Non, cette photo ne montre pas des esclaves en Libye

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 26 décembre 2019 à 16:15
  • Lecture : 3 min
  • Par : Charlotte MASON
Une photographie partagée des milliers de fois sur Facebook prétend montrer des victimes de "l'esclavage moderne" en Libye, pays régulièrement mis en cause par la communauté internationale pour son traitement des migrants. Le cliché montre en réalité des victimes de torture dans la péninsule égyptienne du Sinaï.

"L'esclavage (...) moderne. Cela se passe en ce moment en Lybie. Les africains qui fuient la guerre et la famine sont emprisonnés en terre arabe et leurs organes vendus au plus offrant", écrivent plusieurs publications en français (1,2,3) et en anglais (1,2,3) depuis le 21 novembre 2019.

Sur la photo qui accompagne ce texte, trois hommes très amaigris se tiennent debout, dos à un mur. Deux d'entre eux affichent des blessures au niveau du ventre.

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Malnutrition, enlèvements, travail forcé, torture : plusieurs organisations internationales (1,2,3) ont dénoncé ces dernières années les conditions de détention des migrants en Libye, comme nous l'écrivions dans cette dépêche.

Le nombre de migrants transitant par ce pays d'Afrique du Nord pour gagner l'Europe a décuplé depuis la chute en 2011 de Mouammar Kadhafi, selon les Nations unies.

Leur sort a été mis en lumière en 2017 par de multiples naufrages d'embarcations précaires en mer Méditerranée et par la diffusion d'un reportage de la chaîne américaine CNN montrant un marché aux esclaves en Libye.

"Plus de 4.400 réfugiés et migrants sont actuellement détenus dans des centres en Libye", écrivait en novembre l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés dans un communiqué.

Toutefois, l'image partagée dans les publications virales ne montre pas des migrants réduits en esclavage dans ce pays, mais des Erythréens victimes de tortures dans le Sinaï.

Une recherche d'images inversée mène à un article de 2015 des Inrockuptibles. Il porte sur le travail des journalistes Cécile Allegra et Delphine Deloget, récompensées cette année-là du prix Albert-Londres de l'audiovisuel pour un documentaire sur un trafic de migrants érythréens dans le Sinaï.

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Le documentaire "Voyage en barbarie" (disponible ici) raconte le parcours de ces migrants enlevés puis torturés, certains "jusqu'à ce qu'ils meurent" ou que leurs proches paient des rançons allant jusqu'à 50.000 dollars par personne.

Il est possible de voir l'image utilisée par les publications virales dans le reportage (à 52'53"). Deux des jeunes hommes qui apparaissent sur la photo racontent par ailleurs la fin de leur détention à partir de la 47e minute.

"J'ai compris qu'on était libéré quand ils ont enlevé nos chaînes. Ils nous ont aidé à nous lever. J'étais si maigre qu'ils m'ont porté jusqu'à la voiture", explique le garçon qui se trouve à gauche sur la photo virale.

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La décontextualisation de cette photo "est évidemment problématique puisqu’il ne s’agit pas de la Libye mais bien du Sinaï", a expliqué par téléphone à l'AFP Cécile Allegra. 

Cette photographie a été prise par le journaliste Baptiste de Cazenove, a-t-elle également dit.

Ce dernier a confirmé à l'AFP être l'auteur du cliché. Il nous a fait parvenir par mail l'édition du 12 janvier 2014 de Libération, dans laquelle figure son reportage, accompagné de la photo.

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La photo a été prise au Caire en juin 2013, dans un appartement d'Ard El Liwa, un quartier populaire où il y a pas mal de réfugiés”, a-t-il expliqué par téléphone.

Ce sont trois Erythréens kidnappés au Soudan et transférés de force dans le Sinaï, où ils étaient torturés et détenus", a-t-il ajouté.

Cécile Allegra a affirmé que sur les trois hommes présents sur la photo, deux vivent désormais en France tandis que le troisième réside en Egypte.

Traduit de l'anglais par François D'Astier

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