Comparer les fusillades dans le monde? Encore faut-il s’entendre sur la définition

Un tweet largement partagé sur les réseaux sociaux compare le nombre de fusillades dans différents pays depuis le début 2019. Ce tweet à l’origine en anglais dénombre 249 fusillades aux Etats-Unis entre le 1er janvier et le 4 août, et seulement une au Brésil. Des chiffres trompeurs: l'auteur a compté les fusillades liées aux gangs ou à la drogue dans le cas des Etats-Unis mais pas pour les autres pays, selon des experts.

La comparaison est effrayante. Une publication Facebook partagée 3.400 fois relève le "nombre de massacres par un tireur fou par pays au cours de l’année 2019". Sur les 24 pays représentés par de petites emoticones de drapeaux nationaux, 18 nations n'ont pas connu de fusillade. Les Etats-Unis sont en tête de ce classement avec 249 fusillades, suivis de loin par le Mexico avec trois fusillades.

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Capture d'écran d'une publication Facebook prise le 20 août 2019

À l’origine, le graphique est apparu la veille - le 3 août - en anglais sur Twitter, et a été partagé 412.000 fois en moins de trois semaines. 

Il est vrai que les fusillades par "tireur fou" sont souvent associées aux Etats-Unis, une impression que ces publications veulent conforter. Cependant, les chiffres utilisés sont trompeurs.

 L’auteur du tweet d’origine, un employé du conseil de la ville de New York, n’a pas avancé de source pour ces chiffres et n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP. Dans le cas des Etats-Unis, ces chiffres peuvent être ceux de la Gun Violence Archive, une association reconnue qui collecte des données sur les fusillades aux Etats-Unis à partir de différentes sources de presse. 

Une version sauvegardée du décompte des fusillades sur leur site internet montre qu’au matin du 3 août 2019, le nombre de fusillades dans le pays était de 248. La fusillade à El Paso, au Texas, plus tard ce jour-là, a fait grimper le chiffre à 249.

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Un service commémoratif pour les 22 victimes de la fusillade à El Paso, au Texas, le 14 août 2019 (AFP / Paul Ratje)

Seulement, ce décompte se base sur une définition très vaste d’une fusillade et englobe plus que les actes de "tireurs fous". Cette base de donnée est purement quantitative et compte comme fusillade tout évènement au cours duquel quatre personnes ou plus se sont fait tirer dessus, tireur exclu. Cela veut dire notamment que sur les 249 fusillades comptabilisées le 3 août, 129 n'ont causé la mort de personne, a remarqué le site américain Politifact.

L’archive collecte quotidiennement des données à partir de 6.500 sources, selon son site, ce qui en fait une ressource inégalée dans d’autres pays, selon des experts.

"Je serais surprise si ce genre de statistique était compilée par d’autres pays de la même manière, donc je doute fortement qu’une comparaison raisonnable sur plusieurs pays soit possible", a dit à l'AFP Rosanna Smart, experte en politique d'armes à feu à la RAND Corporation, une organisation de conseil et de recherche qui se donne pour objectif d'améliorer la politique et le processus décisionnel.

“En voyant le Brésil et le Mexique (dans la liste), je me demande d’où viennent ces informations”, déclare à l’AFP Jooyoung Lee, professeur associé de sociologie et spécialiste en fusillades à l’Université de Toronto. Le tweet parle d’une fusillade au Brésil en 2019, et trois au Mexique, malgré l'absence d'une ressource connue qui dresse la liste des fusillades dans ces pays selon les mêmes critères que la Gun Violence Archive.

Entre janvier et juillet 2019, le secrétariat exécutif de l’agence nationale de sécurité de Mexique a dénombré 12.215 meurtres impliquant des armes à feu, bien que ce chiffre ne précise pas le nombre de victimes pour chaque fusillade.

Le journaliste vérificateur de faits de l’AFP à Mexico estime que les cas où quatre personnes ou plus sont touchées par balles, arrivent au moins deux fois par semaine au Mexique. Une telle fréquence explique que tous les cas ne soient pas dans l’actualité internationale. L’AFP a cependant couvert au moins neuf de ces événements en 2019, dont cette attaque en juillet, pour un total de 59 morts et 22 blessés.

Au Brésil, le Monitor da Violência compile les données sur les morts violentes, mais sans préciser si les armes à feu en sont la cause. Les journalistes de l’AFP au Brésil disent que les échanges de tirs sont quotidiens à Rio de Janeiro, la plupart sont référencés dans cette base de données. Bien que tous ces échanges de tirs ne fassent pas quatre morts ou blessés, une courte recherche internet révèle au moins deux cas pour le mois d’août.

Si la définition d’une fusillade exclut la violence liée aux gangs, à la drogue et au crime organisé, comme le fait le projet Mass Shootings in America de l’Université Stanford en Californie, alors le tweet serait correct en ne comptant qu’une fusillade au Brésil en 2019. Le 14 mars, deux anciens élèves de l’école Raul Brasil à San Paolo ont tué huit personnes et blessé onze autres à l’arme à feu.

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Des membres de la famille de Samuel Melquiades Oliveira Silva, mort lors de la fusillade de l'école Raul Brasil à Suzano, au Brésil, qui a fait dix morts dont les deux tireurs, le 14 mars 2019 (AFP / Miguel Schincariol)

Le tweet est trompeur car il s’appuie sur une définition du mot fusillade qui varie selon les pays, tout en gardant la définition la plus large pour les Etats-Unis.

"Sans définition, je pense que ce tweet peut poser problème car en général, lorsque les gens entendent le mot fusillade ils imaginent des événement comme à Dayton ou El Paso, avec un tireur solitaire qui tire dans une foule sans faire de différence entre les individus", a expliqué Mme Smart à l’AFP.

Sans un cadre d'analyse commun à tous les pays, une comparaison des fusillades incluant tous types de violences par arme à feu ne peut se faire. À l’heure de publier cet article le 22 août 2019, 263 fusillades étaient comptabilisées par la Gun Violence Archive.

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