Une usine de téléphones portables en Zambie ? Attention à cette image générée par IA
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- Publié le 20 novembre 2023 à 17:42
- Mis à jour le 06 mai 2024 à 17:52
- Lecture : 9 min
- Par : Emilie BERAUD, AFP Afrique
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"ZAMBIE [emoji drapeau de la Zambie, Ndlr] Une usine de téléphones portables", prétendent montrer des publications diffusées près de 4.000 fois sur Facebook depuis le 6 novembre 2023, image à l'appui (liens archivés ici, ici ou encore ici).
Sur ce visuel, des ouvriers vêtus d'un uniforme gris travaillent sur une chaîne d'assemblage de smartphones dans un décor industriel.
"Trop plaisant de voir ce type d'image de mon continent. Allez Africains au travail !", se réjouissent certains messages, également publiés sur X (ex-Twitter) à la même date (lien archivé ici). Des assertions similaires circulent sur les réseaux sociaux en anglais (lien archivé ici).
Si, à première vue, cette image semble réaliste, plusieurs internautes mettent en doute sa crédibilité en commentaires. Certains soupçonnent le recours à un générateur d'image par intelligence artificielle. D'autres, à l'inverse, croient à la vraisemblance de la scène exposée :
Plusieurs incohérences visuelles mettent bel et bien sur la piste d'une création d'image par intelligence artificielle, comme l'ont révélées les investigations de l'AFP, soumises à l'expertise d'un spécialiste de l'IA.
D'abord créée par l'agence d'information économique africaine Ecofin avec le programme d'intelligence artificielle DALL-E, pour illustrer un post sur son compte LinkedIn, cette image a ensuite été diffusée sur les réseaux sociaux avec une légende erronée : pour l'heure, le gouvernement zambien a seulement annoncé un projet de lancement de fabrique de smartphones, qui devrait voir le jour dans ce pays d'Afrique australe d'ici à juin 2024.
De multiples incohérences visuelles
Comment savoir, en cas de doute, si une image a été générée par intelligence artificielle ? Actuellement, les logiciels de détection sont encore en phase de développement et certains peuvent induire en erreur, même s'ils parviennent parfois à confirmer des suspicions de recours à l'IA.
L'outil le plus fiable et le plus efficace reste l'observation, c'est pourquoi l'AFP a soumis l'image diffusée sur les réseaux sociaux à un spécialiste des images générées par IA, Victor Baissait : "Le meilleur moyen de vérifier si une image est générée par l’IA c’est de regarder ce qu’on voit dans l’image, s’il y a des choses trop bien faites ou au contraire, incohérentes", explique-t-il, le 13 novembre.
"Sur cette image, quand on regarde attentivement, on voit beaucoup de cartes électroniques. Difficile de savoir si elle est fidèle à la réalité quand on ne s’y connait pas, mais certains smartphones et cartes graphiques ont tout de même l’air un peu étirés", observe-t-il.
"On a aussi sur cette image une bordure qui commence et qui ensuite disparait : c’est un indice", note-t-il encore.
En effet, en regardant l'image d'un peu plus près, on identifie un déséquilibre en matière de proportions : certains téléphones portables et composants électroniques semblent démesurément grands par rapport aux mains des ouvriers. Aussi, au premier plan, les contours du plateau gris contenant des cartes graphiques (encadré en jaune ci-dessous) ne sont pas totalement dessinés :
"Les mains, une partie du corps complexe à représenter, sont un autre point faible de l’IA. Ici, elles semblent simplement un peu bizarres, mais souvent l’IA rajoute des doigts par exemple", pointe aussi Victor Baissait. Sur l'image que nous vérifions, la posture des mains des ouvriers est quasi identique, comme s'ils effectuaient tous le même geste en simultané :
"Une personne, au premier plan, a une sorte de badge où se trouverait son nom d’employé. Mais les lettres affichées sur l’étiquette ne correspondent à aucun alphabet", note encore le spécialiste :
"Le texte est d’ailleurs l’un des points faibles de l’IA : elle a du mal, dans de petits espaces, à générer quelque chose de crédible. Il faut que le texte soit en grand dans l’image pour que cela fonctionne bien", explique Victor Baissait.
Sur ce visuel, le texte affiché n'est effectivement pas cohérent :
"Ce qui peut être intéressant, c’est de retrouver une photographie qui montrerait la même situation, pour savoir si celle qui est montrée est crédible. Par exemple, dans les usines de smartphones, est-ce que ce sont les ouvriers ou les machines qui font de l’assemblage ? On peut essayer de se renseigner", suggère encore Victor Baissait.
Dans cette optique, l'AFP a recherché des photographies d'ouvriers et ouvrières travaillant dans une usine de téléphones portables. Sur ces images prises par des photographes de l'AFP en 2022 (à gauche) et en 2017 (à droite) en Chine, les employés sont assis les uns à côté des autres à la chaîne d'assemblage et manipulent écrans et composants électroniques :
Si l'image analysée correspond plutôt à la réalité d'une usine d'assemblage de téléphones, les autres indices nous mettent cependant sur la piste d'une création d'image par l'IA.
En Zambie, un projet d'usine de smartphones lancé d'ici... juin 2024
Pour en avoir la certitude, l'AFP a cherché l'origine du visuel en réalisant une recherche d'image inversée et l'a retrouvé sur le compte LinkedIn de l'Agence Ecofin (lien archivé ici), une agence d'information spécialisée dans l'actualité de l'économie africaine (lien archivé ici).
Sur le fond, cette publication annonce l'inauguration par le Kenya de "sa première usine d'assemblage de smartphones" et le lancement d'une future usine en Zambie en 2024.
"La Zambie suit le pas avec l'annonce d'une future usine de fabrication de smartphones prévue pour juin 2024. Cette initiative, révélée par le ministre de la Technologie et des Sciences, Felix Mutati, lors du sommet Africa Fintech 2023, vise à rendre la connectivité plus accessible et abordable", détaille l'agence de presse, qui a publié sur son site une dépêche sur le sujet le 3 novembre (lien archivé ici).
L'AFP a contacté l'Agence Ecofin qui publie, sur son compte LinkedIn, de nombreux visuels semblables à ceux que fabriquent les logiciels d'intelligence artificielle :
"L'image en question a été créé par notre community manager sur DALL-E afin d'illustrer l'annonce d'un projet d'usine d'assemblage de smartphones en Zambie", a ainsi confirmé l'agence, le 14 novembre.
DALL-E est un programme d'intelligence artificielle générative, capable de créer des images à partir de descriptions textuelles, comme le propose aussi le programme Midjourney. Utilisable gratuitement avec un compte Microsoft, le logiciel DALL-E 3 permet de fabriquer en quelques secondes des visuels à partir d'un "prompt", c'est-à-dire une courte description textuelle.
L'AFP a donc essayé de recréer une image similaire à partir de ce descriptif : "image d'ouvriers assis sur une chaîne de production dans une usine de fabrication de smartphones en Zambie". Voici les quatre propositions générées par le logiciel qui se rapprochent, dans le style, les couleurs et la composition, du visuel relayé sur les réseaux sociaux :
Ces images ne sont cependant que des créations numériques.
Pour l'heure, le gouvernement zambien prévoit de lancer une usine de smartphones d'ici à juin 2024 (lien archivé ici). L'élaboration de ce projet suit la signature, en septembre dernier, d'un protocole d'accord entre la Zambie et la société technologique chinoise ZTE (lien archivé ici).
Ce n'est pas la première fois que la Zambie, pays d'Afrique australe enclavé, souhaite inviter une entreprise étrangère à ouvrir ce type d'industrie sur son territoire. En avril 2021, le gouvernement voulait voir la société technologique chinoise Transsion Holdings installer une usine d’assemblage de téléphones dans le pays, tel qu’il en existe en Ethiopie (lien archivé ici).
Des années auparavant, en 2009, la première usine de fabrication de téléphones mobiles de Zambie - M-MOBILE Telecommunications (M-Tech) - s'installait dans le pays (lien archivé ici) selon le média local Lusaka Times.
Un article du média sud-africain ITWeb (lien archivé ici) expliquait cependant, en octobre 2011, que M-mobile Telecommunications (M-Tech) "pourrait fermer ses portes si le gouvernement zambien n'agit pas rapidement pour protéger l'entreprise contre la concurrence de la Chine".
Contacté à de multiples reprises par l'AFP, le cabinet du ministre de la Technologie et des Sciences Felix Mutati n'a pas répondu à nos sollicitations, visant à nous éclairer sur la concrétisation ou les échecs de ces différents projets.