Sur l'immigration, Marine Le Pen exagère l'inquiétude et l'accroissement
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- Publié le 01 mai 2018 à 18:00
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- Par : Guillaume DAUDIN
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"- La lutte contre l'immigration c'est l'un de vos principaux combats en ce moment ?
- C'est la principale inquiétude de tous les Français aujourd'hui car contrairement à ce qu'on nous a raconté pendant longtemps, les vagues d'immigration sont pas derrière nous mais devant nous et chaque année qui passe voit se multiplier le nombre d'immigrants qui traversent notre frontière qui est en réalité une passoire car nos frontières ne sont ni surveillées, ni tenues, et lorsqu'ils sont sur notre territoire, personne ne les renvoie vers leur pays d'origine, ils pèsent sur notre système de sécurité sociale, de santé, nos finances, au détriment des plus modestes d'entre nous" a répondu la patronne du FN, comme on peut le voir dans l'extrait ci-dessous.
La lutte contre l'immigration, "principale inquiétude" des Français ?
Pour la patronne du FN, la question de la lutte contre l'immigration, pierre angulaire de l'argumentaire du parti d'extrême droite depuis les années 1980, est la "principale inquiétude" des Français. Difficile pourtant de trouver des sondages se penchant explicitement sur les "inquiétudes" des Français. L'Eurobaromètre, commandé chaque semestre par l'Union européenne, répond à une question assez proche.
"A votre avis, quels sont les deux problèmes les plus importants auxquels doit faire face votre pays actuellement ?" sont interrogés les sondés dans la plus récente édition, celle de l'automne 2017.
Pour les sondés français, le "chômage" est en tête, avec 40% des citations, devant le "terrorisme" (33%). L'"immigration" (17%) n'est que troisième, talonnée par l'"insécurité" (14%), "la hausse des prix, l'inflation, le coût de la vie" et "les questions d'environnement de climat et d'énergie" (13%). En France, cette enquête « Eurobaromètre 88 » a été réalisée du 5 au 19 novembre 2017 par l’institut TNS opinion & social auprès d’un échantillon représentatif de 1 072 personnes.
D'autres sondages se penchent régulièrement aussi sur les "préoccupations" des Français.
Une enquête Kantar Sofres OnePoint publiée mi-janvier listait "les attentes des Français à l'égard du gouvernement". "Renforcer les lois antiterroristes" (43%) et "lutter contre l'immigration clandestine" (43%) étaient les deux propositions désignées comme les plus "prioritaires" par les sondés, devançant celles de "faciliter l'entrée des jeunes sur le marché du travail" (41%) et "baisser les impôts des particuliers" (38%).
Mais si l'on classe les "réformes" proposées par l'importance qui leur est accordée par les sondés, "lutter contre l'immigration clandestine" (75%) n'est qu'au 5e rang des propositions "au moins importantes". Arrive en premier "faciliter l'entrée des jeunes sur le marché du travail" (86%) puis "renforcer les lois antiterroristes" (81%) puis "baisser les impôts des particuliers" (80%) et ensuite "améliorer la formation professionnelle" (77%). Difficile donc d'y voir la première préoccupation des Français: une part importante quoique minoritaire de Français y voit une préoccupation majeure.
D'autres sondages s'intéressaient aux attentes des Français avant les élections de 2017. "La question des migrants" arrivait en 4e "sujet déterminant" du vote à la présidentielle dans une étude Ifop de septembre 2016. Avant les législatives, un sondage Ifop de juin avait lui classé "la lutte contre l'immigration clandestine" comme le 9e sujet le plus important sur dix dans le vote des électeurs.
"Chaque année qui passe voit se multiplier le nombre d'immigrants" ?
Cette affirmation de Marine Le Pen, selon laquelle le nombre de migrants arrivant en France se "multiplierait" chaque année, est discutable.
Par définition, l'immigration illégale est impossible à mesurer aux frontières de la France, puisque cette immigration n'est pas comptabilisée.
Reste donc à regarder l'immigration légale, avec par exemple la statistique des premiers titres de séjour délivrés chaque année en France. Comme le rappelle l'Insee, cette donnée "qui est souvent assimilée au flux d'immigration correspond à un premier enregistrement statistique" car "sont incluses" dans ce décompte "les personnes en provenance de l'extérieur du territoire national ainsi que des étrangers déjà présents sur le territoire français, comme les régularisés".
Voilà le graphique auquel nous avons abouti, en essayant de rassembler les données parfois éparses de la statistique publique sur le sujet:
De 1997 à 2017, année dont les chiffres sont particulièrement élevés, le nombre de premières admissions au séjour est passé en France d'environ 119.000 à 262.000, soit une multiplication réelle mais par 2.2 en vingt ans. Il est donc contestable de dire que ce chiffre s'est "multiplié" nettement à la hausse chaque année comme l'entend la patronne du FN, d'autant qu'il ne prend pas en compte les immigrés retournant dans leur pays.
Une autre manière d'étudier le sujet est de mesurer en France la proportion au sein de la population résidant en France de la population immigrée (à savoir les personnes nées étrangères à l'étranger et résidant en France, qu'elles aient obtenu ou pas la nationalité française) et de la seule population étrangère, en se basant sur les chiffres de l'Ined et l'Insee.
Voici le tableau statistique auquel nous avons abouti:
1982 | 1990 | 1999 | 2014 | |
Immigrés (en millions) | 4,04 | 4,17 | 4,31 | 5,85 |
Part/population française (%) | 7.3% | 7.2% | 7.2% | 8.8% |
Etrangers (en millions) | 3,52 | 3,6 | 3,26 | 4,08 |
Part/population française | 6.3% | 6.2% | 5.4% | 6.2% |
Stable voire déclinante de 1982 à 1999, la proportion de la population immigrée en France a bien été multipliée entre 1999 et 2014 mais par... 1,22. Ce multiplicateur tombe à 1,15 pour la part de la population étrangère dans la population résidant en France.
Enfin, dernière méthode, l'Insee propose une évaluation du solde migratoire annuel depuis 1982. En 37 années de statistiques, ce solde, les entrées moins les départs, qui comprend aussi les citoyens Français ayant émigré ou étant rentré d'une émigration, est en moyenne de 64.493 entrées annuelles, selon les calculs de l'AFP. Il a été de 2007 à 2017 inférieur à cette moyenne, avec une moyenne annuelle de 56.061 entrées (les années 2015 à 2017 sont encore des résultats provisoires).