Cette vidéo montre un ancien ministre gabonais et non l'ambassadeur de France au Niger
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- Publié le 19 septembre 2023 à 17:28
- Mis à jour le 22 septembre 2023 à 12:42
- Lecture : 7 min
- Par : Erin FLANAGAN
- Traduction et adaptation : Monique NGO MAYAG
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"Départ de Niamey de l’Ambassadeur de France au Niger. Quelle humiliation !", écrit l’auteur d’un post partagé plus de 6.000 fois depuis le 14 septembre sur Facebook. Cette affirmation s’accompagne d’une vidéo d'environ une minute, qui montre une foule en colère devant l’entrée d’un immeuble. Quelques secondes plus tard, un homme blanc en costume sort du bâtiment et traverse la horde sous les colibets, escorté par des militaires.
"Voleur, voleur !", hurle la foule alors que l'homme s'engouffre dans un véhicule qui démarre aussitôt.
"Vive le Niger", commente un internaute visiblement convaincu des allégations associées au post viral. Le même message a largement circulé sur X (ex-Twitter) et a été abondamment relayé en français (comme ici et ici) et en anglais sur TikTok.
Une autre vidéo partagée notamment sur X (post archivé ici) avec la même affirmation trompeuse montre l'incident sous un angle différent.
Cette vidéo d'une minute est filmée en plongée, au-dessus de la foule depuis un étage du bâtiment.
Coup d'État au Niger
Ces nombreuses publications surviennent dans un climat de vives tensions politiques et diplomatiques après le coup d’État mené au Niger le 26 juillet par la garde présidentielle qui a renversé le président Mohamed Bazoum (dépêche archivée ici).
Les relations entre le Niger et la France, ancienne puissance coloniale, se sont rapidement détériorées après que Paris a soutenu Bazoum et dénoncé la prise du pouvoir par des militaires (archivé ici).
Le 25 août, les nouvelles autorités ont annoncé "l'expulsion" immédiate de l'ambassadeur de France au Niger, Sylvain Itté, lui donnant 48 heures pour quitter le pays (dépêche archivée ici).
En réponse à cet ultimatum, la France a déclaré que la junte nigérienne n’avait "aucune autorité" pour formuler cette demande et a ignoré le délai fixé par les chefs militaires.
Toutefois, l’affirmation selon laquelle la séquence qui circule sur les réseaux sociaux montre des soldats nigériens expulsant de force le diplomate de l’ambassade de France à Niamey est fausse.
Une scène filmée au Gabon
Dans la première vidéo virale sur Facebook, l’homme sort sous bonne escorte d'un immeuble imposant dont la façade est ornée de vitrages à effet miroir et de colonnes de couleur marron.
Après une recherche d'images inversée (voir ici, comment procéder), nous avons pu constater sur Google Maps que le bâtiment est en fait celui du ministère des Eaux et forêts du Gabon, situé à Libreville, la capitale de ce pays d'Afrique centrale (image archivée ici). On y retrouve en effet la même façade en verre et les mêmes colonnes que dans la séquence qui circule sur Facebook.
En observant bien le vitrage de l'immeuble, on aperçoit en outre le reflet de deux objets arrondis (encadrés en rouge) qui ressemblent aux poteaux en forme d'arbre qu’on retrouve à l'extérieur du ministère gabonais des Eaux et forêts, sur des images publiées sur Google Maps.
La vidéo publiée sur Twitter sous un angle différent montre plus nettement la foule attroupée autour de ces poteaux à la forme inspirée de celle des arbres.
Un deuxième bâtiment gris clair est visible en arrière-plan dans la séquence virale sur Facebook, à partir de la 38ème seconde.
Grâce à un travail de géolocalisation sur Google Earth, l'AFP a trouvé une vue aérienne qui montre que ce second bâtiment se trouve précisément en face du ministère gabonais des Eaux et forêts. Il présente la même architecture circulaire en accordéon.
Une recherche par mots-clés révèle que le deuxième bâtiment est le ministère des Mines, de l'industrie et du tourisme à Libreville, au Gabon (archivé ici).
Ex-ministre gabonais
En recherchant "Ministère des Eaux et forêts Gabon" sur les réseaux sociaux, nous avons trouvé de récentes publications avec la même vidéo virale ou des vidéos similaires (comme ici) mais avec une autre affirmation. Cette fois, les internautes affirment qu’elle montre des soldats gabonais escortant l'ancien ministre Lee White, sortant du bâtiment des Eaux et forêts.
Lee White, citoyen britannique établi depuis plusieurs décennies au Gabon, dont il a obtenu la nationalité en 2008, a été nommé ministre de ce pays en 2019 par le président Ali Bongo (dépêche archivée ici), alors au pouvoir.
Renversé lors du coup d'État militaire du 30 août, Ali Bongo est depuis assigné à résidence.
Des photos retrouvées dans les archives photographiques de l’AFP confirment que l’homme escorté dans la vidéo qui circule est bel et bien Lee White.
Lee White, figure de la conservation qui fut longtemps à la tête de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN), est controversé au Gabon en raison de ses liens étroits avec l’ancien régime Bongo et de ses réformes en faveur de la biodiversité peu populaires auprès des acteurs du secteur forestier du pays. Les employés de son ministère se sont régulièrement mis en grève pour protester contre sa gestion des affaires lorsqu'il était ministre.
Démis de ses fonctions à la faveur du récent coup d'Etat, il a quitté le 13 septembre le ministère des Eaux et forêts sous les huées et les insultes alors qu'il venait d'effectuer la passation de pouvoir avec son successeur nommé par la junte.
L’ambassadeur de France au Niger
A date de publication, l'ambassadeur de France au Niger se trouvait en revanche toujours dans les locaux de l'ambassade à Niamey, le président français ayant même accusé la junte le 15 septembre de le retenir "en otage" (dépêche archivée ici).
L'ambassadeur Sylvain Itté n'a "plus la possibilité de sortir, il est persona non grata et on refuse qu’il puisse s'alimenter", a martelé Emmanuel Macron.
Interrogé sur un éventuel rapatriement de l'ambassadeur à Paris, le chef de l'Etat a réitéré : "Je ferai ce que nous conviendrons avec le président Bazoum parce que c’est lui l’autorité légitime et je lui parle chaque jour".
De son côté, le Premier ministre nigérien Mahaman Lamine Zeine a assuré qu'il n'enverrait pas de policiers dans l'ambassade, mais a averti que le diplomate serait désormais considéré comme étant "en situation irrégulière" dans le pays.