Non, l'ADN mitochondrial des femmes noires ne présente pas "toutes les variations" génétiques possibles
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- Publié le 04 novembre 2021 à 11:48
- Mis à jour le 10 novembre 2021 à 17:14
- Lecture : 4 min
- Par : Marin LEFEVRE
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"Scientifiquement, la femme noire est le seul organisme qui possède l'ADN des mitochondries qui présente toutes les variations possibles pour chaque type d'être humain sur cette terre" affirment plusieurs publication très largement partagée sur les réseaux sociaux en Afrique: cela serait dû à un gène spécifique, appelé le "gène d'Eve".
Les internautes qui partagent cette assertion l'illustrent avec une oeuvre de la peintre américaine d'origine afro-cubaine Harmonia Rosales intitulée "The Harvest" ("La Récolte"), datée de 2018 et représentant la Vierge Marie sous les traits d'une femme noire, entourée d'enfants de différentes couleurs de peau.
Ces publications, partagées près de 5.000 fois depuis janvier 2020 (1, 2, 3, 4, 5...), sont trompeuses: le "gène d'Eve" qu'elles mentionnent n'existe pas, mais semblent faire référence à la notion d'"Eve mitochondriale", une ancêtre commune à toute l'humanité vivant en Afrique il y a environ 200.000 ans, et dont l'ADN mitochondrial de tous les êtres humains sur Terre descend.
Qu'est-ce que l'ADN mitochondrial et pourquoi l'étudier?
Les mitochondries sont des "élément[s] du cytoplasme de la cellule animale ou végétale dont le rôle essentiel est d'assurer l'oxydation, la respiration cellulaire, la mise en réserve de l'énergie par la cellule et le stockage de certaines substances", comme les définit le Larousse Médical.
Tout comme le noyau de nos cellules, elles contiennent de l'acide désoxyribonucléique (ADN), porteur de l'information génétique. L'étude des mitochondries, transmises exclusivement par les mères de génération en génération, permet de "retracer la généalogie des individus en comparant leur ADN", explique à l'AFP Laurent Duret, directeur de recherche au CNRS et membre du laboratoire de biométrie et de biologie évolutive de l'Université Lyon 1.
Mais les publications virales que nous vérifions livrent une interprétation génétique erronée, un "mélange de vrai et de faux", selon Evelyne Heyer, professeur d'anthropologie génétique au Muséum nationale d'histoire naturelle (MNHN) de Paris et autrice de L'Odyssée des Gènes (Flammarion, 2020).
"L'ADN mitochondrial de tous les humains sur la planète descend d'une seule mitochondrie: c'est ce qu'on a appelé l'Eve mitochondriale", explique la scientifique. L'existence de cette femme très probablement noire qui vivait en Afrique il y a à peu près 200.000 ans, a été établie en 1987 par Rebecca Louise Cann, Mark Stoneking, et Allan Charles Wilson dans un article paru dans le journal scientifique américain de référence Nature.
Ils arrivent à cette conclusion après analyse d'échantillons d'ADN mitochondrial de 147 personnes issues de cinq régions différentes du globe : Afrique, Asie, Australie, Europe et Nouvelle-Guinée, dans l'océan Pacifique.
"Aujourd'hui, cette mitochondrie que portait cette ancêtre, qui a bien existé, plus personne ne la porte", clarifie cependant Laurent Duret, du CNRS: "ce qu'on porte, ce sont des descendants de cette mitochondries qui, entre temps, ont accumulé des mutations."
Confusions
A noter que le nom d'"Eve mitochondriale" n'apparaît pas dans l'article produit par Rebecca Louise Cann, Mark Stoneking, et Allan Charles Wilson. Ce surnom, "trompeur" pour Laurent Duret, est né après la publication de leurs travaux.
"C'était une bêtise de l'appeler comme ça", abonde Evelyne Heyer, du MNHN: "Si vous regardez les mitochondries de tout le monde [...], on remonte à un ancêtre commun pour notre ADN mitochondrial, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'autres personnes [contemporaines de cette ancêtre] à cette époque-là!"
Cette femme est "certes la seule qui, depuis, a transmis ses mitochondries à tout le monde" mais le nom d'Eve suggère "l'idée de berceau originel, alors que ça n'est pas le cas", résume la scientifique. L"Eve mitochondriale" est simplement la "seule à avoir eu des descendants, jusqu'à nos jours, qui n'étaient que des femmes".
Les deux scientifiques joints par l'AFP soulignent par ailleurs que chaque fragment de nos chromosomes a une histoire et une généalogie qui lui est propre. "Chacun de nous n'a pas un seul ancêtre, mais des milliers d'ancêtres", explique Laurent Duret, du CNRS. "Si on regardait d'autres chromosomes, on retrouverait d'autres ancêtres communs," par exemple un "Adam Y" si l'on s'intéresse au chromosome sexuel Y.
Racines africaines
Néanmoins, pour Laurent Duret, "l'intention qui est derrière le message [véhiculé par la publication virale] est correcte, dans le sens où ce qui est clairement établi [scientifiquement], c'est que notre espèce a son origine en Afrique".
"Quand on regarde l'ADN mitochondrial de tous les humains de la planète, de pleins d'endroits différents, on se rend compte que c'est en Afrique qu'il y a le plus de diversité pour [cet ADN]", explique Evelyne Heyer, du MNHN. Les types d'ADN mitochondriaux observés en-dehors du continent représentent en effet "un sous-ensemble de ceux que l'on trouve en Afrique".
"Si on repart de cette mitochondrie qui était portée par cette 'Eve mitochondriale', à chaque fois qu'elle a été transmise de génération en génération, elle a acquis des mutations, de la diversité génétique", reprend Laurent Duret, du CNRS. "Dans une première période, notre espèce était essentiellement cantonnée en Afrique, où s'est accumulée de la diversité génétique sur le génome mitochondrial."
Les humains ont ensuite migré vers d'autres parties du globe, "progressivement; entre -60.000 et -40.000 ans et encore plus récemment, en -15.000 pour l'Amérique".
Les publications virales sont donc trompeuses: car si l'ADN des femmes noires aujourd'hui ne contient donc pas "toutes les variations [génétiques] possibles pour chaque type d'être humain" sur Terre et que le "gène d'Eve" n'existe pas, il est établi que l'ADN mitochondrial de chaque être humain sur Terre descend de celui d'une femme africaine ayant vécu il y a environ 200.000 ans. Par ailleurs, l'espèce humaine étant apparue en Afrique avant de migrer vers d'autres régions, les populations de ce continent présentent la plus grande diversité génétique au monde.
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