French centrist Renaissance and French right-wing Les Republicains (LR) lawmakers applaud France's Labour Minister Olivier Dussopt (L) during today's second session to discuss the government's pensions reform plan at the National Assembly, France's Lower House of Parliament, in Paris, on February 17, 2023. ( AFP / Ludovic MARIN)

Le "chantage à l'exclusion des députés" d'un groupe parlementaire puni par la loi ? Le raccourci trompeur de Jean-Luc Mélenchon

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 16 mars 2023 à 16:07
  • Lecture : 8 min
  • Par : Nathan GALLO, AFP France
Les menaces d'exclusion prises par un groupe parlementaire ou un parti contre un député accusé de ne pas respecter la ligne politique ou les consignes de vote ne sont pas sanctionnées pénalement. Pourtant, le chef de file de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a déclaré sur Twitter le 14 mars que "le chantage à l'exclusion des députés est puni par la loi par de la prison ferme et des amendes lourdes". Un avertissement adressé au parti Les Républicains (LR), dont le président de groupe Olivier Marleix aurait menacé d'exclure les députés que signeraient une motion de censure contre le gouvernement, dans le cadre du débat sur les retraites. Contacté par l'AFP, l'entourage de Mélenchon indique s'appuyer sur le Code pénal, qui punit de dix ans d'emprisonnement et de 150. 000 euros d'amende toute menace, violence ou intimidation à l'égard d'un élu. Mais l'ensemble des spécialistes de droit constitutionnel contactés par l'AFP expliquent que ces pratiques relèvent de la vie politique et n'ont jamais été juridiquement considérées comme du "chantage".

Le 14 mars 2023 sur Twitter l'ancien candidat à la présidentielle et chef de file du partie La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a soutenu que le "chantage à l'exclusion des députés est puni par la loi par de la prison ferme et des amendes lourdes", dans un tweet adressé aux dirigeants du groupe parlementaire Les Républicains (LR).

Image
Le tweet de Jean-Luc Mélenchon, publié le 14 mars 2023 (capture d'écran du 15 mars 2023)

Car depuis le début des débats sur la réforme des retraites, le groupe parlementaire LR à l'Assemblée nationale, composé de 61 députés, se déchire sur la position à adopter face à la réforme.

Après plusieurs jours d'atermoiement, la Première ministre Elisabeth Borne a finalement engagé jeudi à l'Assemblée nationale la responsabilité de son gouvernement sur la réforme par le biais de l'article 49.3 de la Constitution, qui permet une adoption du texte sans vote, mais expose à une motion de censure.

Alors que les dirigeants du parti, comme son président Eric Ciotti, soutient la réforme, certains députés du groupe seraient tentés de cosigner une motion de censure contre le gouvernement avec le groupe parlementaire Groupe Libertés, outre-mer et territoires (Liot), comme expliqué dans cette dépêche AFP du 14 mars.

Interrogé sur le sujet lors d'un point presse le 14 mars, Olivier Marleix a assuré ne pas avoir parlé "d'exclusion" en s'adressant à ses troupes lors d'une réunion de groupe mais a toutefois estimé que si des députés signaient une motion avec le groupe Liot, ils avaient "vocation à aller siéger avec Liot".

Une menace dénoncée comme du "chantage" par le député LR Aurélien Pradié, l'un des élus du parti les plus hostiles à la réforme des retraites, dès le lendemain sur Franceinfo.

"On ne menace pas un député", a-t-il soutenu. "Aucun député ne peut faire l'objet de la moindre menace ou du moindre chantage politique". Avant d'ajouter : "Et cela s'applique à tout le monde. Aux présidents de groupe y compris."

Une manoeuvre propre à la vie politique et pas pénalement répréhensible

Au-delà du conflit politique au sein du groupe LR, ce "chantage à l'exclusion" est-il pénalement répréhensible, comme l'a déclaré Jean-Luc Mélenchon?

Interrogé par l'AFP, l'entourage de Jean-Luc Mélenchon indique s'appuyer sur l'article 433-3 du code pénal. L'article, qui existe depuis 1994, dispose notamment qu'une personne peut être punie de "dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende" en cas de "menaces", "violences" ou "tout autre acte d'intimidation" pour obtenir d'un élu, entre autres, qu'il "accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat".

Mais les spécialistes de droit constitutionnel et de science politique interrogés par l'AFP s'opposent à cette lecture pénale face à ce qui relève à leurs yeux plutôt de la vie politique propre aux partis et groupes parlementaires.

"Ce que dit Jean-Luc Mélenchon est faux", indique Elina Lemaire, professeur de droit public à l'Université de Bourgogne, à l'AFP le 15 mars. Cette dernière estime qu'"agiter cette menace n'a aucun sens. La politique ne peut être entièrement saisie par le droit".

Un point aussi soutenu par le constitutionnaliste Ferdinand Melin-Soucramanien à l'AFP le 15 mars : "Cette disposition ne me semble pas rentrer dans ce cadre politique".

Celui qui était par ailleurs déontologue de l'Assemblée nationale entre 2014 et 2017 estime que ce texte n'est pas "adapté" à ce type de situation propre au Parlement. "D'un côté, on parle du fonctionnement normal d'une formation politique, et de l'autre d'une qualification pénale précise qui correspond à de l'extorsion ou du racket".

"Le 'chantage à l'exclusion' est une formule un peu caricaturale, qui s'assimile au chantage", un acte pénalement répréhensible. "Mais évidemment ici, ce n'est pas le cas", souligne le constitutionnaliste.

Image
Le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, Olivier Marleix, lors d'un point presse le 15 mars 2023. ( AFP / Ludovic MARIN)

"La discipline partisane existe depuis fort longtemps au Parlement français"

"C'est complètement farfelu", décrit de son côté Jean-Philippe Derosier, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Lille à l'AFP le 15 mars. "On n'est pas dans du chantage, mais dans l'application d'une sanction politique dans un cadre politique", rappelle le constitutionnaliste.

"Il n'existe pas d'obligation juridique de loyauté à un groupe parlementaire", explique de son côté Mathilde Philip-Gay, professeure de droit public à l'Université Lyon III Jean Moulin. "Mais politiquement, la personne inscrite dans un groupe politique ou à un parti a besoin par exemple du soutien de ce groupe et va de fait respecter les consignes de vote".

Interrogé par l'AFP le 14 mars, le professeur de science politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Bastien François rappelle aussi que ce type de chantage à l'exclusion est assez commun "dans l'histoire de l'Assemblée".

Tous les spécialistes interrogés expliquent par ailleurs que tout groupe parlementaire peut exclure un de ses membres pour des raisons politiques.

"La discipline partisane existe depuis fort longtemps au Parlement français", souligne Elina Lemaire. "Soit le député ou le sénateur suit la ligne du groupe (parti), soit s'il ne la suit pas il peut être exclu", explique la professeure de droit public.

"Ce n'est pas un texte de droit qui prévoit cela et ce n'est pas du chantage, c'est de la politique. Personne n'oblige un député ou un sénateur à être membre de tel ou tel groupe parlementaire. Mais en tant que membre du groupe, il a une ligne politique à suivre", poursuit-t-elle.

"Si un des députés LFI soutenait la retraite à 68 ans avec 1000 euros de revenus minimum, il serait immédiatement exclu, ce qui serait logique car cela ne correspond pas à l'idéologie de la France insoumise", soutient de son côté Jean-Philippe Derosier.

Des chartes adoptéees par les députés LFI comme LR

Les menaces aux députés réfractaires à la discipline de vote d'un parti est en tout cas une pratique courante. En 2018, lors du vote sur le projet de loi Asile et immigration, le président du groupe La République en marche (LREM), Richard Ferrand, avait notamment prévenu ses députés que "s'abstenir est un péché véniel, voter contre, un péché mortel".

Par ailleurs, la discipline de vote au sein d'un groupe parlementaire est officiellement reconnue, même parmi les députés de la France Insoumise. En amont des élections législatives de 2022, chaque candidat du parti avait notamment signé une charte leur demandant de "respecter la discipline de vote du groupe lorsqu’une décision collective a été prise conformément au programme [présidentiel ]", afin d'"assurer la cohésion de groupe qui permet de renforcer la parole [du] mouvement".

D'autres partis politiques, comme Renaissance ou Les Républicains avaient mis en place le même type de document pour demander aux candidats de soutenir la ligne politique du parti à l'Assemblée nationale.

Les députés LR s'étaient ainsi engagés à "respecter scrupuleusement, dans [les] fédérations et dans le cadre de nos fonctions, pour ces élections législatives et pour la suite du quinquennat la position adoptée par [le] mouvement".

Un "chantage" non anticonstitutionnel

Ces pratiques avaient suscité les critiques en mai dernier, et certaines personnalités politiques avaient estimé que ces chartes étaient anticonstitutionnelles en s'appuyant sur l'article 27 de la Constitution.

L'article dispose que "tout mandat impératif", c'est-à-dire guidé par des intérêts extérieurs à l'élu, "est nul", et ajoute que "le droit de vote des membres du Parlement est personnel". Mais plusieurs constitutionnalistes avaient alors indiqué à l'AFP que la mise en place de ces chartes n'était qu'un engagement politique et moral vis-à-vis de leur parti.

"Lorsqu'on signe une telle charte, ce n'est pas une obligation constitutionnelle ou une obligation juridique que l'on signe. En réalité, c'est un engagement politique et moral auprès de son parti", avait déjà expliqué Jean-Philippe Derosier en mai dernier.

L'ancien déontologue de l'Assemblée nationale Ferdinand Melin-Soucramanien indique lui-même que ce type de charte n'est pas anticonstitutionnel. "Le député conserve son mandat. Le caractère impératif du mandat serait de conditionner l'orientation d'un vote au mandat de député. Or là ce n'est pas le cas". En cas d'exclusion, le député restera élu et pourra aussi intégrer un autre groupe.

Image

Très peu de sanctions judiciaires en cas de contestation d'exclusion

Plus globalement, les mécanismes de contestation en cas d'exclusion demeurent en réalité assez limités. Ils se cantonnent généralement aux statuts et règlements des partis politiques, qui possèdent le statut d'association, avec des possibilités de recours interne via des commissions de règlement des conflits propres à chaque structure.

L'ensemble des spécialistes interrogés estiment en tout cas très peu probable que ce type de procédure, liée par exemple à un refus d'alignement sur les consignes de vote, puisse avoir des conséquences judiciaires caractérisées comme du chantage ou des menaces.

"Un député peut toujours essayer de le faire, mais il ne sera pas reçu par le juge, qui ne s'immisce pas dans ce type de relation au sein des groupes ou partis, et ce même dans les pires manipulations qu'il y a pu y avoir dans les partis politiques en France", décrit Ferdinand Melin-Soucramanien.

"Jamais aucun juge ne s'intéresserait à ce genre d'affaire", décrit aussi Jean-Philippe Derosier.

"Par ailleurs, je ne vois même pas un parlementaire aller porter cette affaire en justice. Vous pouvez contester politiquement votre exclusion d'un groupe parlementaire, mais cela relève du levier politique, pas judiciaire".

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter