Non, ce bateau n'est pas responsable de la mystérieuse maladie qui touche des pêcheurs sénégalais
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- Publié le 26 novembre 2020 à 18:18
- Lecture : 8 min
- Par : Marin LEFEVRE
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Du haut d'un bateau à la coque orange, deux jets de liquide jaillissent vers l'océan. Ce navire est celui qui "à pompé le produit ki tue les pêcheurs sénégalais (sic)", assure l'auteur d'une publication partagée plus de 130 fois depuis le 21 novembre sur Facebook.
Il fait référence à une mystérieuse maladie de peau qui a affecté un millier de pêcheurs depuis son apparition le 17 novembre dans la région de Dakar, selon le ministre de la Santé.
On ignore toujours les causes du mal qui, selon des images publiées par les médias et les réseaux sociaux, a couvert des pêcheurs de boutons parfois impressionnants sur le visage et le reste du corps.
Or la photo de ce bateau n'a rien à voir avec ce problème sanitaire: le navire appartient aux sauveteurs en mer espagnols et les jets visibles sur la photo contiennent uniquement de l'eau de mer, comme l'a confirmé l'organisme de sauvetage à l'AFP.
De plus, le cliché a été pris en mer au large des côtes espagnoles, au sud du pays, à plusieurs milliers de kilomètres des côtes sénégalaises.
Exercice de sauvetage en mer
Une recherche d'images inversée sur le moteur de recherches Google conduit à une publication de la page Facebook vérifiée du Salvamento Marítimo, l'organisme public qui coordonne le sauvetage maritime en Espagne, en date du 22 octobre.
Cette publication contient la photographie que nous vérifions, accompagnée de plusieurs autres clichés du même bateau. Ce navire est le "'María Zambrano' (...), l'un des 10 remorqueurs dont dispose le Salvamento Marítimo, capable de remorquer de grands navires et ayant la capacité opérationnelle d'intervenir lors d'accidents importants (incendies, pollution, sauvetage...) et de porter assistance aux navires en difficulté", est-il indiqué.
Il effectuait ici un "test de canons à eau", en vue de ses activités de "pompier de la mer".
Contacté par l'AFP le 26 novembre, le Salvamento Marítimo confirme que les jets sont propulsés par un système nommé FIFI (un mécanisme de pompe qu'on retrouve en vente sur des sites spécialisés) installé sur le navire, qui aspire l'eau de mer pour la rejeter grâce à "des canons visant à éteindre les incendies".
Par ailleurs, le María Zambrano "opère dans la zone sud de la péninsule (ibérique, ndlr) et ne s'est jamais rendu au Sénégal", précise le Salvamento Maritimo à l'AFP.
La photo que nous vérifions apparaît aussi sur le site d'un magazine spécialisé qui utilise cette photo pour illustrer un article en espagnol intitulé "Le navire 'María Zambrano' du Sauvetage Maritime prépare ses canons à eau". Cet article relaye les mêmes informations que la page Facebook du Salvamente Marítimo.
Selon le site officiel du Salvamento Marítimo, le María Zambrano est entré en service en 2008. Une page Wikipédia en espagnol lui a même été consacrée.
Cliché pris au sud de l'Espagne
Dans le coin supérieur gauche de la photographie relayée par l'organisme de sauvetage en mer, identique à celle qu'on vérifie, on distingue un crédit photo: Arturo Solares.
En cherchant sur Google les mots-clés "Arturo Solares fotografia maritima" ("Arturo Solares photographie maritime"), on trouve un article qui mentionne le nom complet du photographe, Arturo Solares Sampedro.
Sur le compte Instagram de ce dernier, on retrouve la photo.
Arturo Solares Sampedro localise cette prise de vue près du port de Motril, à Grenade (sud de l'Espagne).
C'est également près de cette ville que le navire est situé (rectangle jaune) sur la carte détaillant les différents appareils de l'organisme de sauvetage en mer, datée de janvier 2020 et disponible sur son site.
Contacté par l'AFP le 25 novembre, Arturo Solares Sampedro a confirmé être l'auteur de l'image et qu'il "s'agit bien d'un bateau de sauvetage qui teste ses canons anti-incendies" en Espagne.
Le photographe a en revanche refusé de préciser le lieu où il a pris cette photo ainsi que la date de prise de vue.
Le Salvamento Marítimo a, lui, précisé à l'AFP ne pas connaître ces détails, n'étant pas à l'origine du cliché.
Sur le blog du photographe, on retrouve le même cliché viral, dans un dossier daté d'août 2020 et appelé "Exercicios" ("exercices").
Arturo Solares Sampedro est également crédité pour ses photos par les sauveteurs maritimes espagnols: le gestionnaire du compte Twitter officiel du Salvamento Marítimo le remercie dans un tweet daté du 1er août 2020, l'appelant même "membre de l'équipage".
Con 20 cañones y a toda vela... va a ser que no... con 2 y a máquina: Prueba cañones de agua de Nuestro/Vuestro buque María Zambrano.
— SALVAMENTO MARÍTIMO (@salvamentogob) August 1, 2020
Muchas veces nos toca ser los bomberos del mar… y siempre nos gusta tenerlo todo a punto.
Fotazos por su tripulante Arturo Solares/Gracias!!! pic.twitter.com/U8wr9fIMRZ
"Avec 20 canons et toutes voiles dehors... Euh, finalement non... Avec deux canons à eau et un moteur. Test des canons à eau de notre/votre navire 'María Zambrano'", commence le tweet ci-dessus, avant de conclure : "Souvent, nous devons être les pompiers de la mer ... et nous aimons toujours que tout soit prêt. Belles photos par votre membre d'équipage Arturo Solares / Merci !!!""
Un navire amarré à Cadix
L'AFP n'a pas été en mesure de retracer les déplacements du navire depuis l'apparition de la mystérieuse maladie qui touche les pêcheurs sénégalais.
Cependant, le Salvamento Marítimo a précisé dans un courriel à l'AFP que le 'María Zambrano' était amarré à Cadix depuis le 23 novembre, une information que confirment deux sites de traçage maritime (ici et ici).
Une mystérieuse maladie
Au 24 novembre, parmi les 1.004 pêcheurs sénégalais touchés par la mystérieuse maladie de peau, tous les cas signalés ont évolué favorablement sans complication et seule une personne atteinte est hospitalisée.
Elles étaient beaucoup plus nombreuses quelques jours auparavant, selon le ministre sénégalais de la santé Abdoulaye Diouf Sarr.
"Il n'y a aucun cas secondaire. Autrement dit, il n'y a pas de contamination, ce n'est pas une maladie contagieuse (et) il n'y a pas de risque par rapport à la consommation de poisson", a-t-il rassuré.
Si l'on ignore toujours la cause de ce mal, la possibilité qu'une algue en soit responsable a été évoquée le 24 novembre par le ministre de l'Environnement, Abdou Karim Sall, qui a précisé que l'apparition de la maladie a coïncidé avec une prolifération d'algues selon les pêcheurs.
Des prélèvements analysés par un laboratoire n'ont révélé aucune infection chimique ou toxique de l'eau ou des poissons, a-t-il ajouté.
De nombreux pêcheurs se sont plaints de la mévente de leurs produits après des messages sur les réseaux sociaux conseillant de ne pas consommer de poisson pendant un moment.
La pêche génère plus de 53.000 emplois directs et 540.000 indirects au Sénégal selon l'ONU.