Toutes ces femmes ont été agressées par des immigrés ? C'est faux ou non prouvé

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 14 septembre 2018 à 19:00
  • Mis à jour le 19 septembre 2018 à 17:23
  • Lecture : 12 min
  • Par : Rémi BANET
Un photomontage très partagé depuis un an sur les réseaux sociaux, et brandi fin août par des manifestants d'extrême droite à Chemnitz (Allemagne), prétend montrer 16 femmes ayant toutes été "agressées" ou "violées" en Europe par des "migrants", des "immigrés" ou des "musulmans". C'est faux dans de nombreux cas vérifiés par l'AFP, et ce n'est démontré dans aucunContactées, six des personnes présentes sur le photomontage ont déploré être ainsi instrumentalisées. 

Quoi de commun entre un site internet hongrois, une page Facebook sud-coréenne et une manifestation d'extrême droite en Allemagne ? En un peu plus d'un an, un photomontage montrant 16 visages en sang ou tuméfiés a été partagé au moins 45.000 fois sur les réseaux sociaux, jusqu'à être imprimé sur des banderoles ayant servi fin août à Chemnitz lors de manifestations d'extrême droite.

La plupart des sites et internautes ayant partagé ce photomontage affirment qu’il s’agit de 16 femmes allemandes "agressées" et "violées" par des "migrants" et/ou des "immigrés". D'autres expliquent que ces agressions ont eu lieu "en Suède" ou "en Europe", incriminant là encore "migrants" ou bien "musulmans". 

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"16 femmes allemandes agressées et violées par des immigrés ont accepté d'apparaître dans les journaux en Allemagne", affirme ce tweet en italien (DR)

Ce photomontage, partagé en France, en Italie, en Roumanie, en Hongrie, en Suède, dans plusieurs pays anglophones dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni et en Corée du Sud, n'a pas seulement circulé sur internet : fin août, au cours d'une manifestation d'extrême droite à Chemnitz, des manifestants ont brandi une banderole sur laquelle figuraient 12 de ces 16 visages, comme nous l'avons constaté.

Sur cette photo prise le 27 août par Odd Andersen, photographe de l'AFP à Berlin, une version légèrement tronquée du photomontage est accompagnée du message "Nous sommes COLORÉS jusqu'à ce que la sang gicle" ("Wir sind BUNT bis das Blut spritzt"), une phrase faisant écho à un slogan pro-migrants : "Nous sommes colorés" ("Wir sind bunt"). En allemand, le mot "bunt" veut aussi dire "multiculturel".

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Des manifestants derrière une banderole sur laquelle figure des visages de femmes prétendument agressées par des migrants, à Chemnitz (Allemagne), le 27 août 2018 (Odd Andersen / AFP)

Une autre image, publiée le 28 août par le site allemand Bild, montre un manifestant se tenant derrière une banderole identique en train d'effectuer le salut nazi.

Mais en réalité, à l'exception possible d'un cas, que la police allemande n'a pas commenté, aucune de ces femmes n'a été agressée en Allemagne et, sauf dans un cas, rien ne permet de mettre en cause des migrants, des immigrés ou des musulmans. Le site de vérification néerlandais de l'université de Leyde Nieuwscheckers avait déjà réalisé en octobre des recherches sur chacune des photos assemblées sur le photomontage pour démontrer cela.

L'AFP a en outre pu identifier formellement 11 des personnes figurant sur le photomontage. Nous avons retrouvé l'histoire de trois autres et sommes par ailleurs parvenus à échanger avec six des personnes photographiées, ainsi qu'avec l'avocat d'une septième. Six d'entre elles ont démenti avoir été agressées par des migrants ou des immigrés.

Nous avons également recensé l'ensemble des articles de presse et communiqués disponibles en ligne et sollicité la police et la justice de plusieurs pays pour obtenir des informations sur les circonstances de certaines agressions.

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Christina W. a été blessée au visage lors d'un contrôle de police en Floride en août 2013, selon son avocat :

"Je peux vous assurer qu'elle n'a pas été violentée par des migrants. Elle a été violentée par deux policiers de la police de Tallahassee, et l'incident a été enregistré dans sa totalité par la caméra d'un policier filmant depuis de son véhicule", a expliqué à l'AFP Frederick M. Conrad, nous renvoyant vers cette vidéo.

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Capture d'écran de la vidéo de la police de Tallahassee (DR)

Plusieurs médias, dont le Tallahassee Democrat et le Daily Mail, avaient déjà publié cette vidéo de l'arrestation.
 

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"Je suis très remontée. Je n'étais pas au courant de cela [l'existence du photomontage, NDLR]. J'ai été frappée par un homme, mon voisin en l'occurrence. Ce n'était pas un immigré, juste un psychopathe. Cet homme est né au Canada", a expliqué à l'AFP Shelley J., ajoutant, au sujet du photomontage, "trouve[r] cela très triste que des gens inventent des histoires aussi horribles".

D'après la chaîne publique canadienne CBC et le Western Star, Shelley J. a été agressée en 2009 par l'un de ses voisins au cours d'un footing.

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Selon les médias locaux The Clarion Ledger et le Jackson Free Press, il s’agit d’une habitante du Tennessee (Etats-Unis) ayant été battue par son mari, un pompier condamné pour ces faits en 2009. Le Clarion Ledger l'identifie comme "Emily M.", une information que nous ne sommes pas parvenus à recouper.

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D'après le Daily Mail et le York Press, Rebecca B. a été battue en 2012 par son ex-petit ami, Bradley S. W.. Nous ne sommes pas parvenus à entrer en contact avec elle. Sollicité pour plus d'informations, le tribunal de York (Angleterre) n'avait pas répondu au moment de la publication de notre article.

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Rebecca B. et son ex-petit ami, condamné à 16 mois de prison (Capture d'écran du site dailymail.co.uk)
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Nanna S. a confirmé à l'AFP avoir été agressée avec son petit ami par un groupe d'hommes dans une rue de Copenhague en 2014, comme l'affirmaient plusieurs sites danois dont B.T. et Nyheder.

"Je ne pense pas qu'on puisse les qualifier de migrants. Ils étaient peut-être fils ou petits-fils d'immigrés", a-t-elle expliqué à l'AFP au sujet de ses agresseurs, regrettant par ailleurs que "de nombreuses personnes aient utilisé [s]a photo hors de son contexte".

Contactée pour plus de détails sur l'identité des agresseurs, la police de Copenhague n'avait pas répondu à l'AFP au moment de la publication de cet article.

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D'après plusieurs médias, dont le Daily Telegraph australien et le Daily Mail, cette photo de Brittany M. a été prise fin 2015 après une altercation à la sortie d’une discothèque de Newcastle (Australie). 

Selon ces deux médias, l'homme l'ayant frappée au visage (Shaun R.) a été innocenté (les juges ayant retenu la thèse de la légitime défense) après avoir passé huit mois en détention. Nous ne sommes pas parvenus à contacter Brittany M..

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Shaun R. à la sortie d'un tribunal australien (Capture d'écran du site dailytelegraph.com.au)
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D'après la BBC et le Daily Telegraph, Lucy N. a été agressée dans une rue d'Aberdeen (Ecosse) en janvier 2009. Elle avait déclaré à la presse que son agresseur l'avait prise pour cible après avoir entendu son accent anglais.

Contactée pour plus d'information sur l'identité de l'agresseur, la police écossaise n'avait pas répondu. Lucy N. n'a quant à elle pas souhaité revenir sur les circonstances de son agression, mais a affirmé à l'AFP qu'elle "contacterai[t] les autorités" au sujet de l'utilisation de cette photo d'elle par des "faux sites". 

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Amy R.F. a été agressée en 2013 par une femme dans un bar de Bury (nord de l'Angleterre), comme elle l'avait expliqué à l'époque (voir notamment ces articles du Daily Mail et du Manchester Evening News, journal qui l'avait interrogée en vidéo sur les circonstances de son agression).

"Je suis en colère", a-t-elle seulement déclaré à l'AFP au sujet de l'utilisation de sa photo hors contexte.

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Plusieurs sites allemands et germanophones affirment que cette jeune femme a été agressée par des demandeurs d'asile à Stuttgart au cours du réveillon 2016 - une histoire pouvant correspondre à ce que le photomontage prétend dénoncer. Mais ces sites, qui disent s'appuyer sur un témoignage anonyme attribué au père de la victime, ne citent aucune source officielle ou témoignages corroborant cette version des faits. 

Contactée pour davantage d'informations sur l'identité de cette jeune femme et les circonstances de la possible agression, la police allemande n'a pas donné suite à nos sollicitations.

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Selon le Irish Sun et le Belfast Telegraph, Lynne M. a été enlevée et frappée par un homme en 1997. Interrogée en février par le Irish Sun, elle avait déploré que cette photo d'elle soit utilisée hors contexte dans le photomontage ci-dessus.

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Il s’agit très vraisemblablement d’un mannequin ayant été maquillé par la société d'effets visuels californienne Synapse FX. Une version archivée d'une des pages du site de l'entreprise permet de retrouver cette photo au milieu d'une galerie de portraits de mannequins. Contactée à plusieurs reprises pour obtenir une confirmation, l'entreprise Synapse FX n'a pas donné suite à nos sollicitations.

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Capture d'écran du site de l'entreprise Synapse FX (DR)
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Comme l'avaient rapporté la BBC et le Daily Mirror, Paul K. (qui est un homme, et non une femme, contrairement à ce qu'affirment les sites et pages ayant partagé le photomontage) a été frappé au visage par des cambrioleurs en 2014, à son domicile du sud de Londres, a-t-il confirmé à l'AFP :

"Je suis consterné par cette tentative (...) d'instrumentalisation de mon agression afin d'alimenter la politique de la peur. D'autant que, d'un point de vue factuel, cela est globalement faux, car je n'ai pas été agressé par des musulmans [comme l'affirment certaines publications, NDLR]. Il s'agissait bien d'immigrés, mais ils étaient polonais, et il serait dans tous les cas injuste d'incriminer leurs compatriotes ou les immigrés de manière générale (...). Chaque nation, race et religion a sa part d'imbéciles", a-t-il indiqué dans un long message écrit.

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D'après le Huffington Post et le Guardian, Mary B. a été agressée par un homme en août 2014 lors du carnaval londonien de Notting Hill.

"J'ai pris connaissance de l'existence de ce phomontage en décembre dernier, après qu'il a été utilisé (...) par le groupe Britain First [groupe d'extrême droite britannique, NDLR]", a expliqué Mary B. dans un mail à l'AFP. "Il avait été posté avec un tweet affirmant que toutes les femmes en photos avaient été victimes de migrants. Dans mon cas, cette affirmation est absolument infondée", a-t-elle ajouté, se disant "écoeurée" que cette photo d'elle soit utilisée de la sorte.

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Selon le Bolton News, Helen G. a été agressée en juillet 2016 devant un pub de Great Lever (nord de l'Angleterre) par un ou plusieurs hommes, dont l'un avait été décrit comme "noir" par un témoin cité par la police.

Nous ne sommes pas parvenus à la contacter. Sollicitée, la police britannique n'a pas été en mesure de fournir davantage d'informations sur l'identité du ou des agresseurs.

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Selon le Daily Mirror et le Birmingham Mail, cette septuagénaire - dont l'identité n'a pas été rendue publique - a été poussée au sol à Birmingham (Angleterre) en octobre 2014 par deux hommes qui lui ont dérobé son sac à main.

La police avait à l'époque décrit les deux principaux suspects comme "noirs". Contactée par l'AFP, une porte-parole de la police des West Midlands n'a pu préciser ni l'identité ni la nationalité des agresseurs, aucune interpellation n'ayant eu lieu à ce jour.

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Nous avons retrouvé la trace de cette image sur le site Chan4Chan, où un utilisateur l'a postée en 2010, sans fournir de détails sur son origine. L'image circule depuis sur internet, sans qu'aucun site ou internaute n'ait retrouvé sa source.

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Si vous disposez de plus d'informations sur l'un des cas, vous pouvez nous contacter par courriel à factuel[ at ]afp.com

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*Nous n'avons pas souhaité donner les noms de famille des personnes figurant sur 
le photomontage, même si des liens vers lesquels nous renvoyons les identifient nommément.

Mis à jour le 19/09/2018 à 10h50 avec mention du site néerlandais Nieuwscheckers.

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