
Pas de graffiti dépeignant Zelensky en cannibale visible sur cette façade d'immeuble à Montreuil
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 21 septembre 2023 à 19:20
- Mis à jour le 27 octobre 2023 à 10:35
- Lecture : 6 min
- Par : Fabien ZAMORA, AFP France
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Sur la caricature relayée sur les réseaux sociaux, on peut voir un Volodymyr Zelensky inquiétant, mordant dans une jambe arrachée, sanguinolente. Elle semble peinte sur une façade, devant laquelle on peut voir le panneau "Montreuil", commune limitrophe de Paris. Selon la légende de la publication, Facebook datée du 17 septembre, "Le Point rapporte qu'un deuxième graffiti avec Zelensky à l'image d'un cannibale est apparu à Paris".
Dans la publication, on voit aussi ce qui ressemble à une capture d'écran d'un titre d'article du Point, portant ce titre : "Graffiti anti-ukrainien : Zelensky-cannibale est apparu à Paris". L'article est censé être signé d'un "Jean-Noël Lessard","envoyé spécial à Paris". Le visuel affirme qu'une "image similaire avait été vue à Berlin".
D'autres comptes ont relayé la même allégation en français, sur Facebook (archivé ici) ou sur X (archivé ici). Elle circule aussi en français sur le site "pravda-fr.com", qui publie principalement sur la guerre d'Ukraine (archivé ici). Elle a aussi circulé en géorgien et en russe comme l'ont relevé les fact-checkeurs géorgiens de FactCheck Georgia, ici et ici (archivé ici et ici).
Ces publications font écho à une autre récente tentative de manipulation, sur le même modèle, mais en Allemagne. Nos confrères du journal 20 minutes en Suisse ont démontré qu'il n'y avait pas de graffiti à Berlin (archivé ici) Cette publication sur Facebook, archivée ici, regroupe les deux images. La photo prétendument prise à Berlin a aussi circulé en espagnol comme sur X archivé ici, ou en bulgare sur Facebook, usurpant l'identité du journal Frankfurter Allgemeine Zeitung, archivé ici.
Plus largement, depuis le début de la guerre, plusieurs photos prétendant montrer des oeuvres d'art urbain caricaturant le président ukrainien ont circulé sur les réseaux, mais n'ont pas été retrouvées sur place par les journalistes de l'AFP tandis que des témoins ont confirmé qu'ils ne les avaient jamais vus.

Pour trouver l'endroit où est censée avoir été prise la photo de Montreuil, l'AFP a commencé par rechercher l'immeuble en question. Grâce au nom du commerce à la façade bleue, Mamaju, il a été possible par une recherche sur Google Maps de retrouver la localisation, puis, avec Google Street View, de voir la façade en question.

La photo, prise en 2021, donc avant le début de l'invasion du 24 février 2022, ne montre pas de graffiti. L'AFP s'est ensuite rendue sur place et a constaté qu'il n'y avait pas non plus de graffiti ce 21 septembre 2023.

Sur place, l'AFP a interrogé plusieurs riverains pour savoir si un tel graffiti avait été visible récemment, dans l'hypothèse où il aurait été déjà effacé. "Il n'y a jamais eu un tel graffiti", a expliqué à l'AFP le pharmacien José Aubert, 50 ans, de la pharmacie de Laitières, de l'autre côté de la rue. "Cela fait 22 ans, que je travaille là et il n'y a jamais eu un tel graffiti", a ajouté une autre commerçante qui n'a pas souhaité être identifiée. "S'il y avait eu ce graffiti, je l'aurais vu", a assuré un troisième commerçant qui lui non plus n'a pas souhaité être identifié.
Démenti du Point
L'AFP a également contacté l'hebdomadaire Le Point, qui lui a confirmé ne pas avoir publié un tel article, et ne pas avoir de journaliste répondant au nom de Jean-Noël Lessard. A note que le qualificatif d'"envoyé spécial à Paris" -visible dans la publication que nous examinons- n'est pas cohérent puisque Le Point est basé à Paris.
"Ceci est de toute évidence l’oeuvre d’un faussaire, une imposture, une usurpation, et de la propagande. Je ne connais pas de Jean-Noël Lessard. Ce soit disant 'article' ne provient pas du Point! Nous avons malheureusement l’habitude de ce genre de manipulation. Nous avons déjà été confrontés à des attaques informatiques venues de Russie, ainsi que des tentatives de siphonnage de notre site, et on nous a déjà signalé de faux articles du 'Point', utilisant notre graphisme, et destinés aux réseaux sociaux. Cette imposture-là semble plus grossière que les précédentes", a déclaré le 21 septembre à l'AFP Etienne Gernelle, le directeur de la publication.
Des usurpations d'identité de médias européens, qui peuvent prendre plusieurs formes, de relativement sommaire comme cette image reprenant l'identité visuelle du Point mais sans lien, à la création de pages complètes avec des liens hypertexte actifs, ont déjà été dénoncées en Europe, les services de sécurité affirmant qu'il s'agit de manoeuvres de guerre informationnelle au bénéfice de la Russie.
Opération "Doppelgangër"
La France a ainsi accusé en juin dernier la Russie d'être derrière une vaste opération d'ingérence numérique à travers notamment la publication de faux articles de grands quotidiens hostiles à l'Ukraine. Une opération baptisée "Doppelgangër", (archivé ici) terme folklorique désignant an allemand le double maléfique d'une personne, aussi documentée en 2022 notamment par Meta, maison-mère de Facebook.
"Le réseau RRN, dont l'existence a été dévoilée par le ministère des Affaires étrangères français en juin, connu aussi sous l'appellation 'Doppelgangër' par Meta, financé notamment par Evguéni Prigojine [l'ancien chef du groupe paramilitaire Wagner, NDLR] a continué à travailler après la mort de ce dernier", a déclaré à l'AFP le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) le 21 septembre, structure interministérielle placée sous l'autorité de la Première ministre, sans pour autant pouvoir commenter dans l'immédiat l'origine des fausses informations sur le graffiti de Montreuil.
Les manoeuvres peuvent aussi prendre un tour encore plus complexe. Ainsi une fausse vidéo attribuée au quotidien 20 minutes accuse un autre média, France 24 de propagande anti-russe. Cette vidéo affirme à tort qu'une journaliste de France 24 a engagé un artiste ukainien pour faire des graffitis anti-Zelensky en Europe et pouvoir ainsi ensuite accuser la Russie de propagande contre l'Ukraine. L'AFP a expliqué la manipulation ici, et Ronan Dubois, directeur général de 20 minutes, a annoncé que la publication allait déposer plainte.
La doctrine militaire russe a largement théorisé la guerre dite hybride, mêlant des moyens militaires cinétiques à d'autres modes d'action, comme les cyberattaques, ou la guerre informationnelle, qui permettrait dans ce cas de faire circuler l'idée d'une fatigue ou d'une hostilité croissante en Europe à l'égard du gouvernement ukrainien, alors même que l'Ukraine a un besoin impérieux du soutien des pays occidentaux, Etats-Unis et Europe en tête pour combattre la Russie.
27 octobre 2023 Ajoute la vidéo associée au fact-check
6 octobre 2023 Ajoute éléments au 4e paragraphe sur la propagation de la fausse nouvelle en géorgien et en russe.
2 octobre 2023 Corrige coquille sur le nom du restaurant à Montreuil "Mamaju" et non "Majuju"