Non, cette antilope ne s'est pas sacrifiée pour ses deux bébés

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 24 juillet 2019 à 12:07
  • Mis à jour le 24 juillet 2019 à 17:18
  • Lecture : 4 min
  • Par : Mary KULUNDU, AFP Kenya, AFP Brésil
Une photo, partagée plusieurs milliers de fois en plusieurs langues depuis au moins juin 2018, prétend montrer une antilope se sacrifiant pour ses faons. Les publications affirment également que ce cliché a conduit "le photographe à une grande dépression". Selon Alison Buttigieg, l'auteure de la photo, les deux allégations sont fausses. Elle explique à l'AFP être très agacée par la viralité de cette fausse information.  

Entre deux guépards, une antilope immobile. Elle fixe l'objectif pendant que les deux félins la tiennent, leurs crocs contre son cou. 

Une dizaine de publications en français ont relayé cette photo depuis au moins juin 2018, accompagnées du texte: "Cette photo a remporté le prix de la meilleure photo de la décennie et a conduit le photographe à une grande dépression. Les guépards ont poursuivi une mère antilope et ses deux bébés, la mère aurait pu s'échapper facilement des guépards mais au lieu de cela elle s'est offerte pour que ses enfants puissent s'échapper. Sur la photo elle est vue regardant ses bébés courir en sécurité alors qu'elle est sur le point d'être déchiqueté en morceaux. 'le sentiment de mère n' est pas seulement un sentiment humain'". 

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Capture d'écran d'une publication Facebook relayant la photographie, prise le 24/07/2019.

Dans les commentaires de l'une de ces publications, partagée plus de 5.000 fois, certains internautes s'attendrissent, tandis que d'autres dénoncent une histoire inventée. 

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Capture d'écran de commentaires sur une publication relayant la photo des guépards, prise le 24/07/2019.

L'intox a aussi beaucoup circulé sur les réseaux sociaux en anglais, en portugais et en espagnol

Nous avons effectué une recherche inversée avec l'image virale, en utilisant le moteur de recherche TinEye: cette photo vient en réalité du blog d'Alison Buttigieg, photographe animalière maltaise vivant en Finlande à l'origine du cliché.

Contactée par l'AFP, l'auteure de la photographie a expliqué que l'interprétation relayée par ces publications était fausse, ajoutant qu'elle était agacée par leur viralité. Alison Buttigieg avait déjà clarifié le contexte dans lequel cette photographie avait été prise via une publication sur son compte Facebook, en février 2017.  

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Capture d'écran de la publication Facebook de la photographe Alison Buttigieg, prise le 24/07/2019.

"Cette photo est virale depuis plus de deux ans et demi, toujours accompagnée par la même fausse histoire", a déclaré Alison Buttigieg. 

"Malgré de nombreuses clarifications, les gens préfèrent partager leur interprétation erronée — c'est plus sensationnel, et beaucoup plus 'liké' sur les réseaux sociaux. En tant que photographe animalière, c'est très énervant, parce que mon but est d'informer correctement au sujet des comportements animaux", a-t-elle poursuivi.

Deux jeunes guépards qui apprennent à chasser

Cette photo a été prise en septembre 2013 dans la réserve nationale Maasai Mara, au Kenya. 

Sur son blog, la photographe explique la situation en montrant huit autres clichés pris à quelques minutes d'intervalle: 

"J'ai été témoin de cette chasse en septembre 2013 dans la réserve nationale de Maasai Mara, au Kenya. Narasha, la mère, montrait à ses deux guépardeaux comment tuer une proie. Ils étaient un peu lents, et jouaient avec l'impala (qui fait partie de la famille des antilopes, ndlr) plutôt que de le tuer. Narasha est celle à droite, qui attrape l'impala par le coup dans toutes les photos."

Nulle part le prétendu sacrifice de l'antilope pour deux de ses bébés n'est mentionné.

Pas de "grande dépression"

Par ailleurs, Alison Buttigieg a exprimé son écoeurement à l'idée qu'une maladie mentale ait été utilisée par les internautes pour rendre la publication virale.

"Au sujet de la 'dépression', je suis sans voix", a-t-elle confié à l'AFP. "M'attribuer une maladie mentale dont je ne souffre pas est très indélicat (ça m'a posé des problèmes dans mon travail). Ça l'est aussi vis-à-vis des gens qui souffrent de cette maladie."

La photographe désapprouve également que son travail soit partagé sur les réseaux sans sa permission. Sa photographie a en effet été recadrée de manière à faire disparaître son copyright, en filigrane dans le coin supérieur droit de la photo. Elle n'est donc jamais créditée en tant qu'auteure.

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Capture d'écran du copyright en filigrane sur la photo d'Alison Buttigieg, prise le 24 juillet 2019.

"Le fait que les fausses informations circulent plus rapidement que les informations vérifiées et que les gens se permettent de partager des images volées en inventant de belles histoires est troublant. J'ai été harcelée par certaines de ces pages quand j'ai osé les signaler pour que l'image soit supprimée", a-t-elle déclaré à l'AFP. 

Alison Buttigieg a autorisé l'AFP à utiliser sa photo dans le cadre de cet article.

Par ailleurs, ce cliché n'a pas remporté "le prix de la meilleure photo de la décennie", même s'il a bien valu un prix grâce à la photographe en 2016 dans le cadre des Siena International Photo Awards.

Traduit par Marion Lefèvre.

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