
Le M23 n’a pas lancé de nouveau passeport dans l’est de la RDC; il s'agit d'une photo truquée
- Publié le 17 octobre 2025 à 18:06
- Lecture : 5 min
- Par : Emilie BERAUD, AFP Afrique
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Dans l'est de la République Démocratique du Congo (RDC), de nombreux territoires sont passés sous le contrôle du groupe antigouvernemental M23 depuis la prise des villes de Goma et Bukavu début 2025. Après une période de flottement administratif, le groupe armé a multiplié cet été les annonces structurant les institutions locales. Sur les réseaux sociaux, des publications affirmaient début octobre que le M23 aurait lancé un nouveau passeport, nécessaire pour accéder aux "zones sous son contrôle". Mais le groupe armé a démenti et l'image avancée comme preuve dans les publications est en réalité un montage réalisé à partir d'une photo du nouveau passeport biométrique congolais.
Région riche en ressources naturelles et frontalière du Rwanda, l'Est congolais est en proie à des conflits depuis plus de 30 ans. Les violences se sont intensifiées entre janvier et février avec la prise par le groupe antigouvernemental M23, soutenu par Kigali et son armée, des grandes villes de Goma et Bukavu.
Depuis, le groupe armé - qui clame son intention de renverser le régime du président congolais Félix Tshisekedi - s'est trouvé à la tête de territoires où tout est à refaire. La plupart des institutions, comme les banques, ont été fermées par Kinshasa et de nombreux fonctionnaires ont fui la région. Les habitants de Goma et Bukavu ont ainsi vécu des mois sans police ni tribunaux, entraînant une forte hausse de la criminalité.

Depuis août, le M23 a multiplié les annonces pour consolider son administration parallèle, annonçant le recrutement de magistrats, l'instauration de taxes et le lancement de sa nouvelle police, composée en partie d'anciens fonctionnaires de Kinshasa ralliés de gré ou de force (dépêche AFP archivée ici).
Dans ce contexte, une vingtaine de pages et comptes Facebook, X et TikTok prétendent dévoiler depuis le 6 octobre la photo d'un "nouveau passeport" qui serait délivré par le M23 pour pouvoir accéder aux "zones sous son contrôle" dans l'est de la RDC (liens archivés ici, ici ou encore ici).
L'image, qui suscite des centaines de réactions, montre un passeport bleu foncé portant l'inscription "AFC/M23", au dessus d'une image d'aigle. L'acronyme "AFC", pour "Alliance du fleuve Congo", désigne une coalition de groupes armés et politiques incluant le M23.

Certaines publications, comme celle-ci, avancent qu'il faudrait débourser "350 dollars" afin de se procurer ledit document.
Mais cette image est truquée : il s'agit d'un montage réalisé à partir d'une photo qui montre en réalité un simple passeport congolais. Le groupe armé M23 dément par ailleurs avoir mis en place un tel passeport.
Montage photo
En commentaire des publications que nous vérifions, plusieurs internautes émettent des doutes quant à l'authenticité du document.
Nos recherches montrent que cette image a en effet été truquée à partir d'une photo d'un véritable passeport congolais, dont on retrouve facilement la trace grâce à une recherche d'image inversée.
Avec cette méthode, on constate qu'une agence de voyage et d'aide à l'obtention de visas, nommée "NL Immigration Service" et basée en Afrique du Sud, avait déjà publié la même photo sur Facebook dès le 8 juillet, soit trois mois auparavant (lien archivé ici).
Mais avec une différence de taille : le texte du passeport indique "République Démocratique du Congo" en lieu et place de "AFC/M23 Peuple Uni, Digne et Prospère". A la place de l'aigle présent sur la photo trompeuse figurait aussi initialement l'emblème de la RDC, une tête de léopard entre une corne d'ivoire et une lance de sable.
Dans sa publication, l'agence de voyage explique comment faire pour obtenir ce nouveau passeport biométrique congolais, effectivement disponible dans le pays depuis le 5 juin 2025 (lien archivé ici). Il constitue un document de voyage plus "sécurisé et conforme aux standards internationaux", précisait le ministère des Affaires étrangères congolais dans un communiqué datant du 28 mai (lien archivé ici).
La photo de "NL Immigration Service" est sans conteste celle qui a servi de modèle au soi-disant passeport du M23 diffusé trois mois plus tard : on y reconnaît plusieurs éléments visuels précis, comme le reflet d'une personne dans la vitre, la montre de couleur argentée ou encore le sachet de mouchoir blanc et bleu avec une inscription orange.

Encadrés de couleurs rajoutés par la rédaction de l'AFP.
Le texte "AFC/M23 Peuple Uni, Digne et Prospère" ainsi que le logo avec l'aigle ont sans doute ensuite été ajoutés au montage.
Démenti du M23
Contacté par l'AFP, le groupe M23 a par ailleurs démenti avoir lancé un passeport pour pouvoir accéder aux zones sous son contrôle dans l'est de la RDC. C'est une "fake news", a déclaré le 10 octobre Oscar Balinda, porte-parole adjoint du groupe antigouvernemental.
De violents affrontements ont opposé le M23 et l'armée congolaise ou des milices locales ces dernières semaines, malgré la signature en juillet d'une déclaration de principe en faveur d'un "cessez-le-feu permanent".
Cependant, les deux parties réunies à Doha ont signé mardi 14 octobre un accord pour mettre en place un mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu, "chargé d'enquêter sur les violations signalées et les vérifier, et de communiquer entre les parties concernées afin d'empêcher la reprise des hostilités", a indiqué le ministère qatari des Affaires étrangères (dépêche AFP archivée ici).
Le mécanisme sera constitué d'un nombre égal de représentants du gouvernement congolais et du M23, qui se réuniront à la demande de l'une des deux parties en cas de violations signalées. Le Qatar, les États-Unis et l'Union africaine pourront y prendre part en tant qu'observateurs, et la mission des Nations unies en RDC (Monusco) lui fournira un appui logistique.

En attendant sa mise en place effective, le nombre de victimes continue de grossir de jours en jours. Le conflit dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu a fait des milliers de morts et des millions de déplacés depuis janvier.
Début septembre, une mission d'enquête de l'ONU a conclu que l'est de la RDC était le théâtre de graves violences constitutives de possibles crimes de guerre et crimes contre l'humanité "commises par toutes les parties", le M23 soutenu par le Rwanda comme l'armée congolaise ou affiliés (dépêche AFP archivée ici).