Incendies près de Tchernobyl : quelles conséquences sur l'air en France ?
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- Publié le 21 avril 2020 à 21:25
- Mis à jour le 05 mai 2022 à 18:36
- Lecture : 6 min
- Par : Sami ACEF
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Attention : la carte ci-dessus est un capture d'écran d'une modélisation vidéo, elle ne montre pas l'intégralité des territoires concernés (voir ci-dessous)
L'incendie
Un incendie important s'est effectivement déclaré le 4 avril dans la zone d'exclusion entourant dans un rayon de 30 kilomètres la centrale accidentée de Tchernobyl, théâtre en 1986 du pire accident nucléaire de l'Histoire. Renforcé par des vents violents et un temps inhabituellement sec, il s'est propagé pendant plusieurs jours.
Des centaines de pompiers et de secouristes ainsi que des avions et des hélicoptères ont finalement réussi à éteindre les flammes le 14 avril, mais ils poursuivent leur combat contre plusieurs feux couvant toujours sur ce territoire.
Le 17 avril, la ville de Kiev était notamment enveloppée d'une épaisse fumée provenant notamment de ces feux de forêt dans la zone d'exclusion, et le niveau de pollution relevé au cours de la journée dans la capitale ukrainienne a figuré parmi les pires du monde, bien que la situation se soit améliorée dans la journée.
Or ces incendies se déroulant dans une zone où la radioactivité est élevée, ils peuvent remettre en suspension des éléments, notamment le Césium 137, dont il faut surveiller la concentration dans l'air. Des masses d'air en provenance de ce territoire ont voyagé, après les départs d'incendies, un peu partout en Europe, et notamment jusqu'en France, dans la nuit du 7 au 8 avril, selon l'IRSN.
La carte
La carte montrée dans la publication Facebook est d'ailleurs tout à fait authentique. Elle est issue d'une modélisation vidéo de l'IRSN, disponible sur son site internet et sa chaîne YouTube.
A l'heure actuelle, la modélisation prend pour hypothèse que "du 20 au 25 avril minuit (...) les rejets se poursuivent sur la base des rejets moyens évalués sur la période du 3 au 20 avril" et "la simulation de la dispersion des masses d'air se poursuit jusqu’au 27 avril 2020".
"Cette vidéo montre l’arrivée d’un premier panache en France à partir du 7 avril par le Sud-Est de la France avec de très faibles niveaux de concentrations qui ont perduré jusqu’au 14 avril 2020. Elle montre également qu’un second panache a pu pénétrer en France à partir du 23 avril 2020 par le Sud-Est avec des niveaux de concentration de nouveau extrêmement faibles, proches des limites de détection", détaille l'IRSN.
Notons que tant que des incendies se produisent dans la région, d'autres masses d'air provenant des lieux de ces derniers peuvent théoriquement arriver jusqu'en France ces prochains jours.
Les mesures de l'impact en France
Cependant, ce que ne met pas immédiatement en avant la publication Facebook, c'est le fait que l'IRSN, à l'origine de cette carte, explique dans la même publication que "l’impact résultant de l’inhalation de la radioactivité transportée par les masses dans l’air arrivant en France devrait être insignifiant".
"Une partie de la France, comme le montre notre modélisation, a été soumise à ces masses d'air", abonde le 21 avril auprès de l'AFP Marc Gleizes, adjoint au directeur de l'Environnement à l'Institut. Toutefois, "les quantités arrivées en France sont très très faibles, notamment parce que le terme source (les éléments radioactifs remis en suspension par les incendies en Ukraine, NDLR) est important, mais sans commune mesure avec ce qui a pu être rejeté dans un accident sur une centrale nucléaire par exemple", explique l'ingénieur.
"Les masses d'air, quand elles se dispersent entre Tchernobyl et la France, sont forcément diluées (...) ce qui arrive en France (l'activité de Césium 137 dans notre air), on l'estime en-dessous du microBequerel/m3". Le Becquerel étant l'unité de mesure de la désintégration d'un élément radioactif par seconde. Un microBecquerel (µBQ), équivaut un millionième de Becquerel.
"Les niveaux pendant l'accident de Tchernobyl en 1986, (en France, NDLR) se chiffraient en Bq/m3, donc là c'est un rapport d'un millionième", poursuit-il. "C'est vraiment très très faible, on va être en limite de ce que savent détecter nos appareils". C'est aussi ce que montre l'échelle à droite de la carte.
Comment sont réalisés ces modèles et mesures ? En plusieurs étapes.
Dans un tout premier temps, l'IRSN se base sur des données fournies par les autorités scientifiques ukrainiennes, ainsi des données fournies par les scientifiques d'autres pays européens, puis leur applique des équations mathématiques, en tenant compte des modélisations météorologiques de Météo France à l'échelle européenne, et réaliser ses modélisations de propagation des masses d'air.
"La principale incertitude, ce n'est pas le point de départ parce qu'on sait où le feu a eu lieu, ce ne sont pas les modèles de dispersion ou la météo, c'est le terme source. Quelle quantité de radioactivité a été remise en suspension par les incendies ?", se demande Marc Gleizes. Comment s'assurer dès lors que ce terme source en Ukraine est bien mesuré ? L'IRSN analyse son propre jeu de mesure, récolté notamment en France grâce à des stations contenant des aérosols sur filtre.
"C'est un peu comme un gros aspirateur", explique M. Gleizes. "On a deux types de stations, des grand débit de 700 m3/h, une dizaine en France, et des stations 80 m3/h, on en a 37", poursuit-il, précisant qu'en cette période de confinement "environ 80% d'entre elles fonctionnent".
"Ils filtrent l'air pendant une semaine et on envoie le filtre dans nos laboratoires de l'IRSN, où ils sont mesurés par des spectromètres gamma", et "il faut plusieurs jours pour mesurer précisément la radioactivité", affirme le scientifique. "On espère avoir des résultats en fin de semaine ou en début de semaine prochaine".
Ainsi, selon la quantité de radioactivité détectée par ces filtres, et en appliquant rétroactivement ses modèles mathématiques, l'IRSN pourra estimer si, selon ses propres mesures, les niveaux de radioactivité remis en dispersion en Ukraine par les incendies ont été sous-évalués, correctement évalués, voire surévalués.
De quoi éventuellement remettre en question la dangerosité de la concentration dans ces masses d'air en France ? Pas pour Marc Gleizes. "Il n'y a aucun enjeu sanitaire. Les niveaux sont infinitésimaux donc il n'y a aucun impact sanitaire. Là, on a eu quelques premières mesures des scientifiques allemands et autrichiens qui sont plus près de nous, et qui ont mesuré 3 µBq/m3; ça confirme les ordres de grandeur dans lesquels on est, qui sont très très bas, et sans impact sanitaire".
De fait, l'IRNS a publié vendredi 24 avril ses premiers résultats. "Ces mesures significatives montrent des niveaux très faibles de radioactivité, cohérents avec les résultats des modélisations", précise l'institut.
"L’activité volumique en césium 137 la plus élevée a été mesurée à la station de Bouc-bel-Air (13) (débit d’environ 400 m3/h) avec une valeur de 1,161 + ou - 0,212 μBq/m3 en césium 137 pour un prélèvement du 4 au 10/04/2020", précise l'Institut.
Edit du 24/04/2020 : ajoute premières mesures effectuées par l'IRSN et nouvelle modélisation Edit du 05/05/2022 : corrige l'orthographe d'un nom propre