L'intervention militaire au Bénin n'a pas déclenché une bagarre au Sénat nigérian

L’armée nigériane est intervenue au Bénin pour contrer la tentative de coup d'État du 7 décembre 2025, à la demande du gouvernement béninois. Dans ce contexte, une vidéo dans laquelle des personnes en viennent aux mains dans la salle du Sénat nigérian est présentée comme des parlementaires qui se disputeraient au sujet de cette intervention militaire. Mais c’est faux : ces images montrent des émeutiers qui avaient pris d’assaut le Sénat nigérian le 18 avril 2018. L'organe législatif a donné son accord à l'intervention au Bénin a postériori, lors d'un vote qui s'est déroulé sans violence. 

Le 7 décembre 2025, le Bénin a subi une tentative de coup d'État qui, durant la journée, a été mise en échec par les forces républicaines (dépêche AFP archivée ici). Un coup qui, selon le gouvernement béninois, a été maitrisé grâce à l’appui de forces armées extérieures, dont celles du Nigeria voisin.

Des avions de chasse nigérians ont en effet frappé le jour même de la tentative de putsch les positions des mutins qui s’étaient réfugiés au sein du camp militaire de Togbin, en périphérie de Cotonou (lien archivé ici). Ce déploiement a été initié sous ordre du président Bola Tinubu et sans l’accord préalable du Sénat, même si celui-ci a fini par l’approuver rétroactivement le 9 décembre 2025 (lien archivé ici).

C’est dans ce contexte que plusieurs publications sur les réseaux sociaux prétendent qu'une vidéo dans laquelle des personnes en viennent aux mains au Sénat montrerait des parlementaires nigérians se disputer sur cette intervention et demander la démission du président Bola Tinubu (publications similaires archivées 1, 2, 3, 4).

"Nigéria: les parlementaires de l'opposition sont furieux après l'attaque du Bénin", affirme ainsi cette publication Facebook qui cumule 9.000 mentions "j’aime".  "12/12/2025 au Nigeria les parlementaires demandent la démission de tunibou" [sic], ajoute un autre post, partagé près de 5.000 fois depuis sa publication le 12 décembre 2025.

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Captures d'écran de publication Facebook, réalisées le 16 décembre 2025 / croix rouge rajoutées par la rédaction de l'AFP.

Sur les images, on aperçoit des personnes qui s'empoignent dans une salle aux sièges de couleur rouge. D'autres personnes essaient de séparer ceux qui se battent, avant qu’un homme ne se dirige vers le perchoir, s’empare d’un spectre doré et court vers l’extérieur de la salle.  

Mais cette séquence n'a aucun lien avec la récente intervention du Nigeria au Bénin : elle a en réalité été tournée en 2018, soit cinq ans avant l’accession au pouvoir du président Tinubu et bien avant le coup d'État du 7 décembre 2025. 

Emeutiers au Sénat en 2018

Grâce à une recherche d’image inversée réalisée avec l’outil InVID-WeVerify, nous retrouvons la même séquence publiée dès 2018 sur les comptes YouTube de plusieurs médias locaux nigérians, comme ici et ici (liens archivés ici et ici).

"Des voyous prennent d'assaut l'Assemblée nationale et s'emparent de la masse cérémonielle du Sénat", indique en anglais la légende de la vidéo publiée le 18 avril 2018 par la chaîne YouTube de TVC News Nigeria. 

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Capture d'écran d'une publication YouTube, réalisée le 16 décembre 2025 / Encadré rouge rajouté par la rédaction de l'AFP.

Le média nigérian Channels Television a diffusé une séquence identique à la même date, avec une légende plus précise : "Vol de la masse cérémonielle du Sénat : Anene fustige les agences de sécurité et se demande pourquoi Omo-Agege est toujours en liberté". 

Une recherche sur Google avec ces mots clefs en anglais permet de retrouver un article de CNN qui confirme les faits. Il explique notamment que ce vol empêchait théoriquement la poursuite de l'activité parlementaire, car "les lois ne peuvent être adoptées par le Sénat en l'absence de cette masse cérémonielle, symbole de l'autorité" (lien archivé ici). On retrouve plusieurs éléments précis de la vidéo que nous vérifions dans les images qui l'illustrent.

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Comparaison entre une capture d'écran d'une publication Facebook (à gauche) et une photo figurant dans un article de CNN du 18 avril 2018 / Croix rouge et encadrés en couleur rajoutés par la rédaction de l'AFP.

"Aujourd'hui, des voyous menés par le sénateur suspendu Ovie Omo Agege ont pénétré dans la salle plénière du Sénat et se sont emparés du symbole d'autorité de la Chambre haute législative, la masse", précisait lui sur X le Sénat nigérian (lien archivé ici). 

Une semaine plus tôt, le sénateur Ovie Omo Agege avait été suspendu pour 90 jours après avoir porté plainte contre le Sénat. Le 19 avril 2018, la police annonçait avoir retrouvé le spectre. Ovie Omo Agege a lui été mis en garde à vue avant d’être relâché (lien en anglais archivé ici). L'enquête n'a jamais pu aboutir en raison de la dissolution du Sénat, la nouvelle chambre n'ayant pas compétence pour prendre la suite en l'absence d'un rapport détaillé (lien en anglais archivé ici).  

La vidéo que nous vérifions n’a de ce fait rien à voir avec un débat de parlementaires s’échauffant autour de l’intervention militaire au Bénin. Elle date de 2018, soit sept ans avant la tentative de coup d'État qui a frappé ce pays le 7 décembre 2025.

Stabilité sous-régionale

Première puissance économique d’Afrique de l’Ouest, le Nigeria joue un rôle important dans la stabilité politique de la région. En juillet 2023, aux côtés d’autres pays de la Cedeao, le pays avait menacé d'intervenir militairement au Niger voisin pour contrer le coup d'État qui venait de renverser Mohamed Bazoum, président démocratiquement élu (lien archivé ici). Des voix au sein du Sénat s'y étaient à l'époque opposé

Mais deux ans plus tard, les choses se sont passées différemment pour le coup d'Etat au Bénin : le régime en place a reçu dans la journée l'aide militaire du Nigeria et de la France. Même la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a déployé sa "force en attente" sur le territoire béninois pour soutenir le gouvernement, alors qu'elle n'était pas intervenue une dizaine de jours plus tôt pour le coup d'État en Guinée-Bissau (lien archivé ici).

Contrairement à ce qui est affirmé dans les vidéos que nous avons vérifiées, l'intervention militaire du Nigeria au Bénin n'a pas été contestée par les sénateurs. Ces derniers ont soutenu la décision du président Tinubu à l'unanimité (lien archivé ici).  

L'intervention militaire a cependant été critiquée par quelques voix de l'opposition hors du Parlement, dont Emmanuel Chukwuka Jonhson, connu pour être proche de la Russie (lien archivé ici). Il avait affirmé sur RT, que "l’implication du Nigeria dans cette affaire [NDLR: la riposte du coup d'État au Bénin] était totalement illégale" car le président Tinubu n’avait pas au préalable consulté l’Assemblée nationale. 

Pourtant, comme le précise le Sénat, la décision du président est légale. Elle est conforme à l’article 5.5  de la partie 2 du chapitre 1 de la Constitution nigériane de 1999, qui indique que "le président, en consultation avec le Conseil national de défense, peut déployer des membres des forces armées de la Fédération dans le cadre d'une mission de combat limitée en dehors du Nigeria s'il estime que la sécurité nationale est menacée ou en danger imminent", du moment qu'il "demande l'accord du Sénat" dans "les sept jours suivant le début des opérations de combat" (lien archivé ici). 

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