Cette photographie montre une vue d'un couloir de la "Maison d'arrêt" (prison) à Nîmes, dans le sud de la France, le 24 juillet 2025. (AFP / GABRIEL BOUYS)

La loi ne permet pas de placer certains individus en détention provisoire? C'est trompeur

Début août, une infirmière d'un hôpital de la banlieue de Paris et un homme ont été mis en examen pour agressions sexuelles sur mineurs après l'exploitation de vidéos impliquant des nourrissons. Bien que le parquet ait demandé leur placement en détention provisoire, le juge a opté pour un contrôle judiciaire. Cette décision a suscité l'émoi, y compris du garde des Sceaux, Gérald Darmanin. Celui-ci s'est indigné, regrettant que la loi ne permette pas de placer certaines personnes en détention provisoire. Mais cette affirmation est trompeuse, ont affirmé des professionnels du droit à l'AFP.

Le 2 août 2025, Juliette S., une infirmière de l'hôpital de Montreuil, à l'est de la capitale française, a été mise en examen pour agressions sexuelles sur mineurs ainsi que captation et diffusion d'images à caractère pédo-pornographique. La femme de 26 ans, qui exerçait au service de réanimation néonatale pour les prématurés, a été suspendue (lien archivé ici).

Elle s'était présentée à la police pour se dénoncer et mettre en cause un homme, Redouane E., avec qui elle a entretenu une relation et dont elle a déclaré avoir été sous l'emprise. Ce dernier, âgé de 28 ans, a été mis en examen pour complicité d'agressions sexuelles, soupçonné d'avoir été l'instigateur.

L'affaire a éclaté suite à la diffusion sur TikTok de vidéos devenues virales, comme celle-ci, vue plus de 1.5 million de fois, où un homme face caméra assure que "deux personnes qui travaillent avec les nourrissons [...] s'amusent à maltraiter des enfants noirs", avant de glisser que c'est "à caractère sexuel".

Si deux enfants victimes ont été identifiées dans l'exploitation des vidéos, le parquet a précisé qu'il n'y avait "aucun caractère racial dans le passage à l'acte". "L'un des enfants est blanc, l'autre noir", a-t-il rajouté.

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Captures d'écran, prises le 12/08/2025 sur TikTok, de vidéos virales sur l'affaire des agressions sexuelles de bébés à Montreuil.

Bien que le parquet ait demandé le placement en détention provisoire, le juge des libertés et de la détention (JLD) a opté pour un contrôle judiciaire. Cette décision a suscité de fortes critiques, y compris chez le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, qui a exprimé publiquement son désaccord (liens archivés ici, ici, ici et ici).

"La loi ne permet pas de placer certains individus en détention provisoire, alors que les faits qu'ils ont commis choquent profondément les Français et que nous devons protection aux enfants. C'est le cas de l'infirmière qui aurait agressé sexuellement des nourrissons. Avec le texte de loi que je propose, ces individus pourront être mis hors d'état de nuire dès leur mise en examen", peut-on lire dans la publication X du 5 août du ministre de la Justice, partagée plus de 400 fois.

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Captures d'écran prises le 08/08/2025 sur X avec la publication du Parisien (à gauche) et le partage de ce post (à droite) par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Encadré orange ajouté par l'AFP.

Contacté le 7 août par l'AFP, l'entourage du ministre a indiqué que, dans son post, le garde des Sceaux a exprimé "une position qu'il assume parfaitement et qui est partagée par de nombreux Français qui l'ont interpellé suite à l'affaire de Montreuil".

Mais attention : l'affirmation selon laquelle la loi ne permettrait pas de placer certaines personnes en détention provisoire est trompeuse.

Pour Philippe Honnegger, avocat pénaliste à Paris et associé du cabinet Ruben et associés interrogé le 7 août par l'AFP, "le juge avait au moins six critères qui lui permettaient de le faire, et il a décidé qu'aucun de ces critères n'étaient remplis. La loi permet absolument de placer ces individus en détention provisoire et la procédure a été totalement respectée", dit-il.

Me Elise Arfi, avocate au Barreau de Paris, a expliqué le 7 août à l'AFP que les deux mis en cause "auraient tout à fait pu être placés en détention provisoire, puisque le juge des libertés et de la détention a été saisi".

Dès lors, se pose la question : dans quelles conditions la détention provisoire peut-elle être appliquée ? 

La détention provisoire : une mesure exceptionnelle

La détention provisoire (DP) désigne l'emprisonnement d'une personne qui n'a pas encore été jugée. Présumée innocente dans l'attente de son procès, elle y est placée lorsqu'elle est mise en examen dans le cadre d'une information judiciaire pour un crime ou un délit puni d'une peine de prison d'au moins trois ans (liens archivés ici et ici).

L'article 144 du Code de procédure pénale fixe une liste de sept motifs pouvant justifier la détention provisoire, le JLD étant le seul habilité à prendre la décision finale.

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Capture d'écran prise le 12/08/2025 sur le site servicepublic.fr, montrant les motifs pour lesquels un juge placerait une personne en détention provisoire.

"C'est pour cela qu'il faut utiliser la détention provisoire avec beaucoup de prudence : ce sont des gens qui ne sont pas encore condamnés et qui peuvent très bien être déclarés innocents à l'issue du procès", a rappelé le 8 août à l'AFP Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l'Université Paris-Nanterre.

Le détention provisoire est "l'exception absolue dans le principe français" : "À défaut, on peut recourir à un contrôle judiciaire ou à un placement sous bracelet [électronique, NDLR]. La détention, c'est vraiment la dernière alternative", souligne-t-elle (lien archivé ici).

Contactée le 7 août par l'AFP, Stéphanie Caprin, juge d'instruction à Pontoise et vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), rappelle que la DP est une "mesure de sûreté" avant le jugement et "pas une peine" : "Les personnes sont présumées innocentes et ne sont pas jugées, car l'enquête n'est pas terminée". La détention provisoire peut être nécessaire "pour garantir leur procès, le fait qu'ils soient là, qu'ils ne recommencent pas, qu'ils ne détruisent pas les preuves ou qu'ils ne fassent pas de pression".

L'universitaire et la magistrate rappellent que, par ailleurs, le contrôle judiciaire n'est pas synonyme de "liberté absolue" : il suppose "des obligations et interdictions" strictes, dont le non-respect peut entraîner une incarcération.

Une affaire délictuelle

En l'occurrence, la vice-présidente de l'USM suppose que le juge a dû considérer que les deux mis en examen "avaient des garanties de représentation, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de risque de fuite, de pression sur les victimes, et pas de risque sur l'enquête, car tous les éléments matériels, les éléments de preuve, avaient déjà été réunis".

Me Arfi rappelle que "le juge des libertés et de la détention est indépendant. Au regard du dossier, il a considéré que les critères de la détention provisoire n'étaient pas réunis et a décidé de placer les mis en examen sous contrôle judiciaire".

Dans ce type d'affaire, "c'est évident que le procureur va faire appel s'il ne l'a pas déjà fait. Dans ce cas, la chambre de l'instruction de Paris décidera soit de confirmer la décision du JLD de Bobigny et de maintenir les individus sous contrôle judiciaire, soit de les faire incarcérer", poursuit-elle.

Si le parquet de Bobigny a effectivement fait appel, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a confirmé le 14 août dernier le maintien sous contrôle judiciaire de l'infirmière de 26 ans et de Redouane E. (lien archivé ici).

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Vue de l'entrée de l'hôpital intercommunal André-Grégoire, à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, le 3 août 2025. (AFP / Thomas SAMSON)

En droit pénal français, un crime est l'infraction la plus grave, passible de lourdes peines de prison, comme le viol, les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le meurtre ou l'assassinat. Un délit, lui, est un acte interdit par la loi et puni d'une amende et/ou d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 10 ans (hors cas de récidive).

Toujours selon la loi, une agression sexuelle est un attouchement ou un acte à caractère sexuel imposé à quelqu'un, sans pénétration, contrairement au viol. Si la première infraction constitue un délit, la seconde est de nature criminelle.

Parmi les sept motifs prévus par la loi pour ordonner la DP, un seul ne s'applique qu'aux crimes et pas aux délits : le septième, soit le "trouble à l'ordre public".

Mais, malgré l'émotion publique et populaire suscitée par cette affaire, ce critère ne pouvait pas être invoqué dans l'affaire de Montreuil, puisqu'elle relève d'un délit, et non d'un crime. En revanche, le juge aurait pu par exemple s'appuyer sur le sixième motif, celui invoquant le risque de renouvellement de l'infraction, s'il avait estimé qu'il existait un risque sérieux en ce sens.

Selon les interlocuteurs interrogés par l'AFP, les propos de Gérald Darmanin sur X font référence au septième motif et à sa volonté de permettre le placement en détention provisoire y compris pour les délits, sur ce fondement du "trouble à l'ordre public". Une interprétation confirmée par l'entourage du ministre auprès de l'AFP.

Ce dernier précise que le projet de loi SÛRE, porté par le garde des Sceaux, "permettra de faire évoluer cette mesure en introduisant un critère de détention provisoire pour trouble à l'ordre public pour les affaires délictuelles. Ainsi, dans le cas d'espèce, les magistrats auraient eu la possibilité de placer en détention provisoire ces individus sur ce fondement" (lien archivé ici).

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Capture d'écran prise le 12/08/2025 de l'article 7 du projet de loi S.U.R.E, relatif à l'intégration du trouble à l'ordre public dans les critères de la détention provisoire délictuelle.

Un projet de loi qui "ne changerait pas grande chose"

Pour Me Elise Arfi, l'impact d'une telle réforme serait limité : "En 20 ans de Barreau, je n'ai jamais eu connaissance d'un dossier où la détention provisoire, en matière criminelle, reposait uniquement sur le trouble à l'ordre public".

"Si nous avions été en matière criminelle, c'est évident que ce critère aurait été visé, parce qu'il y a un émoi populaire, c'est une affaire qui est médiatisée. Mais il ne faut pas se leurrer : c'est rarement le critère unique du placement en détention. [...] Donc ça ne changera pas grand-chose", conclut Me Arfi.

"Étendre ce critère aux délits c'est fallacieux, c'est mentir à l'opinion publique", estime Me Honnegger. Car dans la loi, il est écrit que ce trouble "ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire". Il faut un "trouble exceptionnel et persistant", c'est-à-dire, des cas où "il vaut mieux mettre quelqu'un en prison parce qu'il y aurait un risque que la personne se fasse lyncher, ou qu'il y ait des émeutes, ou des manifestations monstres", illustre l'avocat pénaliste.

"L'introduction de ce critère [pour les délits, NDLR] conduira à ce qu'il ne soit jamais utilisé. Le juge dira: 'ce n'est ni exceptionnel, ni persistant'", estime-t-il.

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