Non, Nestlé ne s’est pas approprié l’eau en Algérie

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 07 juin 2018 à 17:03
  • Mis à jour le 08 juin 2018 à 10:50
  • Lecture : 5 min
  • Par : Jean-Gabriel FERNANDEZ
Une image virale accuse le géant de l’alimentaire Nestlé d’avoir acquis les droits sur l’eau en Algérie et de clôturer des usines afin de revendre cette eau dans des bouteilles. Pourtant, Nestlé prélève une part peu importante de l'eau potable du pays.

Nestlé aurait “acquis les droits sur l’eau” en Algérie et au Pakistan, empêchant la population d’accéder à cette eau afin de la revendre au prix fort, selon une image virale qui a accumulé plus de 100.000 partages sur Facebook. Nestlé Waters, leader mondial de l'eau en bouteille, dément vigoureusement l'accusation.

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Une image virale accuse Nestlé de s'approprier les ressources en eau de l'Algérie et du Pakistan. (DR)

En Algérie, difficile d’affirmer que Nestlé Waters domine le marché au point de contrôler toute l’eau du pays. La compagnie n’y dispose que d’un seul site, à Blida, et dispose d’une licence d’exploitation classique délivrée par le Ministère des Ressources et des Eaux. “Cette licence est comparable à celle que toutes les autres sociétés qui exploitent des sources ont reçue ou devraient avoir. Il y en a plus de 80 en Algérie”, explique Jacques Nijskens, directeur général de Nestlé Waters Algérie, contacté par l'AFP. “Notre part de marché n’est que d’environ 12 %. Nous sommes le troisième acteur parmi les cinq plus représentatifs du marché, mais les deux qui nous précèdent sont chacun environ 1,5 fois plus grands que nous.” Le marché algérien de l’eau en bouteille est principalement dominé par des entreprises locales.

Même en volume, le marché de l'eau en bouteille algérien est peu gourmand. En un jour, le peuple algérien consomme plus de 27 fois le volume d'eau que Nestlé prélève en un an. L’Algérienne Des Eaux (ADE) affirme en effet distribuer 6,84 milliards de litres quotidiennement en 2017, alors que Nestlé produit 250 millions de litres annuellement, selon Jacques Nijskens. Pour lui, cette accusation est "de la fiction pure !"

Malgré la présence de Nestlé Waters sur le territoire depuis 10 ans, l'ADE estime que 90% de la population algérienne est raccordée au réseau d’eau potable (95% de la population urbaine et 70% de la population rurale agglomérée), bien que 36% de ceux-ci n’aient pas accès à l’eau potable tous les jours. L’Etat algérien subventionne l’eau consommée par la population à hauteur de 85 à 90%, selon une étude universitaire de 2012. Si le pays connait des pénuries d’eau chroniques l’été, la région entourant l’usine de Nestlé n’est pas la plus touchée.

Le Pakistan, un cas plus épineux

L'image ajoute que Nestlé aurait "fait la même chose" au Pakistan, en s'appropriant les ressources en eau du pays. Il est vrai que le Pakistan souffre d'un manque d'approvisionnement en eau. Les Nations Unies ont tiré la sonnette d’alarme concernant la rareté de l’eau dans le pays, qui a “passé la barre de de la pénurie d’eau en 2005” selon un rapport de 2017. Les Nations Unies, comme des experts sur le sujet, pointent du doigt une mauvaise gestion de l’eau par le Pakistan, dont l’économie est “la plus gourmande en eau au monde” selon l'ONU.

Le problème de l'eau n'a rien à voir avec Nestlé au Pakistan, même s'il doit y contribuer à la marge, à proximité de ses sources”, explique Joris Fioriti, journaliste AFP au bureau d'Islamabad. “Ici, il n'y a quasiment aucune infrastructure (réservoirs) pour conserver  les pluies quand il pleut, donc toute cette eau est gâchée. L'agriculture est faite en dépit du bon sens et via des canaux datant de l'ère britannique, extrêmement poreux. On cultive beaucoup dans le Sud, où il fait plus de 50 degré l'été. Donc gâchis à répétition.

L'eau à la disposition des habitants n'est souvent pas potable. Une étude de 2017 a trouvé que la présence d'arsenic dans les nappes phréatiques mettait en danger la santé de 50 à 60 millions de Pakistanais.

L’ajout du Pakistan dans cette accusation est probablement liée au documentaire “Bottled Life, Nestlé et le commerce de l’eau” qui dénonce les pratiques visant à s’approprier des ressources en eau afin de générer un profit. Le film s’intéresse en particulier au village pakistanais de Bhatti Dilwan, près d’une usine Nestlé Waters. Le journaliste, Res Gehriger, rapporte que le niveau des points d’eau alentours aurait chuté de façon dramatique et que la fontaine du village serait asséchée. Le documentaire affirme que les habitants doivent boire Pure Life, de la simple eau potable non traitée, le produit phare de Nestlé dans les pays où l’eau est difficile d’accès.


Dans une réponse officielle, le président honoraire de Nestlé Peter Brabeck accuse le documentaire d’être “idéologique, partial” et affirme que “de grandes portions sont factuellement fausses. Ce n’est pas un film à propos de l’eau en bouteille, et certainement pas à propos du problème d’approvisionnement en eau - c’est 90 minutes d’anti-Nestlé.” L’entreprise affirme que son action au Pakistan a eu un effet négligeable sur le niveau de l’eau et dit n'exploiter que 2 des 680.000 puits de la région. Elle soutient que “Nestlé Waters utilise 0,001% seulement du total des prélèvements d’eau douce dans le monde”.

Nestlé est au coeur de plusieurs polémiques

En utilisant une imagerie frappante, celle des chutes du Niagara asséchées, remplacées par une usine Nestlé grisâtre crachant des volutes de fumée dans l’atmosphère, le dessin en question se répand aisément sur les réseaux sociaux. Elle bénéficie également de la réputation du géant suisse de l’alimentaire, qui a été au centre de scandales. Des associations appellent à boycotter Nestlé, expliquant que l’entreprise vend de la formule pour nourrisson dans des pays pauvres ou touchés par des catastrophes, “contribuant ainsi à la mort et la souffrance de nourrissons à travers le monde”.

Ce n'est donc pas étonnant que Nestlé Waters subisse un appel au boycott. D'autant plus que l’eau en bouteille est souvent la cible de critiques sur internet. On accuse les compagnies comme Nestlé de s’approprier un produit disponible gratuitement dans la nature pour le vendre, causant de la pollution et des pénuries en eau potable dans les endroits où elle est prélevée. L’eau en bouteille coûte 2000 fois plus cher que l’eau du robinet, et deux fois plus cher que l’essence, selon un article de Business Insider. Nestlé possède plus de 50 marques distinctes comme Perrier, Vittel, San Pelegrino ou Contrex, qui représentaient en 2017 6,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, ce qui en fait une cible idéal des opposants à l’embouteillage de l’eau.

De plus, la citation attribuée à Peter Brabeck, président honoraire de la compagnie, est bien réelle et a généré beaucoup d'indignation. Interviewé dans le documentaire de 2005 “We Feed the World”, il a déclaré “La question se pose de savoir si nous devrions privatiser l’alimentation en eau de la population. Il y a deux opinions différentes à ce sujet. Une opinion, que je considère extrême, est représentée par les ONGs qui déblatèrent et déclarent que l’eau est un droit public. Cela signifie que, en tant qu’être humain, vous devriez avoir le droit d’avoir accès à l’eau. C’est une solution extrême. L’autre opinion dicte que l’eau est une denrée comme les autres, et comme toute denrée elle devrait avoir une valeur marchande. Personnellement, je pense que c’est mieux de donner une valeur à une denrée.

EDIT: jour/heure de publication rectifiés

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