Non, le vaccin contre la grippe ne contient pas des quantités de mercure dangereuses pour la santé
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- Publié le 24 février 2020 à 11:56
- Mis à jour le 24 février 2020 à 17:27
- Lecture : 5 min
- Par : Thomas SAINT-CRICQ
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En pleine épidémie de grippe saisonnière, deux publications partagées près d'un millier de fois depuis le 30 janvier sur Facebook en France et au Canada affirment que le vaccin contre la grippe contient un "danger" : du "mercure concentré".
Des publications qui sèment le doute alors que la grippe touche 2 à 6 millions de personnes en France et fait 10.000 morts en moyenne chaque année et que seule 48,3% de la population à risque était vaccinée contre la grippe en France en 2018-19, selon Santé Publique France.
L’un des deux messages affirme même que ce vaccin contient "150 fois la limite de déchets dangereux pour le mercure (sic)" : en d’autres termes, il y a 150 fois plus de mercure que la "quantité requise pour être défini comme un produit dangereux" explique l’auteur de la publication, contacté par l’AFP.
Ces deux publications ont été postées par un internaute canadien et par un page française HelloInfo se revendiquant "d'information alternative pour l'éveil et l'évolution des consciences libres".
Elles s’appuient sur des photos de la composition du vaccin multidose "Fluzone Quadrivalent", produit et distribué par Sanofi Pasteur aux États-Unis, comme l’a confirmé le fabricant auprès de l’AFP.
Confusion entre différents états du mercure
"Il y a des grosses confusions. Le mercure existe en différents états chimiques. Celui que tout le monde connaît, c’est le mercure élémentaire, le seul métal qui est liquide à température ambiante (...) Le mercure qui est toxique pour l'homme, c'est surtout le méthylmercure. La molécule qui est dans le vaccin, c'est un dérivé d’éthylmercure", explique à l’AFP Fabrizio Pariselli, toxicologue et directeur de l’unité prévention du risque chimique du CNRS.
Le méthylmercure a des "effets toxiques" sur le "système nerveux central" selon l’ANSES, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'alimentation. Les vaccins contre la grippe n'en contiennent pas.
Les fabricants utilisent du thiomersal, un dérivé d’éthylmercure "dans les vaccins présentés en flacons multidoses" explique-t-on chez Sanofi Pasteur. Ce composé chimique permet, depuis les années 1930, de "prévenir toute prolifération bactérienne" dans ce type de vaccin selon l’OMS, l'Organisation mondiale de la santé.
Des théories liant "l'exposition précoce au thiomersal" à "des déficits neuropsychologiques" , tels que l’autisme, sont apparues aux États-Unis à la fin du XXe siècle, explique à l'AFP le gendarme français du médicament l’ANSM.
De nombreuses études scientifiques internationales, dont celles publiées en 2004 par l'Académie américaine de pédiatrie et en 2007 par The New England Journal of Medicine, ont invalidé depuis cette hypothèse.
Le thiomersal peut "conduire à une réaction allergique", ces réactions sont toutefois "très rares", indique l’ANSM.
En France, souligne l'ANSM, aucun des trois vaccins unidoses contre la grippe en circulation en 2020 ne contient de thiomersal.
La publication affirme également que "le mercure coule au fond du flacon et se sépare rarement".
C’est une caractéristique "vraie" pour le mercure élémentaire mais "le thiomersal" présent dans le flacon est "un sel soluble dans l’eau" indique le toxicologue M. Pariselli.
Selon l'OMS, ce sel soluble ne "s'accumule pas dans le sang" et la moitié de la substance est éliminée entre "3 et 7 jours" contre 40 jours pour le méthylmercure.
Se vacciner une fois dans l'année et boire de l'eau contaminée : une comparaison incohérente
La suite des publications affirment que le vaccin contient "25 microgrammes de mercure dans chaque dose". Selon Sanofi, "un flacon multidose de 0,5 ml de vaccin Fluzone contient 25 mcg de thiomersal, une forme de mercure qui n'est liée à aucun dommage neurologique".
Un adulte vacciné contre la grippe reçoit donc 25 microgrammes de thiomersal, et non de mercure élémentaire, chaque année.
Sur Facebook, ce chiffre est comparé "au niveau dangereux de mercure dans l’eau potable" à "2 pbb", soit 2 microgrammes par litre. Une concentration qui peut "vous tuer" selon l’internaute canadien.
En réalité la limite fixée par les autorités en France, en au Canada, pour garantir la qualité de l’eau potable est de 1 mcg/L selon les autorités. "Ces limites de concentration sont évaluées sur une exposition durant une vie entière. C’est une limite sanitaire de qualité, ça ne veut pas dire que c’est une limite où vous mettez votre vie en jeu", explique le directeur de l’unité prévention risque du CNRS.
"La consommation d'un litre d’eau contenant une concentration de 2 mcg/L de mercure n'est pas susceptible de conduire à un décès" confirme l'ANSES à l'AFP.
150 fois la limite autorisée : un chiffre exagéré
Selon les autorités sanitaires françaises, un adulte peut tolérer chaque semaine jusqu'à 1,3 microgrammes de méthylmercure par kilo corporel. Pour une femme de 60 kg cela signifie 4.056 microgrammes de méthylmercure par an, pour une homme de 80 kg : 5.408 microgrammes…
Il s’agit là du mercure sous sa forme organique la plus toxique pour l’humain. Même si l'on se permettrait de le comparer avec le thiomersal, comme le suggèrent les publications Facebook, les 25 microgrammes injectés chaque année par le vaccin restent donc bien en-dessous des quantités autorisées, et non 150 fois supérieures.
Pourquoi le thiomersal est-il alors mis en cause?
En 1999 la FDA (l’autorité sanitaire des États-Unis, ndlr) a demandé aux fabricants de retirer le thiomersal des vaccins unidoses.
Ce retrait "mal interpreté", "a déclenché la polémique" et a permis aux "anti-vaccinaux de dire : +le mercure est responsable de l’autisme+" selon le vice-président de la commission technique des vaccinations de la Haute autorité de santé, Daniel Floret.
Par précaution, les autorités sanitaires, aux États-Unis et en Europe ont demandé aux fabricants le développement de "produits exempts de thiomersal".
L'utilisation du thiomersal a disparu de la composition des vaccins unidoses car "cela ne sert tout simplement à rien de mettre un conservateur et un antiseptique dans un produit immédiat et à usage unique", ajoute Daniel Floret.
Le thiomersal est encore utilisé aujourd’hui dans des vaccins multidoses pour ses propriétés antibactériennes et de conservation, dans des pays où la culture des campagnes de vaccination de masse ou le manque de moyen écartent l’utilisation de vaccins unidoses.
Pour l’OMS, qui se base sur plus "de 10 ans de données scientifiques" : "il n'existe pas d'élément laissant à penser que la quantité de thiomersal employée dans les vaccins présente un risque pour la santé".
EDIT du 24/02/2020 : précise que Daniel Floret est vice-président de la commission technique des vaccinations au sein de la HAS.