais avec quelques ambassadeurs occidentaux.

M. Bwembia identifie sur le cliché : l'ambassadrice des Etats-Unis en RDC, Lucy Tamlyn, le ministre congolais des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, celui de la Communication, Patrick Muyaya, celui de la Défense, Jean-Pierre Bemba et le Vice-ministre des Affaires Étrangères, Crispin Mbadu Phanzu.

On retrouve l’image dans une série de photos publiées le 25 octobre sur X sur le compte de Patrick Muyaya, le ministre de la Communication.

Ce post évoque une présentation de "preuves pour prévenir la communauté internationale sur les conséquences de l’incursion rwandaise et de son activisme meurtrier". Il mentionne des échanges diplomatiques avec les ambassadeurs de l’Union européenne et des Etats-Unis en RDC.

Le porte-parole de l’ambassade des Etats-Unis en RDC, Greg Porter, confirme que cette réunion a bien eu lieu au ministère des Affaires étrangères, le 25 octobre. "L'ambassadrice Lucy Tamlyn a été invitée par ses partenaires de la RDC, qu’elle rencontre régulièrement pour discuter de questions bilatérales.", souligne-t-il à l’AFP le 6 novembre, en nous référant à la publication du ministre congolais de la Communication que nous avons précédemment citée.

La photo virale a bel et bien été prise dans un salon du ministère congolais des Affaires étrangères comme l’attestent d’autres rencontres ayant eu lieu dans le même décor (1,2).

Recrudescence des affrontements

Ce cliché suscite aussi l'intérêt sur les réseaux sociaux parce que Washington mène des échanges entre les gouvernements de la RDC et du Rwanda pour apaiser les tensions entre les deux pays (dépêche AFP archivée ici). Depuis début 2022, Kinshasa accuse Kigali d’armer la rébellion du M23 ("Mouvement du 23 mars"), ancienne rébellion majoritairement tutsi qui a repris les armes fin 2021 et conquis de vastes pans de territoires dans l'est de la RDC. Des experts de l'ONU ont corroboré ce soutien, condamné par plusieurs chancelleries occidentales, dont les Etats-Unis (dépêche AFP archivée ici).

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Les habitants de Bambo, à 60 kilomètres au nord de Goma, la capitale du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC, fuient alors que des rebelles du M23 attaque la ville le 26 octobre 2023. ( AFP / ALEXIS HUGUET)

A plusieurs reprises, les Etats-Unis et l'Union européenne ont demandé au Rwanda de cesser son soutien au M23. Des demandes restées sans effet, Kigali nie jusque-là toute implication dans le conflit. Après plusieurs mois d'accalmie relative, les combats se sont intensifiés depuis début octobre entre le M23 et l'armée congolaise alliée à des groupes armés se présentant comme des "patriotes" (dépêche AFP archivée ici). Ces combats ont provoqué de nouveaux déplacements massifs de populations.

Face à la recrudescence des affrontements, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a appelé le 6 novembre les dirigeants de la RDC et du Rwanda à la désescalade. Il "a plaidé en faveur d'une solution diplomatique aux tensions entre les deux pays", a indiqué le porte-parole du département d'État, Matthew Miller (dépêche AFP archivée ici). Les différentes initiatives diplomatiques lancées depuis le début du conflit n'ont pas permis de mettre fin aux violences ni d'amorcer un début de dialogue.

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