Des ressortissants français disent refuser de quitter le Mali ? Attention, cette lettre n'est pas authentique

Depuis deux mois, le Mali subit une pénurie de carburant en raison d'un blocus jihadiste sur les convois de ravitaillement transitant par voie terrestre. Par cette stratégie d'étranglement de l'économie, les jihadistes du JNIM - affilié à Al-Qaïda - fragilisent de manière inédite le régime militaire en place à Bamako. Le ministère français des Affaires étrangères a ainsi alerté d’un risque sécuritaire élevé au Mali et recommandé à ses ressortissants de quitter temporairement le territoire. Dans ce contexte,  des internautes prétendent sur les réseaux sociaux qu’un représentant des Français établis au Mali a rejeté l’alerte de Paris, communiqué à l’appui. Mais c'est faux : cette déclaration, dont l'AFP n'a retrouvé aucune preuve d'authenticité, n'a pas non plus été reconnue par les autorités françaises.

Les violences attribuées à des groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda, notamment le JNIM, se sont intensifiées dans plusieurs régions du Mali (dépêche AFP archivée ici). Ces groupes ont multiplié les enlèvements visant des ressortissants étrangers et mené des opérations combinant blocus du carburant acheminé principalement depuis le Sénégal et la Côte d’Ivoire, ainsi que des attaques contre des sites industriels et miniers.

Selon Héni Nsaibia, analyste principal pour l’Afrique de l’Ouest au sein de l’ONG ACLED, qui documente les violences liées aux conflits dans le monde, "entre mai et octobre 2025, au moins 22 ressortissants étrangers ont été enlevés au Mali, soit environ le double du précédent record de 13 en 2022".

Dans ce contexte de dégradation sécuritaire, le ministère français des Affaires étrangères a publié le 7 novembre 2025 une mise en garde recommandant aux Français installés au Mali de "prévoir un départ temporaire du pays" (archivé ici).

Environ 4.200 ressortissants français enregistrés auprès du ministère sont concernés par cette alerte, dont près des deux tiers sont des binationaux, a déclaré le porte-parole du Quai d’Orsay Pascal Confavreux, lors d'une conférence de presse le 13 novembre dernier.

Peu après la publication de ces recommandations, une note présentée comme une réaction à cet avertissement a commencé à circuler sur les réseaux sociaux maliens, notamment sur Facebook (archivé ici) et X (1, 2). 

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Capture d'écran d'un post Facebook, réalisée le 17 novembre 2025

On y lit : "Monsieur le Ministre, nous, ressortissants français établis au Mali, souhaitons vous faire part de nos sentiments. Nous nous sentons bien au Mali et ne désirons pas quitter ce pays beau, paisible et accueillant." 

Le texte est attribué à un certain "Clément Larille", décrit comme le "représentant désigné des Français établis au Mali", et a été largement relayé sur X et Facebook.

Auteur inconnu des services consulaires

Mais l’auteur présumé de cette note reste introuvable : pas de compte enregistré sur les réseaux sociaux ni de traces de cet individu sur internet. 

Selon Marie Héléna Laurent, conseillère de presse à l’ambassade de France au Mali contactée par l’AFP, le pays compte certes trois conseillers consulaires élus et plusieurs associations de ressortissants, "mais aucune d’entre elles ne mentionne ce Clément Larille", précise-t-elle dans une réponse à l’AFP, datée du 13 novembre.

Mme Laurent ajoute que "ni nos services, ni nos conseillers consulaires, ni les associations de ressortissants n’ont connaissance d’un M. Clément Larille, et il est très probable qu’il n’existe pas". Elle souligne également qu'"il n’existe pas non plus de recommandations ou de communications officielles émanant de la communauté française locale, en dehors de la fiche « Conseils aux voyageurs » publiée par le MEAE français."

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Cartes du Sahel en 2019, 2021, 2023 et 2025 localisant les affrontements impliquant des groupes jihadistes (Al-Qaïda, l'Etat islamique ou leurs affiliés) et indiquant leur nombre de victimes (AFP)

Des départs constatés 

Par ailleurs, un journaliste de l’AFP couvrant l'actualité au Mali indique n’avoir observé aucun mouvement coordonné de Français cherchant à rester coûte que coûte dans le pays. Il explique que de nombreux ressortissants ont quitté le territoire et dit avoir constaté plusieurs départs à l’aéroport Modibo Keita au cours du week-end des 8 et 9 novembre, en précisant qu’ils n’ont pas été massifs.

Le journaliste rapporte également qu’une grande partie des expatriés de Brasseries du Mali, filiale du groupe Castel, a quitté le pays le 12 novembre, une décision qui a entraîné la mise en chômage technique du personnel local. Il souligne par ailleurs que les personnes ayant choisi de partir sont, pour beaucoup, des binationaux.

De son côté, Marie Héléna Laurent estime que ce mouvement de départ reste "très marginal", expliquant qu’il concerne surtout des personnes "qui envisageaient déjà de quitter le pays et saisissent cette opportunité". Elle précise qu’à l’ambassade, aucune demande de départ particulière, ni afflux d’appels ou de messages n’ont été constatés.

S’il n’y a donc pas de vague de départs, quelques ressortissants ont néanmoins déjà quitté le Mali, alors que le ministère français des Affaires étrangères maintient sa recommandation.

Lors d’un point de presse (visionnable ici à partir de la 10ème minute) le 13 novembre, le porte-parole du Quai d’Orsay, Pascal Confavreux, a rappelé que le message adressé aux Français au Mali reste celui d’un "départ temporaire", tout en soulignant que la décision finale leur appartient. "Cette fiche conseil aux voyageurs est encore totalement d’actualité. Elle a été nourrie des éléments que nous avons sur le terrain en temps réel." a-t-il précisé face aux journalistes. 

Jihad économique

La menace terroriste demeure élevée au Mali, où les ressortissants étrangers figurent parmi les cibles privilégiées du JNIM.

Le groupe, affilié à Al-Qaïda, a fait des enlèvements d’étrangers l’un des leviers de son "jihad économique", destiné à freiner les investissements internationaux, perturber l’activité économique du pays et accentuer la pression sur la junte au pouvoir.

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File d’attente pour le carburant à Bamako, le 7 octobre 2025, sur fond d’attaques du JNIM contre les camions-citernes. (AFP / -)

Fin octobre, une rançon estimée à au moins 50 millions de dollars a été versée au JNIM pour obtenir la libération d’un otage émirati, illustrant l’ampleur financière que prend désormais cette stratégie (lien archivé ici).

Les victimes recensées sont de nationalités variées : chinoise, indienne, égyptienne, émiratie, iranienne, ainsi que trois ressortissants originaires de l’ex-Yougoslavie (Serbie, Croatie, Bosnie), a souligné à l'AFP, Héni Nsaibia, analyste principal pour l'Afrique de l'Ouest chez l'ONG ACLED.

Le JNIM avait déjà menacé, en juin, de viser les entreprises étrangères présentes au Mali ainsi que toute société collaborant avec l’État malien sans son "autorisation".

Selon une analyse de l’AFP des données d’ACLED, les attaques attribuées au JNIM ont atteint un niveau record en 2025 : près de 2 100 morts ont été recensés depuis le début de l’année, et au 7 novembre, le total annuel d’incidents dépassait déjà tous les bilans précédents (données disponibles depuis 2019). Le seul mois d’octobre marque également un pic, avec 151 attaques recensées, un niveau mensuel jamais observé depuis 2019.

Face à cette dégradation, plusieurs pays occidentaux ont pris des mesures de précaution. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé, il y a deux semaines, le retrait de leur personnel non essentiel, et plusieurs ambassades, dont la France, ont appelé leurs ressortissants à quitter le territoire.

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