Julien Bayou, lors d'un congrès d'Europe Ecologie Les Verts à Saint-Denis le 30 novembre 2019 (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP) (AFP / Geoffroy Van Der Hasselt)

Non, les autorités sanitaires ne bloquent pas des alternatives au glyphosate produites par deux sociétés comme le dit Bayou (EELV)

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Julien Bayou, secrétaire national des Verts, a affirmé le 21 août sur France 2 que les autorisations de vente d'herbicides naturels produits par deux sociétés françaises étaient "bloquées" par l'agence de sécurité sanitaire Anses, sous la pression du syndicat agricole FNSEA. C'est faux, plusieurs de ces herbicides naturels sont commercialisés depuis 5 ans, et un autre est encore en cours d'élaboration répondent l'Anses et les deux entreprises concernées.

Des autorisations de vente d'alternatives au glyphosate, désherbant soupçonné d'effets toxiques sur la santé et l'environnement, sont-elles bloquées en France sous la pression d'agriculteurs syndiqués à la FNSEA ?

C'est ce qu'a affirmé le secrétaire national d'Europe Ecologie les Verts (EELV) Julien Bayou dans l'émission Télématin le 21 août, citant deux entreprises françaises produisant des herbicides naturels, Osmobio et Jade International.

"Je constate qu’il y a deux entreprises françaises (...), Osmobio et Jade, qui proposent des désherbants naturels et qui attendent toujours leurs agréments par l’Anses (...) c'est bloqué car il y a une pression des plus gros exploitants de la FNSEA pour continuer à utiliser le glyphosate" a affirmé M.Bayou, après une question sur le processus de sortie du glyphosate en France.

Il s'est attiré aussitôt des critiques de la présidente de la FNSEA qui a dénoncé des "mensonges et des calomnies" sur Twitter.

En vente depuis 5 ans

En réalité, des agréments pour ces herbicides naturels existent depuis plus de 5 ans.

Quatre herbicides, dont trois à usage agricole, "composés de substances actives d’origine naturelle" et déposés par l'entreprise girondine Jade International - propriété du groupe belge Belchim depuis 2016- sont bien autorisés à la vente en France, explique l'agence de sécurité sanitaire française (Anses) le 25 août à l'AFP.

Extrait de la réponse de l'Anses envoyée par courriel le 25 août

"Rien ne bloque et nous n'avons pas de demande d'agrément en cours", a confirmé le 26 août à l'AFP Céline Putaggio, directrice de la communication de Belchim.

L'herbicide phare produit par cette société - nommé Belhouka - a été autorisé dès 2015, détaillent l'Anses et Mme Putaggio.

Ce produit dit de '"biocontrôle", qui doit servir d'alternatif aux pesticides chimiques, est utilisable en viticulture, arboriculture et sur les cultures de pommes de terre, selon sa fiche technique.

L'entreprise précise à l'AFP que depuis le 19 août, l'agrément du Belhouka a été étendu au soja, une culture où le glyphosate était utilisé sur 41% des parcelles en 2017, selon une enquête publiée en juin dernier dans le rapport de l'Institut national de recherche agronomique (Inrae) "Alternatives au glyphosate en grandes cultures".

Capture d'écran du rapport "Alternatives au glyphosate en grandes cultures" de l'Inrae

Pas de demande déposée

Quant au désherbant de la société Osmobio, il n'y pas de "blocage" ni "d'opposition organisée par l'Anses", explique le 26 août  à l'AFP son président Jacques Le Verger, qui "s'insurge contre ces insinuations".

Cette PME bretonne n'a en réalité toujours pas déposé de demande d'agrément pour son herbicide d'origine naturelle "breveté à l'international".

Des travaux scientifiques sont actuellement menés afin de déposer un dossier auprès de l'Anses en 2021, explique M. Le Verger, après une première tentative avortée en 2014.

Cette première demande d'agrément en avril 2014 n'avait pas pu être "évaluée" car "la plupart des pièces étaient manquantes" notamment des "études permettant d'évaluer l'efficacité du produit et son impact sur la santé et l'environnement", explique l'Anses dans un communiqué publié en 2017, puis diffusé sur Twitter le 21 août après les déclarations de M. Bayou.

"Il y a des procédures, je les respecte et je prends le temps de le faire sans bousculer les gens. Je ne suis pas dans un combat contre qui que ce soit", a assuré Jacques Le Verger, qui explique avoir travaillé avec l'Anses pour sélectionner des laboratoires agréés pour la constitution d'un nouveau dossier.

Sollicité par l'AFP après la vérification de ces éléments, Julien Bayou explique le 26 août avoir "lu qu'il y avait eu des difficultés concernant ces entreprises".

"J'ai lu trop vite" se défend ce responsable des Verts. "Je me réjouis si, enfin, on peut homologuer ces produits. Mais je note que c'est plus compliqué pour une PME de le faire", ajoute-t-il.

Sortie du glyphosate et alternatives

Le gouvernement précise sur son site glyphosate.gouv.fr qu'il souhaite "mettre fin aux principaux usages du glyphosate dès lors que des alternatives existent d’ici fin 2020, tout en précisant que les agriculteurs ne seraient pas laissés sans solutions".

En 2017, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé la sortie de la France de l'usage du glyphosate "dans les 3 ans", avant de conclure, fin janvier 2019, que le France n'y arriverait pas "à 100%" sur cette période.

"Je ne dis pas que la FNSEA est dans le bureau de l'Anses, mais elle a maintenu une pression politique", affirme Julien Bayou à l'AFP le 26 août. 

"C'est devant la FNSEA qu'Emmanuel Macron est revenu sur sa promesse d'interdire le glyphosate, il y a été applaudi", dénonce-t-il.

"La FNSEA réfléchit aux alternatives au glyphosate. On préconise un chemin pour une moindre utilisation,  mais de le préserver quand son usage est incontournable", répond à l'AFP Christian Durlin, vice-président la commission environnement du syndicat. 

L'agriculture de conservation - qui vise à améliorer la fertilité des sols- ou la viticulture sur des sols en forte pente "où le désherbage mécanique" n'est pas possible, sont des domaines où "il n'y a pas d'alternatives", selon lui.

"Quand des alternatives sont possibles, cela peut parfois entraîner un surcoût économique et mettre les exploitations dans le rouge", ajoute M. Durlin, représentant de la FNSA.

Cet agriculteur-éleveur sur une exploitation de 140 hectares, dont une partie "en bio" dans le Pas-de-Calais, explique ainsi avoir utilisé l'herbicide naturel "Belhouka" de Jade International.

Il y a renoncé, selon lui pour son efficacité moindre sur les mauvaises herbes profondes et pour son coût "5 fois plus élevé" que les produits au glyphosate.

Dans 3 rapports publiés jusqu'en 2020 pour évaluer les pratiques alternatives au glyphosate, l'INRAE a identifié plusieurs techniques alternatives telles que le "désherbage mécanique", le labour ou l'utilisation d'autres "herbicides homologués", mais pointe "des impasses" dans plusieurs domaines comme dans "l'agriculture de conservation", les zones agricoles à faible valeur ajoutée ou sur des terrains caillouteux.

Selon les derniers chiffres, la quantité de glyphosate vendue en France répresentait en 2017, 30% du volume total d'herbicides vendus.

Contactée par l'AFP, la direction de l'Anses explique avoir retiré en décembre 2019, 39 autorisations de mises sur le marché de produits contenant du glyphosate, pour environ "une vingtaine" de produits restants en vente à destination des professionnels.

Au total, 15 herbicides contenant "une substance active d'origine naturelle" sont autorisés à ce jour pour un usage professionnel agricole explique l'Anses à l'AFP. La liste complète est téléchargeable sur le site du ministère de l'Agriculture.

La glyphosate a été classé comme "cancérogène probable" en mars 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer, dépendant de l'OMS. Mais quelques mois plus tard, l'Autorité européenne de sécurité des aliments, puis l'Agence européenne des produits chimiques ont estimé "improbable" que ce produit présente un danger cancérogène pour l'homme.