Sur les réseaux sociaux, désinformation en série après l'explosion à Beyrouth
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- Publié le 12 août 2020 à 15:26
- Mis à jour le 12 août 2020 à 16:53
- Lecture : 7 min
- Par : AFP MENA
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Une double explosion dans la zone portuaire de Beyrouth, où était entreposée une énorme quantité de nitrate d'ammonium, a dévasté le 4 août le port et les bâtiments à des kilomètres à la ronde, faisant de la capitale libanaise une ville sinistrée, en pleine pandémie de Covid-19.
Les images montrant des scènes apocalyptiques ont immédiatement inondé les réseaux sociaux. Et certaines ont été détournées à des fins de désinformation, qui prospère notamment à la faveur du nombre d'interrogations qui persistent plus d'une semaine après le drame.
Une attaque de missiles ?
Si le président libanais Michel Aoun a évoqué le 7 août "la négligence" ou "un missile" pour expliquer l'explosion de tonnes de nitrate d'ammonium à l'abandon, les circonstances exactes des déflagrations demeurent encore incertaines.
C'est la première fois qu'un dirigeant libanais évoquait une piste extérieure, les autorités affirmant jusqu'à présent que l'explosion a été provoquée par un incendie dans l'énorme dépôt de nitrate d'ammonium, une substance chimique dangereuse.
Une vidéo du drame dans laquelle un missile est bien visible dans le ciel a été présentée comme la preuve d'une attaque israélienne. Elle a été partagée des milliers en arabe, en anglais et en français.
Toutefois, si ces images sont bien celles de l'explosion de Beyrouth, la roquette y a été insérée au montage.
En effet, les premières versions de cette vidéo partagée de façon virale sur les réseaux sociaux libanais le 4 août au soir, suite à la double explosion ne contenait aucun missile, comme il est possible de le constater dans la vidéo ci-dessous, publiée antérieurement et de bien meilleure qualité.
— Ali aljanabi (@Alawaayy) August 4, 2020
Un second extrait voulant faire croire à une attaque aérienne montre la chute d'un missile au niveau d'un autre site du port. La vidéo virale, soit-disant "filmée par une caméra thermique", a circulé dans plusieurs langues sur Facebook, Twitter, Instagram et Youtube.
La plus ancienne occurrence de la vidéo que nous retrouvons date du 4 août 2020, jour où les explosions se sont produites. Elle est visible sur le site en arabe de la chaîne d’information en continu américaine CNN.
A la 18e seconde de la vidéo originale de l'explosion, de bien meilleure qualité, on retrouve les mêmes images que sur l'extrait qui circule sur les réseaux sociaux, mais sans missile ou objet blanc qui fendrait l'air.
Par ailleurs, en ralentissant la vidéo, on observe que le missile disparaît avant de toucher le sol.
Ainsi, le missile a été inséré au montage et un filtre a été appliqué à la vidéo originale pour donner à l'image l'aspect d'un négatif, afin de faire croire à l'enregistrement d'une caméra thermique.
Des drones israéliens
A travers ces publications, Israël est souvent désigné comme étant à l'origine d'une attaque. Pour conforter cette idée, d'autres publications montrent une courte vidéo de drones lâchant un objet non identifié, affirmant que la scène se déroulait au port de Beyrouth quelques instants avant la double explosion.
Cette vidéo n'a pas été trafiquée mais elle est plus ancienne, sans lien avec l'explosion, et circulait déjà sur internet quelques jours avant le drame.
L'extrait montre en réalité, selon plusieurs médias libanais (1, 2, 3), l'incursion de drones israéliens dans les localités de Houla et Mays-el-Jabal, au sud du Liban quelques jours plus tôt.
En parallèle, une photo du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu tenant une carte de la capitale libanaise et prétendant qu'il y indiquait l'emplacement du port de Beyrouth s'est propagée sur la toile.
La photo, véridique, date de septembre 2018 et montre Benjamin Netanyahu lors de l'Assemblée générale des Nations unies, où il dénonçait des "sites secrets" du mouvement libanais Hezbollah. La zone qu'il pointait se trouve près de l'aéroport de Beyrouth, à une dizaine de kilomètres du site de la puissante déflagration.
Des images détournées ou truquées
L'énorme explosion a rasé le port et a causé d'importantes destructions dans plusieurs quartiers, faisant au moins 171 morts et plus de 6.000 blessés, selon le ministère de la Santé. Elle a également creusé un cratère de 43 mètres de profondeur, d'après une source sécuritaire libanaise, citant des évaluations effectuées par des experts français en pyrotechnie.
Mais, parmi les photos témoignant réellement des dégâts ou de l'élan de solidarité internationale, certaines ont été détournées ou montées de toutes pièces.
Une image de plusieurs dizaines de "voitures importées" complètement brûlées a été présentée sur les réseaux sociaux arabophones comme provenant de Beyrouth.
Une recheche d'images inversée nous a permis de retrouver son origine. Elle a en réalité été prise en Chine après l'explosion d'un entrepôt de produits chimiques en 2015.
En outre, le cliché d'un cratère largement diffusé comme étant celui de Beyrouth montre en fait les dommages de cette même explosion industrielle dans la province de Hebei, dans l'est de la Chine.
Par ailleurs, parmi les images illustrant des manifestations de soutien au Liban, quelques unes sont le fruit d'un montage comme certaines montrant des monuments illuminés aux couleurs du drapeau libanais.
Cette image des pyramides égyptiennes a été largement diffusée sur les réseaux sociaux, présentée comme une récente démonstration de solidarité avec Beyrouth.
En effectuant une recherche d'images inversée avec l'outil TinEye, nous avons retrouvé l'image originale des pyramides. Elles étaient initialement illuminées en bleu, à l'occasion de la Journée internationale des monuments et des sites célébrée le 18 avril chaque année.
Depuis la tragédie, les Libanais manifestent pour dénoncer une crise provoquée selon eux par une classe politique corrompue.
Le Premier ministre Hassan Diab a présenté la démission de son gouvernement le 10 juillet afin d'apaiser la rue. Mais la population reste mobilisée, exigeant la comparution en justice des responsables du drame et réclamant des comptes pour la négligence de l'Etat.