Non, les fonctionnaires européens ne partent pas à la retraite à "50 ans" avec "9000 euros" de pension
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- Publié le 13 mai 2022 à 14:59
- Mis à jour le 13 mai 2022 à 15:19
- Lecture : 7 min
- Par : Emilie BERAUD, AFP France
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Un régime de retraite très favorable aux fonctionnaires de l’Union européenne viendrait d'être adopté ? C’est ce que prétend une publication relayée sur Facebook, dans un contexte où la réforme des retraites portée par le président réélu Emmanuel Macron suscite de vives critiques, dans les rangs de l’opposition comme dans l’opinion publique.
"La retraite à 50 ans avec 9.000 euros par mois pour les fonctionnaires de l’UE approuvée et ce n’est pas tout… Non seulement leurs pensions crèvent les plafonds mais il leur suffit de 15 années et demie pour valider une carrière complète alors que pour nous il faut 40 ans !", peut-on lire sur l’image en question, texte blanc sur fond bleu accompagné des 12 étoiles du drapeau de l’Union européenne.
Dans sa formulation, la publication laisse par ailleurs entendre que le régime de retraite des fonctionnaires européens vient d’être modifié.
En réalité, cette affirmation circule sur les réseaux sociaux depuis 2009 et ressurgit régulièrement à l’approche des élections européennes ou bien lorsque la réforme du système de retraite ressurgit dans le débat public en France.
Les chiffres avancés étaient déjà faux en 2009, ils le sont toujours aujourd’hui : l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires européens est fixé à 66 ans, comme l’indique la législation en vigueur, aux articles 52 et 77 du règlement qui encadre ce statut spécifique. La durée de cotisation est, elle, est en réalité de trente-neuf ans. Par ailleurs, le montant des pensions du personnel est très variable, et dépend du grade et du nombre d'années effectuées par un agent au sein des institutions européennes.
Des chiffres erronés
Les données mentionnées par la publication sont issues d’un article publié en 2009 sur le site de Sauvegarde retraite, qui se présente comme une association de "sensibilisation et d’éducation des Français au problème des retraites."
A l’origine, ce document prétend faire état d'un régime de retraite très avantageux auquel aurait droit le personnel des institutions européennes, dans un texte intitulé "Les retraites de nababs et des technocrates européens."
"Ils sont 129 hauts fonctionnaires européens à bénéficier d’un régime de retraite exceptionnel, encore meilleur que celui des parlementaires qui, pourtant, jouissent déjà de la Rolls des régimes spéciaux. Le calcul de leur pension est tellement avantageux qu’il leur suffit de seulement 16 années pour atteindre le taux plein alors que pour nous il faut trimer pendant 40 et bientôt 41 ans", est-il écrit.
En complément du texte, le site fait mention d'une liste de plusieurs personnes assortie du montant de leur pension de retraite calculé par Sauvegarde Retraite sur la base de leurs droits et de leur ancienneté.
A l'époque, un article du Point avait repris ces informations, sans les vérifier avant leur mise en ligne. Intitulée "Les retraites en or de l'Europe", la publication avait occasionné un droit de réponse de la part des fonctionnaires européens, remettant en cause les "révélations" de l'hebdomadaire :
"Il apparaît que les personnes citées sont des magistrats, soit à la Cour de Justice, soit au tribunal de première instance. Ces personnes ne sont pas des fonctionnaires : elles sont nommées selon des procédures spécifiques qui n’ont rien à voir avec celles qui président à la sélection des fonctionnaires européens, et pour des mandats à durée déterminée", indique le droit de réponse.
En effet, la législation européenne prévoyait un régime de retraite très favorable pour ces commissaires, magistrats et juristes de l'Union européenne. La pension de retraite à laquelle ils pouvaient prétendre dès 65 ans s'élevait, au maximum à 70 % de leur dernier traitement. Ce système a été modifié par un règlement du 29 février 2016.
Surtout, ce régime spécifique concerne uniquement les "titulaires de charges publiques de haut niveau de l'Union européenne", parmi lesquels le président du Conseil européen et les président et membres de la Commission. Il ne profite pas à l’ensemble des fonctionnaires employés par les institutions européennes, qui sont au nombre de 40.000 personnes et sont recrutées sur concours.
Départ à la retraite fixé à 66 ans
S'agissant de ces fonctionnaires de l'Union européenne, l'âge de départ à la retraite est fixé à 66 ans, loin des "50 ans" évoqués par la publication relayée sur Facebook.
"L’article 77 du statut renvoie à l’âge de la retraite, également appelé +âge normal de la retraite+. Ce terme correspond à l’âge auquel les fonctionnaires de l’Union européenne prennent leur retraite d’office sans être pénalisés financièrement. À partir du 1er janvier 2014, l’âge normal de la retraite du personnel de l’Union a été porté à 66 ans pour les membres recrutés à partir de 2014", est-il écrit dans un rapport de la Commission européenne sur l'application du statut de fonctionnaire, daté du 2 mars 2021.
Cet âge de départ peut faire l’objet de deux dérogations :
1) Si le fonctionnaire souhaite partir à la retraite plus tôt, il peut en faire la demande dès 58 ans, mais "la retraite anticipée se traduit systématiquement par une importante sanction financière", précise la Commission européenne. Dans ce cas de figure, la pension de l'intéressé fait l'objet d'une décote.
2) S’ils souhaitent prendre leur retraite après 66 ans, les membres du personnel de l’Union européenne peuvent exercer leur profession jusqu’à 67 ans. "Ils peuvent, à titre exceptionnel, rester en activité jusqu’à l’âge de 70 ans, auquel cas ils sont mis à la retraite d’office le dernier jour du mois au cours duquel ils atteignent cet âge", ajoute le rapport.
À l'issue de chaque période de cinq ans, depuis le 1er janvier 2014, la Commission évalue l'âge de la retraite dans un rapport qu'elle soumet au Parlement européen et au Conseil.
Celui-ci évalue notamment "l'évolution de l'âge de la retraite du personnel dans la fonction publique des États membres ainsi que l'évolution de l'espérance de vie des fonctionnaires des institutions. Le cas échéant, la Commission présente une proposition de modification de l'âge de la retraite sur la base des conclusions de ce rapport, mettant plus particulièrement l'accent sur l'évolution de la situation dans les États membres."
Contactée par l'AFP le 12 mai 2022, la communication du Parlement européen a ainsi confirmé que "l'âge de la pension augmente progressivement en fonction de l'année d'entrée du membre du personnel dans les institutions de l'UE, jusqu'à 66 ans pour le personnel ayant pris ses fonctions à partir de 2014."
39 ans de cotisation
Il est également erroné de soutenir qu'il suffit de "quinze années et demie" aux fonctionnaires européens pour "valider une carrière complète."
Contacté par l'AFP le 12 mai 2022, l'ancien président de la commission des budgets au Parlement européen Jean Arthuis, explique ainsi qu'au regard du droit européen "le taux d'accumulation pour fixer la retraite est de 1,8% pour avoir droit au maximum à 70% du dernier traitement de base. Il faut cotiser pendant 39 ans et avoir été recruté à 27 ans pour avoir le maximum de 70% à 66 ans, âge de départ à la retraite."
"Le montant de la pension est très variable", ajoute-t-il, puisqu'il dépend du grade du personnel et du nombre d'années passées au sein d'une institution européenne.
Les grilles de salaires des fonctionnaires sont publiques, consultables en ligne ici.
En 2013, Jean Arthuis estimait dans un rapport consacré à ce sujet que la pension moyenne s'élevait à environ 6000 euros mensuels, "ce niveau de rémunération devant beaucoup à la surreprésentation des cadres A dans la fonction publique communautaire", est-il précisé.
"Le montant moyen n'a pas du varier énormément car il y a eu ces dernières années des gels de l'évolution des salaires pour les fonctionnaires européens, ce qui était une façon tenir le budget. Il est vraisemblable qu'il y aura des ajustements en 2022 du fait de l'inflation", note Jean Arthuis.
Selon lui, "le système de retraite des fonctionnaires européens est assez avantageux car il est calculé sur le dernier salaire, tandis qu'en France, il est calculé sur les dix dernières années." Mais il réfute les chiffres énoncés dans la publication qu'il juge "grossiers" et "mensongers".
Un projet de réforme des retraites controversé
Cette fausse information circule à nouveau dans un contexte où le projet de réforme des retraites, proposé par le président réélu Emmanuel Macron, est la cible de nombreuses critiques.
Si bien qu'à quelques jours du second tour de l'élection présidentielle, le président-candidat s'était dit prêt à "bouger" sur ce sujet et à "ouvrir la porte" à un report à l'âge de départ à 64 ans, plutôt qu'à 65 ans, "s'il y a trop de tensions" et que cela peut "bâtir un consensus".