
Un coup d'Etat au Congo Brazzaville ? Quand fausse rumeur et vidéos manipulées inondent la toile
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 22 septembre 2023 à 12:46
- Lecture : 11 min
- Par : Théo MARIE-COURTOIS, Célia LEBUR
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"Coup d'Etat au Congo Brazza", "Coup d'Etat militaire au Congo Brazzaville" : lapidaires, les premiers messages apparaissent le 15 septembre sur des groupes privés WhatsApp avant de se répandre dès le lendemain sur Facebook, TikTok et X (ex-Twitter).
Le pouvoir conglais publie rapidement un démenti qualifiant ces allégations de "fake news", en vain. La vague de désinformation va rapidement s'étoffer de "preuves" en images, les internautes postant de nombreuses vidéos de militaires en armes et de chars blindés dans les rues.

La situation sécuritaire volatile en Afrique francophone leur facilite la tâche, après la série de putschs qui a marqué la région ces trois dernières années. Depuis 2020, le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, puis cet été le Niger et le Gabon, ont vu s'installer au pouvoir des juntes militaires. Suite au renversement fin août du président Ali Bongo au Gabon, gouverné par la même famille depuis 56 ans, de nombreux analystes et médias en Afrique et ailleurs prédisent d'autres secousses. Cet évènement a provoqué une "onde de chocs qui inquiète les pays voisins" note par exemple une revue de la presse africaine publiée par Courrier International (lien archivé ici). L'hebdomadaire Jeune Afrique va dans le même sens avec cet éditorial (lien archivé ici) intitulé "Coups d'Etat : pourquoi nul n'est à l'abri".
Parmi les pays perçus comme “à risque”, sont notamment pointés du doigt le Cameroun de Paul Biya, 90 ans dont 40 au pouvoir, et le Congo-Brazzaville de Denis Sassou-Nguesso, 79 ans dont 39 au pouvoir. Ce dernier demeure en effet une place forte des intérêts français - notamment pétroliers - si décriés ailleurs sur le continent, sans parler des allégations de corruption et de mauvaise gouvernance visant régulièrement le sommet de l'Etat congolais.
Images décontextualisées
Comme a pu le confirmer l’AFP, les vidéos qui circulent sont pour beaucoup décontextualisées et ont été tournées au Gabon, en République Démocratique du Congo (RDC) ou encore au Niger.
Dans cette vidéo virale, à partir de la onzième seconde, on voit des hommes en uniformes marcher d'un pas décidé, sous les encouragements d'une foule en liesse. Nous avons pu retrouver un extrait plus long de ces mêmes images sur cette publication Facebook datée du 30 août (à partir de 0:49 secondes) dont l'auteur évoque non pas le Congo Brazzaville mais le coup d’Etat au Gabon, perpétré le même jour.
Si la mauvaise qualité de ces images ne nous permet pas de réaliser une recherche par image inversée, plusieurs éléments nous ont permis de confirmer qu'elles proviennent bien de Libreville, la capitale gabonaise.
À gauche et à droite de l’écran, sur la publication du 30 août, on aperçoit deux drapeaux du Gabon qui ont été rognés sur l'extrait circulant à propos du Congo. En écoutant le son de la vidéo, on entend clairement les manifestants chanter “Éveille-toi Gabon, une aurore se lève, encourage l’ardeur qui vibre et nous soulève”. Il s’agit de paroles issues de l’hymne national gabonais. Quant aux uniformes bleus portés par les meneurs de cette procession, ils correspondent aux tenues des forces de police du Gabon, comme indiqué sur le site internet du ministère de l'Intérieur gabonais (lien archivé ici).

Après analyse, cette autre vidéo virale sur TikTok et Youtube censée montrer le Congo est en fait une compilation de plusieurs séquences n'ayant rien à voir entre elles.
Après quelques images d'archives du président congolais Denis Sassou-Nguesso, à partir de 0:24 secondes sur la vidéo Youtube, un extrait montre des soldats défiler et l'on peut apercevoir sur l'épaule de l'un d'entre eux le drapeau bleu de la RDC, pays voisin du Congo-Brazzaville. Au-dessous, un insigne noir et blanc est également reconnaissable. On peut le retrouver sur plusieurs photos de militaires congolais, comme sur ces photos publiées par des médias congolais (lien archivé ici), prises en juillet 2023 lors d’une marche de la Garde républicaine (lien archivé ici).

La présence de taxis jaunes, leur couleur officielle à Kinshasa depuis 2018, alors qu’ils sont verts à Brazzaville, nous confirme que cette vidéo n'a pas été filmée dans la capitale du Congo-Brazzaville.
Le deuxième extrait évoque lui aussi un défilé militaire. Au second plan, on aperçoit des bâtiments semblables à des commerces avec des inscriptions comme “Burkina” et “Tecno”. Il s’agit de la devanture de Burkina Mobile Sarl, magasin situé à Ouagadougou, la capitale burkinabè.

Enfin, dans le troisième et dernier extrait de cette vidéo, des militaires saluent une foule massée dans des gradins, agitant drapeaux russes et nigériens. Ces images correspondent à une démonstration de force des militaires nigériens le 6 août 2023 face à leurs partisans réunis dans le stade Seyni Kountché de Niamey, la capitale du pays. On peut retrouver dans la base d’archives de l’AFP des photos et des vidéos de cet évènement avec notamment le général Mohamed Toumba, l'une des figures du nouveau régime au pouvoir au Niger depuis le coup d’Etat du 26 juillet. Le militaire est aussi identifiable dans la vidéo virale sur les réseaux sociaux.

Troublante similarité avec le Bénin
Dimanche 17 septembre, le porte-parole du gouvernement du Congo-Brazzaville Thierry Moungalla a balayé ces rumeurs. "Des informations fantaisistes évoquent des événements graves qui seraient en cours à #Brazzaville. Le Gouvernement dément ces fake news. Nous rassurons l’opinion sur le calme qui règne et invitons les populations à vaquer sereinement à leurs activités", a-t-il écrit-il sur X.

La présidence de la République du Congo a par ailleurs confirmé la participation de Denis Sassou-Nguesso à la 78ème Assemblée Générale des Nations Unies qui s'est ouverte mardi 19 septembre à New York.

"Ces rumeurs n'ont rien changé dans le quotidien des Brazzavillois", ces derniers étant principalement "préoccupés par le manque de gaz butane" (lien archivé ici), a confirmé dans la foulée un correspondant de l'AFP dans la capitale congolaise. Il n'y avait d'ailleurs aucune présence militaire particulière dans les rues et les administrations fonctionnaient normalement.
Simple coïncidence ou opérations coordonnées ? Presque simultanément avec l'apparition de l'infox sur le Congo-Brazzaville, le même type de vidéo décontextualisée a servi à amplifier une autre fausse rumeur, selon laquelle des heurts éclataient au Bénin contre le président Patrice Talon.
Le matin du 15 septembre, les réseaux sociaux se sont emballés sous l'impulsion de comptes originaires notamment du Burkina Faso. Cette fois, les images ont bien été filmées à Cotonou, capitale économique du Bénin, sauf qu'elles illustrent les tensions post-électorales de 2019, comme a pu vérifier l'AFP (lien archivé ici). Par ailleurs, aucun rassemblement ni manifestation n'a lieu dans les jours précédents, selon les correspondants de l'AFP sur place.
Il s'agit de "campagnes bas de gamme mais très bien synchronisées et diablement efficaces", affirme à l'AFP Maixent Somé, analyste financier burkinabè qui a mis en place un observatoire sur les réseaux sociaux. "Il est difficile de déterminer qui sont exactement les commanditaires, par contre les fabricants cela ne fait aucun doute, ce sont les usines à trolls basées au Burkina et dans une moindre mesure au Mali et au Niger".
"L’écosystème de désinformation dans la sous région c’est clairement au Burkina qu’il est le plus actif", abonde un expert en influence sur les réseaux sociaux, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat. "(Le président de transition Ibrahim, ndlr) Traoré a bien intégré la caisse de résonance que représente les réseaux sociaux. Il a mis en place de véritables relais de propagande, pour créer d’abord une caisse de résonance locale pour le soutenir, puis ces derniers mois pour propager des rumeurs visant à déstabiliser des pays voisins".
"On pense toujours aux Russes, mais il ne faut pas sous estimer ces acteurs locaux (de la désinformation, ndlr) qui ont leur propre stratégie. Les juntes elles-même ont leur stratégie propre et mettent des moyens" pour favoriser leur agenda politique dans la région, ajoute cette source.
Des groupes privés aux réseaux publics
Dans le cas du Congo-Brazzaville comme du Bénin, les recherches menées par l'AFP pour remonter à la source de la rumeur révèlent un modus operandi similaire, avec un déferlement massif de publications postées en quelques heures à peine, l'utilisation d'images décontextualisées, et une rhétorique agressive qui affiche un soutien sans faille aux juntes au pouvoir dans la région.
A chaque fois, c'est de groupes privés WhatsApp que sont parties les premières assertions, avant d'être relayées sur d'autres réseaux comme Facebook, TikTok et X.
Sur Facebook, la rumeur du coup d’Etat au Congo-Brazzaville s’est propagée dès le samedi 16 septembre. A 20h55, un internaute burkinabè écrit “Coup d'Etat en cours au Congo Brazzaville ” sur FONER.NET, un groupe Facebook suivi par plus de 250.000 personnes. L’auteur du message y est très actif, notamment pour promouvoir la toute nouvelle Alliance des Etats du Sahel, une architecture de défense commune entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

A 22h01, K12 INFOS, une page également d'origine burkinabè, reprend les mêmes affirmations, citant “plusieurs sources” sans davantage de précisions. Elles sont ensuite relayées par d'autres pages et groupes situés au Burkina Faso, au Niger et en Côte d’Ivoire, qui disposent d’une audience de dizaines voire de centaines de milliers d’abonnés.
Le lendemain, la rumeur continue d'enfler, toujours par le biais de comptes ouest-africains (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Mali et Sénégal). C'est aussi le 17 septembre que le sujet apparaît sur Twitter, comme le montre une recherche avec les mots-clés "coup Congo-Brazzaville" sur l'outil Visibrain.

C'est à ce moment-là qu'on voit apparaître des messages mentionnant le général Serge Oboa, patron de la direction générale de la sécurité présidentielle, présenté par les internautes comme le nouveau dirigeant du pays. Parmi les comptes les plus influents, on retrouve des profils connus pour partager des discours souverainistes ou anti-français.
C'est le cas de “La voix du peuple”, page burkinabè qui a relayé au mois de septembre pas moins de trois affirmations trompeuses vérifiées par l’AFP, notamment une vidéo prétendant montrer le départ de l'ambassadeur de France à Niamey (lien archivé ici).
Autre compte burkinabé qui mentionne ce supposé coup d'Etat, "Sawadogo Souleymane Power", qui lui aussi a relayé à de nombreuses reprises des affirmations démenties par l'AFP comme cette fausse information sur une armée secrète européenne qui interviendrait au Mali sans accord des autorités (lien archivé ici). Il s'agit du premier profil Facebook à partager la vidéo décontextualisée des soldats au Gabon, mentionnée plus haut dans cet article.
Sur Telegram, la première occurrence de ce prétendu coup d'Etat sur une chaîne publique arrive plus tardivement, à 18h18 le 17 septembre. Mais presqu'immédiatement (à 18h25), elle est reprise par une chaîne liée au groupe Wagner nommée Grey Zone, régulièrement utilisée par le défunt patron du groupe paramilitaire russe pour y diffuser ses vidéos. Dans la dizaine de minutes qui suit, d'autres chaînes s'emparent également du sujet comme ici et ici.
L'infox a également largement circulé sur TikTok et X. Certains des comptes qui l'ont véhiculée ont été supprimés depuis, à l'instar de "waterlo.blede"; et comme sur Facebook, la majorité des profils partageant la rumeur de coup de d'Etat diffusent essentiellement des contenus favorable aux juntes au pouvoir en Afrique de l'Ouest.