Non, les autorités portugaises n'ont pas "convoqué" l'ambassadeur du Nigeria à Lisbonne

Un avion militaire nigérian qui devait initialement se rendre au Portugal a atterri de manière imprévue le 8 décembre au Burkina Faso, froissant les militaires à la tête du pays. Plusieurs rumeurs autour de cet incident ont largement été diffusées sur les réseaux sociaux. Parmi elles, des publications prétendent que Lisbonne aurait convoqué l'ambassadeur du Nigeria installé sur son territoire, en vue d'éclaircir la situation. Mais c'est faux : aucun représentant diplomatique du Nigeria n'a été appelé par le gouvernement du Portugal, nous a assuré son ministère des Affaires étrangères. Par ailleurs, le Nigeria n'a plus d'ambassadeur au Portugal, mais un simple chargé d'affaires dans l'attente d'une nouvelle nomination. 

Le 8 décembre dernier, les juntes militaires au pouvoir dans l'Alliance des Etats du Sahel (Burkina, Mali, Niger) ont dénoncé une violation de leur espace aérien après l'atterrissage en urgence d'un avion militaire nigérian à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso.

Dans un communiqué commun lu sur les chaînes télé des trois pays, la confédération a notamment indiqué que cet engin avait à son bord onze personnes, toutes militaires, et qu'une enquête ouverte avait permis de "mettre en évidence l’absence d'autorisation de survol du territoire burkinabé pour cet appareil". 

Le lendemain, l'armée de l'air nigériane s'est justifiée dans un communiqué. Après le décollage, "l'équipage a constaté un problème technique qui a nécessité un atterrissage de précaution à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, l'aérodrome le plus proche, conformément aux procédures de sécurité standard et aux protocoles internationaux", a-t-elle déclaré (dépêche AFP archivée ici).  

Selon elle, l'avion C-130 avait décollé de Lagos, dans le sud-ouest du Nigeria, et se rendait au Portugal.

Cet incident intervient au moment où le Nigeria a tout récemment aidé son voisin et pays ami le Bénin à déjouer un coup d'Etat, en menant notamment des frappes aériennes sur la capitale économique Cotonou. La tentative de putsch a elle été au contraire saluée sur les réseaux sociaux par de nombreux comptes pro-AES. 

Dans ce contexte, des dizaines de publications qualifient l'avion qui s'est posé au Burkina Faso de "suspect" et prétendent que celui-ci "menait des opérations au Bénin". 

D'autres, partagées des centaines de fois pour certaines, avancent que l'ambassadeur du Nigeria au Portugal aurait été "convoqué" par les autorités portugaises qui n'auraient pas été informées d'un tel déplacement aérien en direction de leur territoire (1,2), ce qui remettrait en cause la version donnée par Abuja.  

"Face aux informations faisant état de la présence d’un aéronef non identifié, la réaction des autorités portugaises a été claire, responsable et transparente. Le Portugal a officiellement déclaré ne pas être au courant de cet appareil et, dans un souci de vérité et de clarté diplomatique, a convoqué l’ambassadeur du Nigeria afin de situer les responsabilités et d’éclairer l’opinion", soutient par exemple l'une d'entre elles, qui affiche plus de 3.000 mentions "j'aime" sur Facebook.

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Captures d'écran prise sur Facebook (à gauche) et X (à droite) / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

Mais c'est faux, a démenti le ministère portugais des Affaires étrangères auprès de l'AFP. Par ailleurs, le Nigeria n'a pas d'ambassadeur en représentation au Portugal depuis deux ans

Démenti officiel 

Afin de vérifier ces allégations, nous avons pris contact avec le Ministère portugais des Affaires étrangères. "On n’a pas connaissance de cette affaire", a affirmé à l'AFP un porte-parole de l'institution le 10 décembre, expliquant que le gouvernement n’avait pas convoqué l’ambassadeur du Nigeria.

De son côté, l'ambassade du Nigeria à Lisbonne a déclaré à notre rédaction, le 16 décembre : "l'ambassadeur que nous avions est parti, sa mission est terminée. Il est parti il y a deux ans et nous attendons maintenant la nomination d'un nouveau".

La personne la "plus haut placée" actuellement au sein de l'ambassade est un "chargé d'affaires", a précisé l'institution.

Il est donc impossible qu'un prétendu ambassadeur du Nigeria au Portugal ait été convoqué par les autorités locales, comme le prétendent les multiples publications sur les réseaux sociaux. 

Tensions diplomatiques

L'atterrissage inopiné de cet avion a engendré un flot de spéculations en ligne et des tensions diplomatiques entre les autorités nigérianes et la junte arrivée à la tête du Burkina Faso en 2022 après un double coup d'Etat. 

Lors d'une conférence de presse à Abuja le 12 décembre, le ministre nigérian des Affaires étrangères Yusuf Maitama Tuggar déclarait, aux côtés du ministre béninois des Affaires étrangères Olushegun Adjadi Bakari : "Je suis en contact avec mon homologue, le ministre (Kamako Jean Marie) Traoré, au Burkina Faso, et nous discutons de la manière dont nous pouvons résoudre cette affaire délicate le plus rapidement possible". 

Dans un même temps, il a indiqué que l'équipage nigérian se trouvait toujours sur place, confirmant les dires d'une source sécuritaire de l'armée de l'air burkinabè à l'AFP, le 10 décembre : "L'aéronef et son équipage [sont, NDLR] toujours sur place. Pas en détention mais pas encore reçu l'autorisation de quitter" le Burkina Faso.

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Une femme brandit une pancarte en soutien à l’Alliance des États du Sahel (AES) lors d’un rassemblement célébrant le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Niamey, le 28 janvier 2025. (AFP / BOUREIMA HAMA)

L'Alliance des Etats du Sahel mène une politique souverainiste et anti-impérialiste. Elle entretient des rapports très tendus avec d'autres pays ouest-africains et a quitté l'an dernier le bloc régional de la Cedeao, dont le Nigeria est un pilier.

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