Ousmane Sonko est bien toujours Premier ministre du Sénégal et n'est pas en "congés illimités"
- Publié le 24 novembre 2025 à 18:18
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- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Sénégal
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Depuis plusieurs semaines, des tensions croissantes secouent l’exécutif sénégalais, opposant notamment le président Diomaye Faye au Premier ministre Ousmane Sonko. Elles ont abouti à la circulation, depuis le 12 novembre, de rumeurs sur le remplacement de M. Sonko par l’actuelle ministre de la Justice Yassine Fall. Des publications partagées des centaines de fois à travers des pays d’Afrique francophone prétendent ainsi qu’il a été évincé pour cause de "congés illimités". Mais c’est faux : Ousmane Sonko occupe toujours son poste, il a repris ses fonctions après deux semaines de congés.
Les divergences entre le président Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont été clairement exprimées dès juillet dernier lors de l’installation du conseil national de leur parti commun, Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). M. Sonko avait alors adopté un ton critique et dénoncé une "absence d’autorité" de la part du président, déplorant un manque de soutien de sa part "face aux attaques" de ses détracteurs (dépêche archivée ici).
Quelques mois plus tard, Ousmane Sonko a annoncé son départ en congés lors du Conseil des ministres du 5 novembre, sans préciser la date de son retour, ce qui a alimenté les spéculations sur une possible démission (lien archivé ici).
D'autant que les tensions au sein du couple exécutif se sont encore accentuées lorsque le président Faye a pris la décision le 12 novembre de mettre fin aux fonctions d’Aïssatou Mbodj, coordinatrice de la coalition qui l’avait porté au pouvoir, et l'a remplacée par l’ancienne Première ministre Aminata Touré. Le lendemain, le Pastef, dirigé par Ousmane Sonko, a contesté cette décision, estimant que le chef de l’État "n’a pas le pouvoir de démettre Mme Mbodj".
Sur les réseaux sociaux et des groupes WhatsApp, des internautes ont ainsi commencé à affirmer qu'Ousmane Sonko serait parti en "congés illimité" (sic) et qu'"un décret présidentiel" aurait nommé "Yassine Fall, ministre de la Justice" pour assurer son intérim au moins sur "une période de deux semaines" (archivées ici ou encore ici).
D'autres affirment plus clairement qu’"Ousmane Sonko n’est plus le Premier ministre du Sénégal".
La rumeur de son éviction à la tête du gouvernement s’est largement propagée au Cameroun, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays d’Afrique francophone, où le duo Diomaye - Sonko avait suscité un grand engouement lors de leur arrivée au pouvoir en mars 2024.
Ces allégations, qui continuent de circuler en dehors du Sénégal, sont cependant partiellement erronées : M. Sonko est toujours Premier ministre du Sénégal et a repris ses fonctions après deux semaines de congés.
Présent en conseil des ministres
Pour preuve, Ousmane Sonko a bien participé, mercredi 19 novembre au traditionnel Conseil des ministres qui se tient toutes les semaines dans le pays (lien archivé ici).
Le communiqué officiel sur cette réunion mentionne sa prise de parole, au cours de laquelle il a abordé la réforme de l’administration, la stratégie internationale du Sénégal, la sécurité routière ainsi que le projet de ligne ferroviaire Dakar – Tambacounda (dans l’est du pays).
Ledit conseil de ministres est résumé dans ce compte-rendu de la télévision d'Etat, RTS (archivé ici).
Si M. Sonko est toujours bien Premier ministre, l’AFP a contacté la présidence sénégalaise pour savoir s’il a été temporairement remplacé pendant ses congés, sans obtenir de réponse à la date du 24 novembre.
Certains médias locaux comme SeneNews prétendent que la ministre de la Justice aurait effectivement assuré les fonctions du chef du gouvernement au cours de ses deux semaines de vacances, citant l’existence d’un décret, cependant introuvable dans la presse comme sur les réseaux sociaux (lien archivé ici).
Le constitutionnaliste sénégalais Babacar Guèye a expliqué à l'AFP qu'il n’existe aucune disposition constitutionnelle prévoyant explicitement l’intérim du Premier ministre au Sénégal (Constitution archivée ici). Il indique qu’en pratique l’intérim relève d’un principe d’organisation gouvernementale, confirmé par certains actes officiels comme les décrets, comme lorsqu'en novembre 2010 l’ancien président Abdoulaye Wade avait confié l’intérim du poste de Premier ministre à Ousmane Ngom.
Babacar Guèye constate également que le Premier ministre a pris quinze jours de congés, une absence prévue par la réglementation de la fonction publique. "Il n’a pas été limogé, ni renvoyé, et il n’a pas démissionné", relève-t-il, précisant que la législation encadre l’absence d’un fonctionnaire.
Un décret présidentiel de 1963 accorde effectivement à tout fonctionnaire en activité, un congé annuel rémunéré de trente jours consécutifs, après onze mois de service effectif (lien archivé ici)
Ousmane Sonko demeure donc Premier ministre dans un contexte économique dégradé, marqué par la suspension des financements du Fonds monétaire international (FMI), un déficit proche de 14 % du PIB et une dette provisoirement évaluée à 132 % du PIB fin 2024. Des déséquilibres que les autorités attribuent à l’ancien régime (lien archivé ici).
Un tandem sous pression
Comme l’économie sénégalaise, la relation entre Bassirou Diomaye Faye et Sonko traverse elle aussi des turbulences, malgré leur longue amitié. En janvier 2025, la presse locale rapportait que le président Bassirou Diomaye Faye avait baptisé sa fille "Khady Ngom", d'après le nom de la mère d’Ousmane Sonko (archivé ici).
Lors de son grand meeting du 8 novembre à Dakar, M. Sonko a tenu à faire taire les rumeurs de frictions au sein de leur relation. Il a mis en garde ceux qui, selon lui, cherchent à semer la discorde entre eux (lien archivé ici).
lors d’une cérémonie au palais présidentiel de Dakar, le 16 octobre 2025. (AFP / PATRICK MEINHARDT)
Depuis la présidentielle de 2024, le Sénégal évolue dans une configuration institutionnelle singulière. Le président doit en partie son élection à son Premier ministre, dont la candidature avait été invalidée par la justice.
Le tandem Faye-Sonko avait nourri un vif espoir, notamment parmi les jeunes, après plusieurs années de confrontation politique avec le président Macky Sall (2012-2024), au terme desquelles les deux hommes avaient été incarcérés (lien archivé ici).
