
Combien y a-t-il de nouvelles places de prison depuis l'élection d'Emmanuel Macron ?
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 30 avril 2021 à 12:11
- Lecture : 10 min
- Par : Juliette MANSOUR, AFP France
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
À un an de l'élection présidentielle de 2022, l'ancien directeur général de la Police nationale Frédéric Péchenard a interpellé Emmanuel Macron, le 20 avril, sur l'une de ses promesses de campagne : la construction de milliers de places de prison supplémentaires pour réduire une surpopulation carcérale chronique.
"Aujourd’hui, en France, vous avez un peu moins de 60.000 places de prison. En Angleterre, il y en a 96.000, en Espagne 77.000 . Contrairement à ce que j'ai entendu, entre le 1er mai 2017 et aujourd’hui, il y a eu 116 places de prison de plus. Il [Macron] avait promis, quand il a été élu, 15.000 places de prison ; à l’heure où je vous parle il y en a zéro. (...) Je prends le pari ici de revenir dans un an et je vous dirai qu'il n'y a pas eu une place de prison construite en plus", a déclaré le vice-président (LR) de la région Île-de-France sur la chaîne Public Sénat .
F. Péchenard "Contrairement à ce que j'ai entendu, depuis le 1er mai 2017, il y a eu 116 places de prison de plus. Je prends le pari de revenir dans un an et je vous dirai qu'il n'y a pas eu une place en plus." #BonjourChezVous pic.twitter.com/zn3vJmLgFl
— Public Sénat (@publicsenat) April 20, 2021
L'élu avait déjà avancé ce chiffre de "116 places" le 19 avril, sur RTL, en citant comme source "les chiffres du ministère de la Justice".
Où en est-on aujourd'hui?
En se basant, comme Frédéric Péchenard, sur les chiffres du ministère de la Justice, il apparaît qu'au 1er mai 2017, mois de l'élection d'Emmanuel Macron, la France comptait 58.548 places de prison opérationnelles pour 69.679 détenus.
Aujourd'hui, selon le dernier rapport de la Chancellerie paru le 1er mars 2021, 60.775 places de prison sont opérationnelles pour accueillir 64.405 détenus, soit une densité carcérale globale de 106%.

Entre mai 2017 et mars 2021, 2.227 nouvelles places de prison ont ainsi vu le jour, et non 116 comme a affirmé à plusieurs reprises Frédéric Péchenard.
Malgré ces places supplémentaires, il y a aujourd'hui toujours plus de détenus que de places de prison pour les accueillir, et 849 prisonniers dorment sur des matelas posés à même le sol.
Des chantiers engagés avant mai 2017
Interrogé, le 22 avril par l'AFP, sur ces places livrées depuis 2017, Frédéric Péchenard a répondu que les "nouvelles places de prison qui sont arrivées en début de quinquennat étaient dues aux engagements qu'avait pris le précédent président de la République, François Hollande".
Durant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a en effet affirmé "ne pas vouloir rompre" le programme immobilier pénitentiaire lancé par l'ex-garde des Sceaux de François Hollande, Jean-Jacques Urvoas, qui prévoyait déjà l'implantation de nouveaux établissements pénitentiaires. "Ce qui va sortir prochainement de terre relève forcément de programmes qui ont été décidés avant", expliquait le 15 novembre 2017 le porte-parole de la Chancellerie.
En effet, entre l’annonce du lancement d’un programme immobilier et la livraison du dernier établissement pénitentiaire, la durée est "en moyenne, d’une décennie", estimait en 2016 Jean-Jacques Urvoas.
Le programme d'Emmanuel Macron, qui prévoit la création de 15.000 nouvelles places de prison, "intègre en réalité des programmes engagés avant 2017, comme Paris-La Santé ou Baumettes II à Marseille, ce qui permet opportunément à l'administration pénitentiaire d'afficher que près de 2.000 places ont d'ores-et-déjà été livrées", notait, en novembre 2020, le sénateur Alain Marc, rapporteur du budget 2021 de l'administration pénitentiaire.
Ainsi, 2.172 nouvelles places comptées comme livrées dans le "Plan 15.000 places" du gouvernement étaient en chantier avant l'arrivée au pouvoir du chef de l'Etat, comme il est possible de le vérifier sur le site de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ).

Quand les 15.000 places promises seront-elles livrées?
Dans son programme électoral de 2017, encore visible sur le site En-Marche.fr, Emmanuel Macron s'était engagé à construire 15.000 places de prison "sur le prochain quinquennat". "L’objectif est in fine que 80% des détenus au moins soient en cellule individuelle" écrivait alors Emmanuel Macron.

Interrogé le 18 avril 2021 dans le Figaro sur ces 15.000 places de prison supplémentaires promises à l'horizon 2022, Emmanuel Macron a déclaré : "Nous en avons déjà lancé 7 000 et je tiendrai là aussi les 15 000. Nous ferons les 8 000 restantes dans la foulée. (...) Il faut quand même se garder de cette maladie française qui veut que lorsque l’on déploie des efforts sans équivalent, l’on s’entende toujours dire: «ce n’est pas assez»".
Le chef d'Etat n'a toutefois pas précisé que l'échéance de la construction de ces 15.000 places a été modifiée en 2018, l'objectif indiqué par la Chancellerie n'étant plus de construire 15.000 nouvelles places de prison en cinq ans, mais en dix, sur deux quinquennats.
"A en croire les promesses du président [Macron], on aurait dû avoir 75.000 places de prison en 2022, et aujourd'hui on en est à 60.000. C'est une promesse qui ne peut pas être tenue", a regretté Frédéric Péchenard auprès de l'AFP.
"Les contraintes immobilières mécaniques ont conduit à ce qu’on m’explique que c’était impossible d’en faire quinze mille même durant un quinquennat, qu’on pouvait au maximum en faire sept mille. Dont acte", se justifiait le 6 mars 2018 Emmanuel Macron, dans un discours à l'École Nationale d'Administration Pénitentiaire (ENAP). "Mais [...] on va réduire la surpopulation carcérale par des mesures plus intelligentes et un changement de la philosophie des peines".
"La construction d'une prison est un long processus qui commence par un nécessaire travail de concertation avec les élus pour identifier et valider des sites de construction", a de son côté expliqué le ministère de la Justice à l'AFP le 26 avril. "Il faut ensuite à peu près deux ans d'étude de maitrise foncière préalable, deux ans de travaux, puis à la fin quelques mois où l'établissement pénitentiaire tourne à blanc : les équipes commencent à s'installer et tous les rouages sont testés".
En revoyant la chronologie du "Plan 15.000 places" , la Chancellerie avait d'abord fait savoir que 7.000 d'entre elles seraient livrées en 2022, avant de se rétracter et de ne viser finalement qu'une "mise en chantier" à cette échéance.

Les 8.000 places restantes devraient être lancées d’ici 2022. Selon cette chronologie, les 15.000 nouvelles places de prison promises devraient être opérationnelles à l'horizon 2027.
Dans le détail, ce plan d'un montant de 4,5 milliards d'euros prévoit en tout 18.000 créations de places de prison, mais également la suppression de 3.000. Le centre pénitentiaire de Lutterbach, près de Mulhouse, visité par Jean Castex le 20 avril 2021, doit par exemple remplacer les établissements pénitentiaires de Mulhouse et Colmar, jugés trop vétustes.

Que se passerait-il si Emmanuel Macron n'est pas réélu?
Si Emmanuel Macron n'était pas reconduit, en 2022, pour un second mandat, la Chancellerie affirme que cela ne remettrait pas en question la construction des 7.000 premières places de la première phase du "Plan 15.000". "Avant 2022, 7.000 places seront au minimum en chantier. Il n'y a aucun retour en arrière possible puisque, soit ces places sont déjà livrées, soit elles sont en travaux, soit elles seront passées en phase de travaux avant la fin du quinquennat. Ce qui veut dire que les marchés sont conclus."
Pour les 8.000 autres places de la phase 2 promises "dans la foulée" par Emmanuel Macron, cela dépendrait en revanche de la volonté du nouveau gouvernement en cas d'alternance, même si le ministère de la Justice rapporte que les budgets sont déjà alloués. "Cela voudrait dire revenir sur la parole donnée de l’Etat et sur les engagements pris auprès des élus locaux, comme sur l'argent public déjà engagé", a estimé la Chancellerie le 26 avril.

Pourquoi ouvrir de nouvelles places de prison?
En janvier 2020, alors que la France avait connu un an plus tôt un taux d'occupation des prisons record (117% en avril 2019), la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné le pays pour sa surpopulation carcérale et les conditions de détention des prisonniers qui en découlaient. Sans intimer à l'Etat d’agir, la CEDH avait recommandé à la France "d'envisager l'adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention".
Or, les conséquences néfastes d'une population trop importante de prisonniers au sein d'une infrastructure sont multiples pour François Bès, coordinateur du pôle Enquête de l'Observatoire International des Prisons (OIP) contacté le 22 avril par l'AFP.
"La promiscuité est aggravée et génère des situations de tension entre les personnes détenues et entre détenus et surveillants; le service médical ne peut pas répondre aux besoins en matière de santé; les listes d'attentes sont allongées pour les activités mais aussi les formations ou l'enseignement; l'administration peut ne pas être en mesure d'assurer le nombre minimal de visites au parloir...", énumère-t-il. François Bès rapporte que des détenus sont aussi obligés de "dormir par terre" dans certains établissements "avec des rats".
Pour le coordinateur de l'OIP, la surpopulation carcérale peut également avoir des "conséquences dramatiques" hors des murs de la prison, pour les détenus libérés. "Les conseillers d'insertion et de probation sont en nombre insuffisant, ce qui conduit beaucoup de détenus à faire ce qu'on appelle des "sorties sèches", c'est-à-dire sans aucune mesure d'accompagnement, augmentant fortement le risque de récidive à la sortie", a-t-il regretté auprès de l'AFP.
"Le seul événement qui a permis de réduire drastiquement le nombre de détenus, c’est la crise sanitaire", a estimé auprès de l'AFP Gilles Chantraine, chargé de recherche au CNRS et qui étudie l'impact des crises globales sur les transformations des institutions pénitentiaires.
En effet, le taux de population carcérale a drastiquement chuté en 2020, comme le montre la courbe ci-dessous, suite à l'adoption de mesures inédites face à la crainte d'une propagation exponentielle de l'épidémie de Covid-19 en prison.

Les autorités ont ainsi pris des mesures de libérations anticipées pour quelque 6.600 prisonniers et l'activité judiciaire, alors réduite aux urgences civiles et pénales, avait eu pour conséquence le renvoi de milliers d'affaires non prioritaires.
Ces mesures, cumulées à une baisse de la délinquance pendant cette période, ont entraîné une chute spectaculaire du nombre de détenus, avec 13.000 prisonniers en moins, et non 13.000 prisonniers "libérés" comme affirmait en septembre 2020 Frédéric Péchenard. Pour la première fois en vingt ans en France, il y avait moins de détenus que de places de prison.
Cependant, avec la fin de ces mesures exceptionnelles à l'été 2020, le taux de population carcérale a déjà commencé à remonter. Et il pourrait gonfler encore, après l'adoption de l'abaissement du seuil d'aménagement des peines inscrit dans la réforme de la justice qui s'applique depuis mars 2020. Alors que les condamnations allant jusqu'à 2 ans de prison étaient jusqu'à cette date aménageables, elles seront désormais effectuées en prison pour toute sentence supérieure à un an.
À l'inverse, deux autres mesures, prévues par la loi de programmation et de réforme de la justice et déjà entrées en vigueur visent à réduire le taux d'incarcération: l’interdiction des peines de moins d’un mois et le choix de la détention à domicile sous surveillance électronique pour celles de moins de six mois. Mais elles ne concernent qu'un nombre très faible de condamnations.
"Plus on construit de places de prison, plus on remplit, car il y a un durcissement de la politique pénale, et ça ne permettra donc pas de résorber la surpopulation carcérale", a regretté François Bès.