Terre de diatomée, huiles essentielles… : contre les punaises de lits, des "remèdes" peu ou pas efficaces et parfois dangereux

  • Publié le 13 octobre 2023 à 15:59
  • Mis à jour le 19 octobre 2023 à 14:28
  • Lecture : 9 min
  • Par : Pierre MOUTOT, AFP France
11% des ménages français ont subi une infestation de punaises de lit entre 2017 et 2022, selon les chiffres officiels. Depuis plusieurs semaines, le sujet suscite de grandes inquiétudes dans la population, alimentées par des signalements de différents lieux (lycées, domiciles, cinémas...) et moyens de transports qui seraient contaminés. Dans ce contexte, des vidéos cumulant des centaines de milliers de vues sur Facebook, X (ex-Twitter) ou TikTok proposent leurs ''remèdes miracle" pour éliminer ou repousser les insectes. Des produits souvent inefficaces, et qui peuvent parfois présenter des risques pour la santé, expliquent des spécialistes interrogés par l’AFP. Face à une présence du nuisible, mieux vaut s'en tenir à des protocoles éprouvés.

''Ça ne sert à rien de faire venir des entreprises pour les punaises de lit, tout ça c’est fait pour vous ruiner ! La seule des solutions, c’est la terre de diatomée. Il faut en mettre partout dans le logement, avec du vinaigre'', proclame une utilisatrice de TikTok dans une vidéo publiée le 7 octobre 2023, qui cumulait 22.600 vues cinq jours plus tard.

Les réseaux sociaux regorgent de contenus qui vantent ainsi les mérites de remèdes soi-disant ''naturels'' contre les punaises de lit, publiés pour la plupart entre début septembre et mi-octobre 2023. L’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire (Anses) constate ces dernières années une augmentation du nombre d’infestations en France métropolitaine, avec plus d'un ménage français sur dix affecté entre 2017 et 2022.

Une étude réalisée par Ipsos pour l'Anses estime à environ 300 millions d’euros par an le coût de la lutte contre les punaises de lit pour les ménages, et rappelle que si l’infestation est susceptible de toucher tous les foyers sans distinction de revenus, son coût est évidemment plus lourd à porter pour les ménages les plus modestes (archive ici). L’Anses estime en effet à 866 euros par foyer en moyenne le coût de la lutte contre ces insectes. Bien qu'elles ne soient pas directement dangereuses pour l'humain et ne transmettent pas de maladies, la difficulté à s'en débarrasser fait peser sur les ménages affectés un coût psychologique et financier important.

Les punaises de lit ont marqué l’actualité du mois de septembre et le sujet a été abondamment commenté sur les plateaux de radio et de télévision, causant l’appréhension de nombreux usagers de lieux publics et de transports en commun. Le gouvernement a dû se saisir du sujet, et le ministre délégué aux Transports Clément Beaune a annoncé à l'issue d'une réunion le 4 octobre 2023 avec les opérateurs de transports que ceux-ci devraient faire remonter ''les données sur les signalés, les cas avérés'' et ''les actions'' mises en oeuvre. Une réunion interministérielle tenue le 6 octobre 2023 n'a pas débouché sur de nouvelles annonces.

Signe de l’anxiété que suscitent les rumeurs d’infestations partout en France, les vidéos consacrées aux remèdes maison peuvent rapporter des millions de vues aux utilisateurs qui font la promotion d’huiles essentielles, de clous de girofle ou de lavande comme répulsifs naturels contre les insectes. Parmi les plus vues, on trouve par exemple cette vidéo sur le TikTok, ou celle-ci, sur Facebook.

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Capture d'écran de TikTok faite le 13 octobre 2023
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Capture d'écran réalisée sur Facebook le 12/10/2023.

La terre de diatomée, un insecticide naturel mais ni miracle ni inoffensif

Parmi les produits les plus cités, on trouve la terre de diatomée, obtenue à base d’algues microscopiques fossilisées, comme l’explique ce rapport de l’Anses (archive ici). Utilisé depuis des siècles comme insecticide, le produit est présenté sur les réseaux comme une solution simple et efficace, beaucoup moins coûteuse et nuisible qu’un traitement chimique complet. Pourtant, ce produit, commercialisé sous forme de poudre ou de gel, ne suffit pas à lui seul à traiter une infestation, et son utilisation peut comporter des risques.

''C’est un produit qui peut marcher, mais qui n’a pas d’effet 'choc', explique Jean-Michel Bérenger, fondateur de l’Institut national d'étude et de lutte contre la punaise de lit (INELP), à l’AFP le 11 octobre 2023, ''ça peut venir en complément après l’aspiration et le traitement à la vapeur mais pas les remplacer. Pour la terre de diatomée, il faut compter au minimum quatre à cinq jours pour voir un effet sur les zones exposées. Ce n’est pas un produit miracle''.

Souvent présenté sur les réseaux sociaux comme sans danger pour l’humain, l’usage de terre de diatomée n’est pourtant pas sans risques : elle contient une part de silice, un composé minéral qui peut entraîner des inflammations pulmonaires en cas de forte exposition. ''La silice, comme toute poussière, peut représenter un risque si elle arrive dans les voies respiratoires'', explique Marie-Pascale Schuller, pneumologue.

La fibrose pulmonaire et la silicose, maladies causées par l’inhalation de poussières siliceuses, touchent toutefois peu les particuliers par rapport aux professionnels du bâtiment, de loin les plus concernés selon un rapport de l’Anses de 2019 (archive ici). ''C’est surtout un risque pour les enfants, dont les poumons sont encore en croissance. Les agressions particulaires peuvent induire des complications qui, à terme, peuvent affecter le développement pulmonaire'', ajoute Marie-Pascale Schuller. ''Les enfants, les asthmatiques, les allergiques et les personnes souffrant de pathologies pulmonaires''.

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Capture d'écran de Facebook faite le 13 octobre 2023

Raison pour laquelle ''il faut réserver l’usage de la terre de diatomée aux espaces les plus confinés et les moins atteignables'', selon Jean-Michel Bérenger. ''Le risque est assez faible dans ce cas-là, surtout si on fixe le produit sous forme de gel. Ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est en répandre partout et surtout pas sur le matelas, comme j’ai déjà pu le voir écrit sur internet''. Et en effet, de nombreux posts Facebook et vidéos TikTok recommandent de saupoudrer le produit directement sur le sommier, le matelas et les oreillers pour repousser les punaises.

La mairie de Paris, qui a publié fin septembre des recommandations pour lutter contre les infestations de punaises de lit, met également en garde contre l’utilisation de terre diatomée : ''La terre de diatomée, souvent conseillée et présentée comme un produit 'naturel' est déconseillée, son inhalation peut entraîner des lésions aux poumons'' (archive ici).

Huiles essentielles et bicarbonate de soude

Quant à d’autres "remèdes naturels" régulièrement cités pour traiter tous genres d’affections, de la plus bénigne à la plus grave, les experts appellent aussi à la prudence.

''La lavande, les clous de girofle ont des effets répulsifs bien connus. Mais dans une maison on ne cherche pas à répulser, au risque de voir les punaises se disséminer, on cherche à les éliminer'', explique Jean-Michel Bérenger. Repousser les punaises n’est en effet pas une solution, le risque étant de déplacer la population d’insectes -très résistants- ailleurs dans le logement et chez ses voisins, permettant à l’infestation de s'étendre et de perdurer. Le risque augmente dans les villes, où l’espace est plus densément peuplé.

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Capture d'écran réalisée sur Facebook, le 12/10/2023.

Si la propreté du logement peut être un facteur dans la lutte contre les punaises, inutile de le récurer du sol au plafond avec de l’eau de Javel ou du vinaigre. ''L’eau de Javel, ça sert à nettoyer, et il n’est pas prouvé que les punaises y sont sensibles. Pour avoir un effet sur les punaises, il faudrait en utiliser des quantités monstre. Ce ne sont pas des produits que j’utiliserais''.

L’entomologiste déconseille aussi d’inonder ses meubles d’huiles essentielles : ''Il faut faire attention quand on en répand dans la maison, ce ne sont pas non plus des produits anodins. Ça a beau être naturel, ce sont des produits très concentrés et très forts. Donc oui, il y a un risque d’irritation des voies respiratoires qui n’est pas à négliger''. Le Centre antipoison belge a fait l'inventaire sur son site des risques liés à l'utilisation d'huiles essentielles, et formulé des recommandations pour leur utilisation, à consulter ici (archive ici).

Le bicarbonate de soude, lui, s'il est inoffensif, est inefficace : ''Vous pouvez oublier, c’est parfaitement sans effet'', balaye Jean-Michel Bérenger.

Plutôt que de se tourner vers des produits ''miracles'' censés débarrasser sa maison d’une infestation en quelques heures comme on peut parfois le lire sur les réseaux, Jean-Michel Bérenger recommande l’application d’un protocole strict et éprouvé.

Comment lutter efficacement contre les punaises de lit ?

''Dans une maison, on a pratiquement tous les outils à sa disposition pour lutter efficacement contre les punaises : la machine à laver, le congélateur en premier lieu, pour lutter par le chaud et par le froid. On y traite les vêtements, les objets''. Dans ses recommandations, la mairie de Paris conseille ainsi de laver son linge à 60° minimum, ou de le congeler à -20° pour un minimum de 72 heures (archive ici) .

''Après, on traite les foyers d’infestation à l’aide d’un aspirateur et d’un nettoyeur à vapeur. Pour finir, éventuellement, on peut appliquer une fine couche de terre de diatomée en gel ou en spray fixant''. Si c’est le cas, l’entomologiste recommande le port de gants et de masque pour éviter de respirer les poussières siliceuses.

Marie-Pascale Schuller, quant à elle, insiste sur les risques liés à l’usage d’insecticides pour lutter contre les punaises de lit : ''Il ne faut surtout pas répandre de pesticides ou d’insecticides sur les surfaces, notamment sur les lits et les matelas. Les particules sont plus fines que celles de la silice, et pénètrent profondément dans les poumons''.

Dans un entretien avec l’AFP le 8 octobre, Mohand Arezki Izri, parasitologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny, déconseille l’emploi d’insecticides pour une raison supplémentaire : ''Aujourd’hui on en est au stade de plus de 90% de punaises résistantes. Et plus on applique d’insecticide, plus on élimine les quelques-unes qui restent qui sont sensibles. Donc finalement, on est en train de sélectionner une population de punaises de lit résistantes''.

En cas d’infestation persistante, le traitement chimique du logement doit absolument être confié à des professionnels. Le site UFC-Que Choisir recommande d’éviter les petites annonces ou les services de particulier : la plateforme officielle SignalConso aurait ainsi reçue une quarantaine de signalements à ce sujet, selon la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Seules les entreprises détentrices d’un certificat Certibiocide valide sont à même de réaliser le traitement (archive ici). La liste complète des entreprises certifiées est disponible ici (archive ici), sur le site de la Chambre syndicale de dératisation, désinfection et désinsectisation (CS3D).

Il est également recommandé de faire appel à une entreprise spécialisée dans la détection canine des punaises de lit. Comme pour les professionnels des interventions chimiques, ne s’adresser qu’à des entreprises agréées et demander le certificat de dressage des chiens pour s’assurer d’avoir le bon interlocuteur. La liste des entreprises qualifiées pour la détection canine est consultable sur le site (archive ici) du Syndicat des experts en détection canine des punaises de lit (SEDCPL).

Enfin, complète Jean-Michel Bérenger, ''le plus important est de détecter l’infestation le plus tôt possible, et d’appliquer les bons gestes. Et si ça ne suffit pas ou qu’on a oublié certains nids, on recommence le lendemain. Mais je recommande toujours d’appliquer le traitement dans le bon ordre''.

19 octobre 2023 Modifie l'orthographe du nom de famille de l'expert Jean-Michel Bérenger.

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