
Sur les réseaux sociaux, des pseudo-régimes pour "courir plus vite"
- Publié le 2 septembre 2025 à 10:43
- Lecture : 8 min
- Par : Louise LE BORGNE, AFP France
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Sur Instagram, YouTube ou TikTok (1, 2, 3), des vidéos vantant les bienfaits supposés des régimes cétogènes et paléolithiques sont partagées des milliers de fois par les internautes, surfant sur le fort engouement pour les disciplines d'endurance. Entre 2023 et 2024, les inscriptions sur des trails ont augmenté de 24% selon la Fédération française d'athlétisme (lien archivé ici).
La diète cétogène - aussi appelée "diète keto" - a d'abord été utilisée par les cyclistes avant de se diffuser dans le milieu du trail et de la course à pied. Elle consiste à limiter les glucides et le sucre pour obliger le corps à puiser dans un "autre carburant" : les lipides (graisses). "Ce régime amincissant repose sur la suppression quasi-complète des glucides de l’alimentation : moins de 50 grammes par jour, soit 6 fois moins que la moyenne pour une alimentation équilibrée. Il exclut entre autres les céréales, les produits laitiers, les légumineuses ou les huiles. Pour apporter les calories nécessaires à la vie, il est alors indispensable de consommer plus de protéines et, surtout, de matières grasses. Pour simplifier, on mange du gras pour maigrir, en supprimant les sucres et féculents", expose la note (lien archivé ici) du Service Public d'Information en Santé (SPIS).
Le régime paléolithique repose, lui, sur l'idée que notre corps serait davantage adapté à ce que mangeaient nos ancêtres, il y a plus de 10 000 ans, qu’à notre alimentation moderne. Selon ses adeptes, le métabolisme humain ne se serait pas encore adapté à la plupart des aliments issus de la révolution néolithique (où apparaissent agriculture et élevage) et assimilerait mal les céréales, les légumineuses et les produits laitiers. Il limite aussi les sucres raffinés, les féculents, les aliments transformés et les huiles. Le régime paléo se compose principalement de viandes, de légumes, de fruits, de champignons, de racines et de noix provenant d'animaux nourris à l'herbe et élevés en pâturage.
Mais selon les experts interrogés par l'AFP, ces pratiques alimentaires, réalisées par des sportifs amateurs, n'ont que peu ou pas d'effet bénéfique sur les performances. Au contraire, elles peuvent se révéler contre-productives en créant des carences en sels minéraux, vitamines, oligo-éléments, fibre ou calcium.
Des effets neutres
Très en vogue sur les réseaux sociaux, la diète cétogène -inventée à l'origine pour les personnes épileptiques (lien archivé ici) - n'a pas fait ses preuves au sein de la recherche scientifique en matière d'impact sur la performance.
L'International Society of Sports Nutrition (ISSN), société universitaire à but non lucratif dédiée à la promotion de la science et de l'application de la nutrition sportive, a publié un prise de position concernant les régimes cétogènes, datée du 27 juin 2024 (lien archivé ici). Fondée sur une recherche documentaire exhaustive menée à l'aide de la base de données "Medline" de la Bibliothèque nationale de médecine des États-Unis, l'article a été examiné et commenté par des universitaires de renom avant d'être adopté comme position officielle.
Selon ces chercheurs, un "régime cétogène a des effets largement neutres ou néfastes sur les performances sportives par rapport à un régime plus riche en glucides et plus pauvre en graisses, malgré des niveaux significativement élevés d'oxydation des graisses pendant l'exercice [physique]".
Par ailleurs, "les effets d'un régime cétogène sur l'endurance peuvent être influencés à la fois par le niveau d'entraînement et par la durée de l'intervention diététique, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour élucider ces possibilités. Toutes les études portant sur des athlètes de haut niveau ont montré une baisse de performance liée à un régime cétogène, toutes [ces études étaient] d'une durée maximale de six semaines" poursuit la note de l'ISSN.
"Sur les deux études portant sur une période de plus de six semaines, une seule a relevé un bénéfice statistiquement significatif", ajoute le document.
"C'est un régime très déséquilibré, difficile à tenir sur le long terme. Il n'est pas du tout adapté à un sportif amateur qui n'en tirera pas de plus-value dans sa performance sportive", décrypte Mathieu Jouys, diététicien-nutritionniste de la Fédération français d'athlétisme (FFA).
"Certains athlètes élites y ont recours, même si on revient davantage aujourd'hui à des régimes hyper-glucidiques. Mais lorsque ce sont des amateurs qui s'en emparent, cela peut être dangereux", abonde Nouchka Simic, diététicienne du sport, à la tête du compte de vulgarisation scientifique Noucka.diet (lien archivé ici).
Le régime paléo fait également l’objet d’un regain de popularité. S'il répond à un souci d'améliorer son alimentation, en limitant notamment les produits transformés, aucune étude solide ne l'a directement relié à un gain de performance. "Ce régime n'est ni bon, ni mauvais, mais n'a juste rien à voir avec la performance physique. Ce n'est donc pas la peine de se plier à des préconisations et contraintes plus ou moins fondées avec ce que cela comporte de risques de carences, qui eux sont très bien documentés", explique Christophe Lavelle, chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation au CNRS.
"Je ne le conseille pas, le régime paléo n'a pas d'effet prouvé sur la performance et il contraint la personne à ingérer de grandes quantités de viandes, de fruits et de légumes à chaque repas, ce qui prend beaucoup de temps et d'énergie dans le quotidien", assure Mathieu Jouys, ancien champion de France du 110m haies, qui travaille aujourd'hui à la cellule d'optimisation de la performance des équipes de France d'athlétisme.
Une erreur du SPIS
Ces régimes alimentaires, complexes, ont donné lieu à de nombreux mythes dans le sport, jusque dans la note du service public d'information en santé (SPIS), pourtant référent en terme de santé en France.
La note du SPIS sur le régime paléo déclarait ainsi : "chez les sportifs, le régime paléo semble améliorer la performance, au moins sur le court terme".
Mais selon des chercheurs interrogés par l'AFP, la note se base sur une mauvaise interprétation d'une étude "peu fiable" de la revue Nutrients, intitulée "Paleolithic Diet—Effect on the Health Status and Performance of Athletes?", publiée en mars 2021 (archivée ici).
"L'étude citée est très mauvaise", relève Thibault Fiolet, docteur en santé publique qui collabore régulièrement avec l'Inserm pour lutter contre la désinformation scientifique. "La revue systématique de la littérature et méta-analyse ne suivent pas les lignes directrices PRISMA, ce qui entache la fiabilité de la publication. Par ailleurs, malgré le titre, aucune étude citée n'inclut de sportifs professionnels - les participants sont majoritairement sédentaires, obèses ou atteints de diabète ou maladies cardiovasculaires. Enfin, les effets sur la performance physique sont peu étudiés, ils ont juste regardé la VO2 max [consommation maximale d'oxygène, mesure importante de la physiologie de l'effort, NDLR] dans 3 études. On ne peut donc rien conclure sur l'efficacité du régime paléo sur les performances sportives".
Le biophysicien Christophe Lavelle abonde : "La formulation du SPIS est biaisée, il est impossible de sortir une conclusion de cette étude sur la performance physique. Il n'y a rien qui justifie un régime paléolithique sauf cas individuel particulier ou pathologie particulière".
L'étude de Nutrients soulignait d'ailleurs elle-même dans ses conclusions qu'à ce jour "il n'existe aucune étude scientifique sur l'effet du régime Paléo sur les athlètes professionnels."
Interrogé par l'AFP à ce sujet, le SPIS a depuis retiré la phrase de son site internet : "Après relecture, nous avons estimé que la formulation proposée dans l'article manquait de nuance", a reconnu Rachel Duriez, déléguée au Service Public d'information en santé. "Nous travaillons actuellement à la mise à jour du contenu", poursuit-elle.
Contre-productifs ?
Or, mal encadrés, ces deux régimes peuvent se révéler néfastes pour la santé : "les restrictions risquent de créer de la fatigue et une relation troublée à la nourriture, entraînant des répercussions hormonales, osseuses, ou des troubles du sommeil", explique Nouchka Simic, autrice du "Nutri'guide du sportif".
La note du Service Public d'Information en Santé (SPIS) concernant le régime paléo déclare ainsi : "Si l’apport de calcium peut être enrichi avec certains fruits secs, il reste limité car les principales sources végétales de calcium (céréales et légumineuses, fruits, graines, légumes, etc.) sont écartées du régime paléo. Dans les études sur ce régime, l’apport de calcium était inférieur à 50% des besoins quotidiens".
Le régime cétogène, peut également provoquer des "effets indésirables gênants et des déséquilibres alimentaires importants", relève le SPIS. Parce qu’il n’est pas tenable sur la durée, il expose également "à une prise de poids plus importante lors du retour à une alimentation normale" et de carences en "sels minéraux, vitamines, oligo-éléments et fibres".
Des vidéos trompeuses
"C'est un univers en pleine expansion, on assiste à une hausse des propositions trompeuses et dangereuses sur les réseaux sociaux qui reposent sur des bribes d'études décontextualisées", regrette Nouchka Simic. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a tiré la sonnette d'alarme face aux dérives potentielles des pseudo-nutritionnistes dans son rapport 2025 (lien archivé ici).
"Dans le demi-fond [courses entre 800 et 3000 mètres, NDLR] et le fond, 35% des athlètes ont une prévalence aux troubles du comportement alimentaire", relève Mathieu Jouys. Pour tordre le cou aux mythes qui continuent de se diffuser dans l'univers de la course à pied, la Fédération française d'athlétisme a expliqué travailler à l'élaboration d'une application nutritionnelle. Cette dernière, d'abord destinée à l'équipe de France d'ici 2026, devrait être accessible à terme aux licenciés.
"Beaucoup d'athlètes changent leur alimentation dans l'idée de favoriser leur santé pour exploiter tout leur potentiel, explique le diététicien nutritionniste. Mais les habitudes alimentaires sont très personnelles selon la fréquence et l'intensité des entraînement, l'âge, le métabolisme, et le mode de vie, et doivent passer par la consultation d'un professionnel de santé".
Les diététiciens nutritionnistes et les médecins nutritionnistes -inscrits au Code de santé publique - sont les seuls qualifiés pour dispenser des conseils nutritionnels dans un cadre professionnel. Pour être certain de consulter un diététicien diplômé, il est possible de consulter le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) sur le site de l'ARS de votre région.
Les experts recommandent aux athlètes amateurs de suivre avant tout un régime alimentaire varié et équilibré, mais aussi de boire de l'eau. La déshydratation est le premier facteur limitant de la performance.