Non, cette vidéo de France 24 n’annonce pas un coup d'Etat au Niger en février 2023

Un extrait vidéo du journal télévisé de la chaîne française France 24, très partagé sur les réseaux sociaux depuis le 17 février, est présenté par des internautes comme un direct depuis Niamey relatif à une récente "tentative de coup d’Etat au Niger". Attention : la vidéo est authentique mais elle ne date pas de 2023. Ce putsch raté remonte à la nuit du 30 au 31 mars 2021, 48 heures avant la prestation de serment du président nigérien Mohamed Bazoum alors tout juste élu. Cette vidéo fait partie des images qui circulent en ligne depuis début février, utilisées pour relayer plusieurs rumeurs au sujet de la situation politique nigérienne.

"Coup d’Etat au Niger" : voici la brève description qui accompagne une vidéo de près de six minutes partagée sur Facebook le 18 février. Dans cette séquence où figure le logo du réseau social TikTok, on remarque les inscriptions "tentative de coup d’Etat au Niger" puis, en rouge dans la partie inférieure de l'image, les mots "coup d’Etat échoué".

Dans la vidéo, visiblement tirée de l’antenne de France 24 au vu du logo qui figure dans le coin inférieur droit de l’image, la présentatrice commente la situation alors en cours dans la capitale du Niger avant de donner la parole au correspondant de la chaîne sur place, Cyril Payen.

Celui-ci revient sur des échanges de coups de feu autour du palais présidentiel, décrit le climat sécuritaire dans la capitale nigérienne avant d’évoquer "une situation sous contrôle". La même vidéo partagée sur Facebook est aussi relayée sur TikTok, où plusieurs publications (1, 2, 3…) ont cumulé près d’un million de vues en une semaine.

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Capture d'écran d'une publication Facebook, effectuée le 24 février 2023

Depuis l’indépendance du Niger, quatre coups d’Etat ont été enregistrés dans ce pays d’Afrique francophone, le premier en avril 1974 contre le président Diori Hamani et le dernier en février 2010 qui a renversé le président Mahamadou Tandja. Entre 2011 et 2021, plusieurs tentatives de coup d’Etat ont été dénoncées par les gouvernements successifs.

Le Niger est voisin du Mali et du Burkina Faso, deux pays du Sahel dirigés par des militaires. Ces trois Etats sont en proie aux violences jihadistes depuis les années 2010 - elles ont d'abord frappé le Mali et le Niger se sont ensuite étendues au Burkina Faso, puis de manière moins intense à plusieurs pays du golfe de Guinée. Encore le 10 février, au moins 17 soldats ont été tués lors d'une embuscade tendue par un "groupe d'hommes armés terroristes", dans l'ouest du Niger, à la frontière avec le Mali, selon le dernier bilan de cette attaque communiqué le 17 février par le ministère nigérien de la Défense.

Face à ces violences, les stratégies sécuritaires des gouvernements diffèrent, notamment dans leur rapport avec les forces françaises présentes jusqu'à récemment dans de ces pays au titre de la lutte contre le jihadisme : les autorités du Mali et du Burkina Faso ont notamment demandé le départ des forces spéciales françaises alors que le Niger est pressenti pour accueillir en partie ces militaires.

Parallèlement, plusieurs déclarations récentes laissent présager d'une présence plus appuyée de la Russie dans la région. Le 7 février, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a promis l'aide de Moscou aux pays du Sahel et du Golfe de Guinée face aux jihadistes, et laissé entendre une implication accrue en Afrique, confrontée selon lui aux "instincts néocoloniaux" des Occidentaux.

C'est dans ce contexte de tensions régionales que circule cette vidéo, aux côtés d'autres images utilisées par les internautes sur les réseaux sociaux pour relayer plusieurs rumeurs au sujet de la situation politique nigérienne. Ces allégations ne sont pas nouvelles : déjà en février 2022, l’AFP avait vérifié une autre vidéo décontextualisée de France 24 utilisée par les internautes pour faire courir la même rumeur.

Dans les commentaires sous les vidéos publiées sur Facebook et TikTok, de nombreux internautes ne cachent pas leur volonté de voir le président Mohamed Bazoum, cible récurrente de critiques visant notamment ses origines tribales, quitter le pouvoir ; parmi eux, certains accusent également le Niger d’être devenu la base arrière de la France. D’autres se montrent plutôt sceptiques et soutiennent que ces images censées montrer un coup d’Etat récent au Niger sont anciennes.

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Captures d'écran de commentaires sur Facebook et TikTok, réalisées le 24 février 2023

Une vidéo de 2021

C'est le cas : une recherche sur le moteur de recherche Google avec les mots-clés "coup d’Etat au Niger" renvoie directement à l’origine de la vidéo, mise en ligne dès 2021 sur YouTube.

Cet extrait de France 24 date plus précisément du 31 mars 2021 et a été publié sur le compte YouTube officiel – comme en témoigne son badge de certification gris – de la chaîne sous le titre "Tentative de coup d'État au Niger : tirs à l'arme lourde près du palais présidentiel". Figure de l'antenne en langue française, la présentatrice Elisabeth Allain y interroge le journaliste Cyril Payen, sur place à Niamey à l'époque.

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Capture d'écran d'une recherche Google, effectuée le 24 février 2023

Il revient sur une tentative de coup d’Etat au Niger en 2021, 48 heures avant la prestation de serment du président Mohamed Bazoum.

France 24 confirme de son côté qu’il s’agit bien d’une ancienne vidéo. Dans un courrier adressé à l’AFP le 23 février, la chaîne de télévision française confirme que "la vidéo publiée sur Facebook/Tik Tok qui évoque un coup d’Etat au Niger" est "un extrait vidéo sorti de son contexte". "La séquence originale de France 24, évoquant cette tentative de coup d’Etat au Niger, date du 31 mars 2021 et n’est donc pas d’actualité", tranche ce média, ajoutant qu'aucune vidéo issue de France 24 sur un possible coup d'Etat au Niger n'a été diffusée "récemment".

Cette rumeur de tentative de coup d’Etat au Niger qui a largement circulé sur internet a également fait réagir les autorités du pays.

Un communiqué authentifié par un officiel nigérien à l’AFP le 23 février et signé par le porte-parole du gouvernement Tidjani Idrissa Abdoul Kadri a été publié sur les réseaux sociaux et notamment relayé par l’agence nigérienne de presse (ANP) sur son site.

Dans ce document daté du 17 février, les autorités évoquent des messages 'malveillants' et des 'montages d'images grotesques'. "Le gouvernement de la république du Niger tient à démentir ces mensonges grossiers qui sont distillés à travers des images d'archives", poursuit ce texte, accusant les internautes relayant cette rumeur de vouloir "semer la psychose au sein de l’opinion".

Verdict pour les militaires accusés

Au moment où cette tentative de coup d’Etat a eu lieu, Mohamed Bazoum, premier président à accéder au pouvoir après une transition démocratique entre deux présidents élus depuis l’indépendance en 1960, s’apprêtait à prêter serment après son élection.

Cette nuit mouvementée du 30 au 31 mars, à Niamey, marquée par des échanges de tir entre des militaires et les éléments la Garde présidentielle, s’est soldée par des arrestations (1, 2, 3). Le verdict du procès de cette tentative de coup d’Etat qui a démarré le 20 janvier à Niamey a été rendu le 24.

Plusieurs militaires ont été condamnés par un tribunal militaire à des peines de deux à vingt ans de prison pour avoir tenté de renverser le régime en 2021. Une soixantaine de prévenus, majoritairement des militaires et aussi des civils ont été jugés notamment pour "atteinte à l'autorité ou à la sûreté de l'Etat".

Cinq des militaires reconnus comme étant les principaux meneurs de cette tentative de coup d'Etat ont été condamnés à 20 ans de prison. Il s'agit du colonel-major Hamadou Djibo, ex-patron du Bureau des Opérations à l'état-major des Armées, le capitaine Sani Gourouza - qui avait été présenté comme le "cerveau" -, le lieutenant Abdrahamane Morou, et les adjudants Adamou Seyni et Mahamadou Halidou.

Le capitaine Gourouza, avait été arrêté en avril 2021 au Bénin voisin et remis aux autorités nigériennes. Le général Seydou Bagué, un ancien chef d'état-major de l'armée de terre, écope de quatre ans d'emprisonnement. Le tribunal a prononcé la relaxe pour "insuffisance de preuves" pour une trentaine de détenus, dont Ousmane Cissé, un officier de police et ancien ministre de l'Intérieur de 2010 à 2011. Des soldats et des civils ont également été relaxés.

En janvier 2018, un tribunal militaire avait condamné huit militaires et un civil de cinq à quinze ans de prison pour avoir tenté en 2015 de renverser le régime du président d'alors, Mahamadou Issoufou. L'opposition s'était montrée sceptique quant à la réalité de cette tentative de coup d'Etat.

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