Non, cette photo ne montre pas une femme d'origine africaine agressée par des Libanais
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- Publié le 12 août 2020 à 16:41
- Mis à jour le 17 août 2020 à 09:56
- Lecture : 4 min
- Par : Anne-Dominique CORREA
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"Voilà ce que les libanais font. À NOS .SŒUR. AFRICAINE PRIER POUR ÇA" (sic), écrit l’auteur de la publication.
La photographie d’origine a été inversée, ce qui peut tromper les moteurs de recherche inversée (Google images, Yandex images, Bing, TinEye,...) qui permettent de retracer l’origine d’un cliché. Une fois son sens d’origine rétabli, une recherche via Yandex nous a permis de retrouver la trace de cette photographie sur les réseaux sociaux.
Cette image avait été partagée plus de 15 000 fois sur Facebook en 2018 en Inde, affirmant que la scène se passait au Bengale. Cette allégation avait alors été contredite par le site de fact-checking indien, The Hoax Slayer. "Son nom est Laxmi Oraon. Ces photos proviennent de Guwahati, en Assam. Et cet incident malheureux s'est produit il y a 11 ans, en 2007", avait-il précisé.
La photographie figure également dans un extrait vidéo diffusé sur Youtube, attribuée à la chaîne indienne d’information CNN/IBN. Sur cet extrait, on peut aussi voir d’autres images de la femme agressée. "Elle participait à des mobilisations qui réclamaient le statut de tribu répertoriée. Elle a été déshabillée et battue", affirme la présentatrice.
Une autre photo montrant la femme en fuite a aussi été publiée dans un article du Telegraph India datant du 26 novembre 2007. "Une jeune femme Adivasi a couru dans une rue de Guwahati nue, déshabillée par des émeutiers, tandis que des jeunes regardaient et prenaient des photos avec leurs téléphones portables", affirme-t-il. L’incident s’est produit, selon l’article, le 24 novembre 2007.
Ce jour là, l’AFP avait photographié "des manifestants allongés sur une route de Guwahati" après des affrontement entre militants de l'Association des étudiants adivasis de l'Assam et des résidents locaux.
"Des affrontements entre les travailleurs indigènes des plantations de thé et des résidents locaux dans le nord-est de l'Inde ont fait sept morts et 130 blessés, selon les autorités. Les violences ont éclaté après que 10 000 membres des tribus travaillant dans les plantations de thé de l'État d'Assam ont manifesté dans la ville principale de Guwahati, pour demander la reconnaissance de leur statut de groupe tribal répertorié", avait indiqué à l’AFP le 24 novembre une source au sein de la police locale.
Le statut de tribu répertoriée "leur donnerait droit à des emplois dans la fonction publique et à des avantages éducatifs et financiers", écrivait alors l’AFP.
Le 27 novembre, l’AFP avait aussi photographié des militants de l'Association des femmes démocratiques de l'Inde (AIDWA) qui manifestaient à New Delhi contre l'agression "d'une femme tribale lors d'un rassemblement de protestation dans les rues de la ville de Guwahati, au nord-est de l'Inde".
Laxmi Oraon continue de militer
En 2013, Laxmi Oraon est intervenue sur l’émission The News boulevard sur la chaîne Frontier TV, pour réclamer justice pour son agression, après que des politiques se sont exprimés sur des violences commises à l’encontre d’une autre femme, Mousumi Sharma, le 9 juillet 2012.
"Après l'incident où j'ai dû défiler nue, personne n'est venu m'aider alors que maintenant des hauts responsables politiques s’expriment sur l'incident de Mousumi Sharma. La raison c’est que je viens d’une tribu. Personne ne s’intéresse à moi ni m’a demandé si j’étais en vie ou pas? Je propose aux médias de demander aux hommes politiques s’ils me reconnaissent ou pas ? Je manifestais alors pour les droits de notre communauté tribale en Assam et les personnes s’étaient moquées de moi", a-t-elle déploré.
En 2014, son agression a inspiré un documentaire, Laxmi Orang: Rising from the Grave, réalisé par Parthajit Baruah.
La scène que l’on retrouve dans la publication Facebook que nous vérifions a d’ailleurs fait l’objet de peintures comme on peut le voir sur cette publication Facebook et ce tweet d’un journaliste indien en 2017.
Si la photo a été détournée, plusieurs ONG ont fait état d’abus commis contre des femmes africaines qui travaillent, notamment comme domestiques, au Liban.
"Le Liban compte sur son territoire plus de 250 000 travailleuses et travailleurs domestiques migrants originaires d’Afrique et d’Asie", estime un rapport d’Amnesty International sur l’exploitation des travailleuses domestiques migrantes au Liban publié en 2019. "Celles-ci sont prises dans les mailles du système de kafala, un dispositif de parrainage des personnes migrantes qui est par nature source d’abus et accroît les risques d’exploitation, de travail forcé et de traite des êtres humains, sans laisser aux victimes de réelle possibilité d’obtenir réparation", affirme le rapport.
"La majorité des femmes interrogées ont déclaré avoir déjà été soumises au moins une fois à des traitements humiliants et déshumanisants par leur employeur et six ont signalé de graves violences physiques", a indiqué l’ONG, en se basant sur 32 témoignages.
Edit du 17/08/2020 : ajoute signature