Une substance éliminée dans les urines dans le Nutella ? Plusieurs éléments démontrent le contraire
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- Publié le 17 juillet 2019 à 16:00
- Mis à jour le 26 juillet 2019 à 17:27
- Lecture : 6 min
- Par : Marin LEFEVRE
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"Dans le Nutella, il y a quoi: il y a du chocolat, des noisettes, du beurre, du sucre, il y a de l'huile de palme (...), et puis vous avez à la fin un produit qu'on appelle le carbamide. Alors ça, les étudiants en médecine le savent, le carbamide c'est tout simplement ce qu'on élimine dans les urines", affirme Henri Joyeux dans cette vidéo publiée en octobre 2017 sur YouTube.
Qui est le professeur Henri Joyeux ? Ancien professeur des universités et ancien chirurgien viscéral spécialisé dans la cancérologie, il est connu pour ses positions anti-vaccins qui avaient notamment conduit à sa radiation en première instance en juillet 2016 de l'Ordre des médecins. Cette décision a été suspendue en 2018 par une procédure d'appel.
Il publie aujourd'hui des livres et donne des conférences portant notamment sur la sexualité, le cancer et l'alimentation.
Des posts Facebook, notamment sur la page du site Planetes360.fr, ont relayé cette vidéo en titrant "Nutella : vous reprendrez bien un peu d’urine ?"
L'extrait qui circule sur les réseaux sociaux provient d'une vidéo publiée en 2014 sur Dailymotion. Selon le titre, elle est tirée d'une conférence donnée par le professeur Joyeux en décembre 2013 à Albertville sur la santé et la nutrition, sur l'invitation de l'association "Bien vivre à Grignon".
Après les vaccins, le professeur s'attaque à un monument de l'alimentation. Inventé en 1946 à Alba, le Nutella reste le leader incontesté des pâtes à tartiner au chocolat. Selon Euromonitor International, il s'enorgueillit d'une part de marché de 54% au niveau mondial.
Preuve de sa popularité, il comptait 31 millions d'abonnés sur Facebook et 1,6 million sur Instagram début décembre.
Contactée le 16 juillet par l'AFP, Ferrero - le troisième groupe mondial de confiserie et chocolaterie qui produit la pâte à tartiner - dément fermement. "Nutella ne contient pas de carbamide dans sa composition et aucune étape du processus de fabrication ne peut être à l’origine de la formation des molécules de cet ingrédient", affirme son service de presse.
Joint le 16 juillet par l'AFP au téléphone, le professeur Henri Joyeux n'a pas été en mesure de fournir des preuves. "Ces choses-là sont assez secrètes", a-t-il commenté avant de couper court à la conversation.
Qu'est-ce que le carbamide ?
Le carbamide est bien synonyme de l'urée: ces deux noms "désignent une même molécule (E927b), c’est une toute petite molécule effectivement produite par le corps humain. Dans l’alimentaire, on n’utilise bien évidemment pas de l’urine, mais on la synthétise avec du dioxyde de carbone et de l'ammoniaque", explique à l'AFP le 16 juillet le magazine spécialisé 60 Millions de consommateurs.
Sur le site de l'UFC-Que choisir, il est précisé que le carbamide est "un humectant et un exhausteur de goût".
Si la molécule est identique, le carbamide/l'urée contenu(e) dans les aliments sous forme d'additif ne vient donc pas du corps humain.
Toujours selon le service presse de Ferrero, le Nutella contient seulement sept ingrédients (sucre, huile de palme, noisettes, cacao, lait, lécithines et vanilline), dont la liste est "connue et publique".
"Le règlement INCO (règlement européen sur l'étiquetage des denrées alimentaires, ndlr) précise que vous devez émettre sur l'étiquette tous les ingrédients que vous utilisez pour faire votre recette, par ordre décroissant, du plus présent au moins présent," explique à l'AFP Antoine Haentjens, ingénieur agroalimentaire à l'Institut National de la Consommation.
Nous avons consulté la composition affichée sur l'étiquette d'un pot de Nutella, qui confirme les déclarations de Ferrero.
Le service de presse de Ferrero désigne Henri Joyeux comme la source de cette soi-disant découverte. L'entreprise dit l'avoir contacté en 2015 pour lui demander "de cesser la propagation de cette rumeur dans les médias", sans jamais avoir reçu de réponse.
A quoi sert le carbamide utilisé par l'industrie agroalimentaire ?
Dans un courriel à l'AFP, le magazine spécialisé 60 Millions de consommateurs précise que l'urée a "plusieurs applications dans l'alimentaire et en-dehors : agent de traitement des farines, complément alimentaire pour l'alimentation animale (notamment l'alimentation bovine), stabilisant dans chewing-gums sans sucres. On en trouve également dans les cosmétiques".
En tant qu'ingrédient, son utilisation autorisée est limitée exclusivement aux chewing-gums sans sucres ajoutés, comme expliqué sur le site de l'UFC-Que Choisir et confirmé par le service presse de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) à l'AFP par courriel.
L'Efsa, qui évalue les additifs alimentaires avant qu'ils ne puissent être autorisés par l'Union européenne, précise par ailleurs dans une base de données (consultable via le site de la Commission européenne) que le carbamide ne peut être utilisé que dans les produits "sans sucres ajoutés".
"Le Nutella, c'est plus de 50% de sucre", commente l'ingénieur agroalimentaire Antoine Haentjens. D'après lui, l'utilisation du carbamide dans le Nutella ne serait donc de toute façon "pas autorisée".
La dose maximale de carbamide autorisée par l'Union européenne est de 30 grammes par kilogramme. Cette restriction date de novembre 2011 et figure au Journal officiel de l'Union européenne, voir capture d'écran ci-dessous.
"Dans les faits, on atteint probablement rarement ces seuils-là, parce que ça doit être très amer", ajoute Antoine Haentjens.
Quels risques pour le consommateur ?
Cet additif fait partie des quelques centaines d'additifs référencés par la Commission européenne, en cours d'évaluation ou déjà évalués par l’Efsa.
L’évaluation indépendante de l’UFC-Que Choisir classe l’E927b comme un colorant "acceptable" en terme de "risques relevés en lien avec la consommation de chaque additif".
Un risque est défini dans cette évaluation comme la situation où "il existe une probabilité qu’un dommage (ou conséquence néfaste : maladie, accident, blessure…) se produise effectivement".
"Le risque pour la santé du consommateur est négligeable aux doses utilisées," abonde 60 millions de consommateurs.
En revanche, selon le site de l'Efsa, l'huile de palme, qui apparaît bien dans la liste des ingrédients de la pâte à tartiner Nutella, comme d'autres huiles végétales, contient des "contaminants" qui se forment pendant le processus de transformation de l'huile, et qui "posent des problèmes potentiels de santé pour les consommateurs des tranches d'âge jeune et, pour les grands consommateurs, dans toutes les tranches d'âge".
Par ailleurs, l'huile de palme est montrée du doigt par les défenseurs de l'environnement pour la déforestation qu'elle entraîne, vue comme l'une des plus grandes menaces pour la biodiversité tropicale, et notamment les orangs-outans.
De plus, le Nutella affiche 539 kcal pour 100 grammes, ce qui d'un point de vue nutritionnel est énorme.
En conclusion, l'entreprise Ferrero explique que le Nutella ne contient pas de carbamide, contrairement aux allégations du professeur Joyeux, qui ne fournit aucune preuve pour les justifier.
Par ailleurs, le carbamide (ou E927B) et l'urée désignent bien la même molécule. Cette molécule, ajoutée dans l'Union européenne aux produits sans sucres ajoutés, amène un goût amer aux aliments.
L'urée est produite par le corps humain, mais dans son utilisation alimentaire, le carbamide/l'urée est synthétisé(e): on n'utilise pas ce qui est produit par le corps humain dans les aliments.
Aux doses utilisées fixées au niveau européen, le carbamide représente un risque négligeable pour le consommateur.
Edit 19/07/2019 : Ajout d'un paragraphe pour clarifier l'utilisation du carbamide en tant qu'ingrédient exclusivement dans les chewing-gums sans sucres, ajout d'une précision de l'Efsa obtenue par courriel.