
"Disparition de 75% des restaurants en France" ? Attention à ce chiffre trompeur
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 19 février 2021 à 17:10
- Mis à jour le 27 avril 2021 à 17:43
- Lecture : 5 min
- Par : Anouk RIONDET
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Ce chiffre donne lieu à de nombreuses interprétations sur les réseaux sociaux : "Macron suit un agenda (étatiste, pro-grosses boîtes), il coule volontairement ce secteur", affirmait fin novembre sur Twitter l'économiste Philippe Herlin, partageant un extrait du livre Covid-19 : La Grande Réinitialisation de Thierry Malleret et Klaus Schwab, président du Forum de Davos, publié en septembre 2020.

"En France et au Royaume-Uni, plusieurs voix de l'industrie estiment que jusqu'à 75% des restaurants indépendants pourraient ne pas survivre au confinement et aux mesures de distanciation sociale consécutives", peut-on lire sur la capture d'écran de l'ouvrage.
D'autres internautes ont partagé le même extrait sur Facebook et Twitter, et concluent eux aussi que "Macron veut couler ce secteur".



Viral fin novembre, ce chiffre revient régulièrement sur les réseaux sociaux depuis.

Comment ce chiffre a été calculé
Le chiffre selon lequel "jusqu'à 75% des restaurants" pourraient fermer en France du fait de la crise du Covid-19 provient bien de l'ouvrage (page 158) de T. Malleret et K. Schwab.

Cette estimation figure dans un chapitre "écrit en avril 2020" et "fondé sur des conversations avec des restaurateurs, des personnes dans l'industrie, des journalistes et des responsables politiques", a expliqué jeudi 18 février à l'AFP l'économiste Thierry Malleret.
"Ce n'est pas un chiffre que j'avais avancé à la légère. Mais évidemment, à cette époque-là, on ne savait pas encore quels seraient les programmes de soutiens publics mis en place. Et surtout, on a lancé un chiffre global mais il y a énormément de variances à la moyenne, les situations sont fondamentalement différentes en fonction de si vous êtes dans une grande ville, une petite ville, si vous êtes proche de gros restaurants, etc.", a ajouté M. Malleret.
"Il y a un effet d'obscurcissement créé par une moyenne arithmétique", poursuit-il, si bien qu'il admet qu'aujourd'hui "75% c'est excessif, si on a une autre édition du bouquin, évidemment je le reprendrais parce que c'est un chiffre qui s'avère faux."
Il reconnaît aussi qu'il est "possible" qu'il se soit inspiré d'un chiffre avancé en mars 2020 par le chef américain Tom Colicchio dans un article du Washington Post. Le chef, très connu du grand public pour animer l'émission Top Chef, prévoyait que, sans aides du gouvernement, "75% ou plus des restaurants aux Etats-Unis pourraient être de l’histoire ancienne".


Ce chiffre a depuis été brandi plusieurs fois aux États-Unis, comme l'ont souligné nos nos confrères du Monde. Il figurait notamment dans une tribune publiée fin mars 2020 dans le New York Times, et co-signée par Tom Colicchio.
"C'est possible qu'on s'en soit inspiré car on a ratissé vraiment très très large (...). C'est sans doute une source parmi d'autres", indique Thierry Malleret.
Une hécatombe qui n'a pas eu lieu à ce stade
"On n’a aucun indicateur chiffré qui nous permette vraiment d’appuyer ce propos, (il) n’y a pas d’éléments pour être aussi défaitistes", a indiqué vendredi 12 février à l’AFP le syndicat d’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih).
"Chaque année, il y a toujours 15% d’entreprises dans notre secteur qui ferment et ne retrouvent pas de repreneur ou qui doivent déposer le bilan. On considère qu’il y aura 15% de plus qui devront fermer quand les aides auront complètement stoppées."
Depuis l'automne, grâce au fonds de solidarité mis en place par l'État début mars 2020, ces aides s'élèvent à 10.000 euros par mois pour tous les professionnels du secteur (restaurants, bars, discothèques, etc.) victimes d'une perte de leur chiffre d'affaires de 70%. Les professionnels peuvent soit percevoir cette somme, soit 20% de leur chiffre d’affaires de l’année précédente sur un mois, dans la limite de 200.000 euros mensuels.
"Ça leur permet de payer un peu mieux leur loyer et leurs charges fixes", poursuit l’Umih, qui perçoit "un peu d'espoir", après avoir publié mi-novembre une étude indiquant que deux tiers des restaurateurs pensaient ne pas se remettre du deuxième confinement.
Le nombre de défaillances d'entreprises dans l'hôtellerie et la restauration a diminué de 38% en 2020 malgré la crise, du fait de la modification des règles de déclaration de cessation de paiement depuis le printemps et du soutien public aux entreprises, a annoncé le 10 février la Banque de France.
Une hausse est attendue, bien que difficilement quantifiable à ce stade.
Jointe par l'AFP, la chambre de Commerce et d'industrie a indiqué ne pas avoir, pour l'heure, de chiffres et d’études officiels.
EDIT : article mis à jour le 20/02 avec correction au 6e paragraphe ("chiffre selon lequel" et non "chiffre selon lesquelles")