Un agriculteur bio doit payer 5.190€ parce qu’il ne gagne pas assez ? C'est plus compliqué que cela
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- Publié le 14 juin 2018 à 14:41
- Mis à jour le 14 juin 2018 à 14:41
- Lecture : 3 min
- Par : Jean-Gabriel FERNANDEZ
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Pierre-Henri Piron est agriculteur. Installé à Mouthiers-sur-Boëme (Charente), il dispose d'un terrain de 7 hectares dédié à la culture de produits bio. Début avril, il reçoit une lettre le prévenant qu’il pourrait être amené à reverser 5.190€ car son "revenu disponible agricole en année 5 (5.561€) est inférieur à un SMIC (12.444€)".
Le 4 avril, il publie la lettre sur Facebook, dénonçant une “pression qui empêche les agriculteurs de travailler correctement, pression qui les pousse au suicide.” Dans sa publication, qui a réuni plus de 1.300 partages, Pierre-Henri Piron accuse “la société” d’assassiner ses paysans. “Et aujourd’hui est un grand jour car je viens d’en obtenir la preuve. L’État lui-même vient de me dire qu’il va m’assassiner si je ne rentre pas dans le rang.”
Sa diatribe sur Facebook est rapidement reprise. Les sites Bioalaune et les Moutons Rebelles s’en font l’écho, Le Parisien publie aussi un article sur le sujet. Titrée “Un agriculteur converti au bio doit payer une amende… parce qu’il gagne moins que le Smic !”, l’histoire récolte plus des milliers de partages et passe même au journal télévisé de TF1. Pourtant, la réalité est plus complexe.
Pierre-Henri Piron doit-il payer une amende parce que son activité n’est pas assez rentable ? “C'est totalement erroné”, affirme Stéphane Nuq, chef du service d'économie agricole rurale de la direction départementale de Charente, contacté par l’AFP.
L’agriculteur lui-même a expliqué à l’AFP que ses propos ont été mal interprétés et qu’il ne lui a pas été demandé de payer 5.190€. “J'ai obtenu avec mon post Facebook une réaction complètement à côté de ce que je souhaitais obtenir”, déplore-t-il. Il voulait pointer du doigt “une certaine lourdeur administrative qui plombe un peu l’agriculture”, mais ne se doutait absolument pas que la viralité de son post attirerait l'attention des médias.
Réalité plus nuancée
Pierre-Henri Piron a reçu 17.300€ de la Direction départementale des territoires en 2009, au titre de la Dotation Jeune Agriculteur, pour lui permettre de s’installer en tant qu’agriculteur maraîcher bio. Les règles étaient très claires : pour recevoir cet argent, il s’est engagé à “dégager un revenu au moins égal à un SMIC net annuel” après 5 ans. Le contrat qu’il a signé inclut également une clause prévoyant “qu’en cas d’irrégularité ou de non respect des engagements, le remboursement total ou partiel des sommes perçues pourra être exigé”.
“Il savait, au moment où il a reçu la dotation, qu'il devrait la rembourser s'il ne tenait pas ses engagements. Les règles étaient connues d'entrée de jeu”, soutient Stéphane Nuq.
A l’issue de la période de 5 ans, Pierre-Henri Piron n’a pas atteint 50% du niveau de rentabilité auquel il s’était engagé. L’agriculteur explique qu’il cherche à “mettre en place des pratiques bio, de non-labour, de protection des sols, des mesures pour protéger la biodiversité”, ce qui nécessite plus de temps que prévu pour atteindre le niveau de rentabilité qui lui est demandé.
“Il ne s'expose qu'à une déchéance partielle (30% de sa dotation) et non une déchéance totale”, précise Stéphane Nuq.
Par ailleurs, la lettre dont il a publié la copie sur Facebook ne lui demandait pas de payer immédiatement la somme de 5.190€, mais le prévenait simplement qu’il pourrait être amené à la rembourser si sa situation n’était pas régularisée. “C’était un courrier de procédure contradictoire, ce n'était pas une décision où on prononçait la déchéance de son dossier”, insiste Stéphane Nuq. “On avait constaté qu'il ne respectait pas ses conditions de revenus et on lui demandait des explications. Depuis, Monsieur Piron nous a fourni un certain nombre d'éléments comptables justifiants de sa situation qui sont à l'étude actuellement.”
Le dossier de Pierre-Henri Piron est toujours en cours d’instruction et il pourrait finalement être amené à ne rien rembourser si la Direction départementale des territoires estime que ses faibles revenus sont justifiés par son projet professionnel.
Monsieur Piron coopère aujourd'hui avec la Direction départementale des territoires, bien que sa publication continue à être largement partagée et commentée. La décision de l'administration sera connue dans quelques semaines.